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[verso-hebdo]
11-12-2014
La chronique
de Pierre Corcos
Froid dans le dos
D'un documentaire on peut attendre un certain nombre de qualités : entre autres qu'il ait vertu de document (il nous ouvre à des réalités méconnues, ou bien il dessille notre regard naguère abusé), qu'il ait également des vertus didactiques (mais sans devenir une leçon filmée), et enfin que sa forme nous suggère quelque chose en lien avec le fond...
Avec Master of the Universe, son septième documentaire, une production germano-autrichienne, Marc Bauder a réalisé un film où convergent admirablement une parole critique très informée et les connotations d'un décor, d'un espace. Ce documentaire a reçu le Prix de la semaine critique au festival de Locarno en 2013.
Hélas, il y a peu de chances qu'il soit vu par le grand public, et encore moins de chances qu'il influence un tant soit peu nos décideurs !

Des cheveux pâles sur une tête bouffie, le regard droit derrière des petites lunettes, un discours assuré, martelé en allemand : Rainer Voss sait parfaitement de quoi il parle ! Trente années durant, ce spéculateur averti, ce banquier d'investissement générait, à lui seul, plus d'un million d'euros de profits par jour... Il faisait partie de l'armée secrète des « traders », des « golden boys ». Et quelles sont les premières qualités exigées dans cette armée d'« élites » ? La soumission et la capacité au surtravail. Un premier test consiste par exemple à savoir si vous acceptez de bosser une nuit, voire deux nuits, dans votre bureau. Et ensuite on évaluera tout ce que vous êtes capable de sacrifier à ce qui deviendra peu à peu une addiction.
Car ils fascinent, tous ces écrans devant vous, multicolores, clignotant sur fond de nuit opaque en haut d'un building, ces flux gigantesques de valeurs émis, transférés en une fraction de seconde, juste en effleurant une touche du clavier !... Ils fascinent le jeune trader lancé dans l'aventure du Capital énergumène. C'est le capitaine Spock dans son vaisseau spatial Enterprise, confie goguenard Rainer Voss. Et quel enrichissement énorme, rapide, presque magique !... Puis, le temps a filé, et un jour le Master of the Universe a vieilli, s'est fait virer, ou bien est parti, peu importe... Car d'autres Rainer Voss attendent toujours, zélés, encore plus impatients de prendre la relève, sortis des meilleures écoles de mathématiques financières, envoûtés par cette finance casino. La pointe du capitalisme d'aujourd'hui...
Auparavant, la durée moyenne de conservation d'une action était de quatre ans, aujourd'hui elle est de vingt-deux secondes, ironise Rainer Voss. Les masses énormes de capitaux disponibles, dus à des profits accumulés non moins énormes, la dérégulation financière initiée par Reagan et Thatcher dans les années 80, les progrès foudroyants de l'informatique et la mondialisation ont transformé la finance mondiale, sa spéculation, ses produits dérivés de plus en plus complexes, ses zones d'ombre (« shadow banking », « dark pools ») en un système fou, emporté par son « hybris », phagocytant ou déstabilisant l'économie réelle et même le pouvoir politique (« il faut six mois pour faire une loi, en six mois on lève cent cinquante milliards pour une banque ! »), provoquant des crises économiques gigantesques, comme la crise asiatique de 1997, la crise mondiale dite des « subprimes » dix ans plus tard et la faillite de Lehman Brothers ; ou encore d'abyssales pertes pour une banque et par un seul trader (affaire Kerviel), enfin mettant à genoux une nation entière (la Grèce, le Portugal, etc., et la prochaine, c'est... la France, assène Rainer Voss !) par des spéculations sur les dettes souveraines. Et les « bulles financières » à venir, qui vont gonfler puis éclater, forcément ?... Rainer Voss n'est plus concerné : il en a eu sa claque, il s'est retiré de l'hystérie, de la perversion, de la psychose maniaque du système.

Cette accablante interview devenue, par le montage, un long monologue qui tient du réquisitoire et de la confession, fut filmée dans les immenses bureaux désaffectés du quartier d'affaires de Francfort... Aucun humain en vue, juste du verre et de l'acier, des espaces mortellement gris. Au lointain, devant un ciel maussade, des gratte-ciels écrasants, et des grues qui semblent fonctionner toutes seules. Rainer Voss trace sur les vitres quelques simples équations mathématiques aux effets redoutables, il montre d'un geste las ce qui fut une salle des marchés bruissante, aujourd'hui silencieuse, déserte. Plus loin, dans cette tour inhabitée, un espace de réunion vaste, lugubre, impersonnel... Tout ce décor, moderne, fonctionnel et glacé, sans âme, s'imprime dans notre imagination en même temps que l'irréfragable discours de cet acteur et témoin nous confond. À un moment, des flocons de neige tombent, puis ils disparaissent, participant à l'atmosphère désolée, réfrigérante...
Le documentariste, par le choix du décor, la forme qu'il a donnée à son film, éliminant tout dialogue et tout ce qui peut distraire de cette attaque en règle, de cette démonstration, a fait converger éléments sensibles et arguments intellectuels. Avec Rainer Voss, il nous a instruits sur l'omnipotence irresponsable du système qui s'est mis en place. Sur ses effets catastrophiques passés et à venir.
Mais l'ultralibéralisme, dans son versant financier et spéculatif, fonce toujours sans régulations suffisantes et de manière rectiligne dans un mur d'illusions. Droit dans le faux.
Pierre Corcos
11-12-2014
 

Verso n°136

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