Sergio Birga a consacré une exposition, en 2011, à des « portraits de villes ». Ce florentin rendait compte de sa ville natale, bien sûr, et de Rome, mais aussi de Paris où il a choisi de vivre depuis un demi siècle. On remarquait en particulier Nocturne, une méditation sur les toits de Paris aux alentours de la rue Sainte-Apolline peinte en 2003. Nous retrouvons aujourd'hui Nocturne à l'espace Mailletz (17 rue du Petit Pont 75005, jusqu'au 4 avril) entourée par des tableaux récents exclusivement consacrés à Paris, parmi lesquels des vues de la ville depuis l'atelier de l'artiste. Birga habite rue Meslay. Ce qu'il observe ressemble à ce que voyait Cézanne lorsqu'il logeait en 1881-1882 au 32 rue de l'Ouest : il avait peint ce panorama une seule fois. Les toits de Paris (1882, 59,7 x 73 cm) que l'on a pu voir à l'exposition « Cézanne et Paris » au musée du Luxembourg en 2011 se caractérise par une atmosphère froide (ciel blanc sans nuages) et l'importance de la toiture en zinc du premier plan. Cézanne songeait sans doute à L'Assommoir de son ami Zola (la chute mortelle de l'ouvrier zingueur Coupeau l'avait beaucoup frappé). Rien de tel chez Birga, au-delà des constructions générales des compositions, semblables par leur traitement en trois plans bien distincts.
L'ancien peintre « politique » qui protestait dans les années 70 contre la destruction des Halles a fait place, depuis environ 1990, à un artiste assez proche en fait de Giorgio De Chirico, qui élabore son oeuvre en fonction d'une certaine poésie architecturale. Une poésie mélancolique quand il évoquait les usines Renault de l'île Séguin à l'abandon. Une poésie insolite à propos du Château d'eau de la Salpêtrière (2004). Une poésie désespérée quand il lui faut témoigner de Notre-Dame en flammes vue de son atelier (2019). Dans tous les cas, il y a une « magie des choses », selon les mots de Guillaume Apollinaire commentant les tableaux de Chirico, servie par une maîtrise complète de la technique. Birga pratique les glacis comme ses maîtres du Cinquecento. De même que Chirico, qui aurait voulu revenir à la détrempe, il s'intéresse aux aspects oubliés du métier de peintre.
La poésie architecturale peut laisser place à une forme de violence véritable dont témoignent aujourd'hui les vues de Notre-Dame dévorée par le feu ou, hier, Orage sur Beaubourg (2002). Birga ne se laisse pas facilement enfermer dans une étiquette : on a parlé de « réalisme magique » à propos de lui mais cela ne concernait qu'une partie de son travail. L'écrivain Dominique Fernandez ne s'y était pas trompé, qui écrivait en 1991 : « Peinture ambitieuse, hautaine, littéraire au meilleur sens du terme, qui atteste la poursuite d'un grand rêve visionnaire : accorder passé et présent dans une synthèse harmonieuse dont le tourment ni la violence ne sont exclus, comme en témoignent ces ciels agités d'une sombre fureur... » Birga réunit plusieurs peintres à lui seul, c'est clair, mais je précisai, à l'occasion de sa grande exposition au Centre d'Art Villa Tamaris en 2007, que j'avais éprouvé une évidence lors d'une visite d'une de ses expositions à la Ken's Art Gallery de Florence. Sergio Birga est peintre avant toutes choses, certes, mais aussi florentin. Un mot qui en français est synonyme de subtilité et de secret. Même quand il peint Paris, c'est du côté de Florence qu'il faut chercher le secret du charme indéfinissable de sa peinture.
|