La 22e édition du Printemps des Poètes se tiendra du 7 au 23 mars, elle sera placée sous le signe du Courage à l'initiative de Sophie Nauleau. Après La Poésie à l'épreuve de soi, dédiée à l'Ardeur en 2018, Sophie Nauleau récidive, elle qui a « les yeux de Chimène pour les mots des poètes » depuis l'enfance. Ecrivain, elle n'est pas poète elle-même, mais elle sait tout de la poésie (elle est docteur en Littérature française). Elle sait tout aussi à propos de l'art et de son histoire (elle est diplômée de l'Ecole du Louvre). Elle maîtrise donc la poétique, mais elle n'en est pas restée à Aristote : elle est de ceux qui contribuent aujourd'hui à dégager une poétique du rythme comme poétique de la spécificité des oeuvres, la poétique de leur liberté et de leur histoire. Elle maîtrise en même temps l'histoire de l'art en train de se faire, et c'est pourquoi elle a demandé à Pierre Soulages le tableau qui, reproduit sur l'affiche de cette 22e édition, donnera le ton à cette dernière. Elle introduit cette même édition avec un succulent petit livre d'une grande densité : Espère en ton courage (80 pages, Actes Sud, 13 euros).
Une révolution dans la poésie en France s'est produite en 1973, quatre ans avant la naissance de Sophie, avec la publication de De la déception pure, manifeste froid (10/18) par André Velter et deux ou trois complices dont Serge Sautreau. La jeune Sophie a très vite pris le train en marche : « je ne crois pas que l'on se soit penché sur mon berceau pour me confier la mission d'entretenir le feu sacré des mots. » (p. 50) Il n'empêche : elle était là, le 11 mars 2002 à la Mutualité pour l'ouverture de la 4e édition du Printemps des Poètes, voulu en « meeting poétique » par André Velter et Claude Guerre, retransmis à la radio, qui réunissait deux mille personnes enthousiastes. « Il y avait cet immense tableau projeté de Vladimir Velickovic : son Homme de Muybridge montant les marches d'un escalier sans issue. » Dans son livre, Sophie Nauleau vagabonde avec une totale liberté parmi les poètes et les artistes, ses amis qu'elle n'a pas quittés depuis. Elle ne s'embarrasse pas des sciences du langage (qu'elle connaît parfaitement) : on la sent proche d'Eluard pour qui la poésie était d'abord « un langage sensible » et de René Char qui la définissait ainsi : elle « est à la fois parole et provocation silencieuse, désespérée de notre être-exigeant pour la venue d'une réalité qui sera sans concurrente. » (Sur la Poésie)
Ce que nous retiendrons ici surtout, c'est la profonde complicité de l'auteur avec les artistes plasticiens : c'est Ernest Pignon-Ernest qui réalisa l'affiche originale de L'Ardeur, c'est Soulages qui offre aujourd'hui le « Noir courage », mais Pignon-Ernest et Velter ne sont pas loin, qui écrivent dans Sur un nuage de terre ferme (Actes Sud, 2020) : « José Tomâs Român Martin/Est cet homme de noir courage,/Cet ombrageux qui resplendit de défi en défi,/Stoïque, irréductible, souverain. » Toute entière dans son écriture nourrie de sa grande culture et de ses souvenirs intimes, elle peut offrir des pistes « facultatives » au lecteur pris sous son charme. Si par exemple elle évoque un cinéaste : « Et Godard de mêler l'éternité rimbaldienne retrouvée au funeste cinq heures du soir de Federico Garcia Lorca », elle nous laisse libres d'aussitôt songer au Lorca de Motherwell et sa somptueuse série des Elegy to the Spanish Republic, lui qui, dans la n° 172, citait le poète : « Et tout n'était que mort et rien que mort/à cinq heures du soir/ ... Les blessures brûlaient comme des soleils/à cinq heures du soir ». Il y a beaucoup de gravité dans ce précieux petit livre, mais aussi de l'humour, par exemple à propos d'une photographie de Marc Riboud représentant une tortue traversant une route après le passage d'une voiture... De toute façon, Sophie Nauleau nous aura persuadés de faire nôtre la sentence de Christian Bobin qu'elle cite p. 52 : La poésie, c'est ce rien qui peut tout.
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