Raymond Roussel, édition de Patrick Besnier & Jean-Paul Goujon, préface de Yann Moix, « Bouquins », Editions Robert Laffont, 1344 p., 32 euro.
Peut-on rêver écrivain plus étrange que Raymond Roussel (1877-1933) ? Ce riche excentrique (il a été plus connu pour ses douces folies que pour sa littérature pendant longtemps) a fini tragiquement à Palerme, dans sa chambre de l'hôtel des Palmes. Il y eut quelques articles pour faire part de l'événement en France, en particulier dans Paris-Midi (un article de Pierre Lazareff). Cette mort en des terres lointaines a inspiré un beau livre à Leonardo Sciascia, Actes relatifs à la mort de Raymond Roussel. De son vivant sa littérature a connu un insuccès total ! Seul le tout aussi extravagant Robert de Montesquiou, ami et modèle de Proust pour sa Recherche du temps perdu, l'a défendu et a publié un plaidoyer en son honneur. C'est le seul à l'avoir fait ! Les surréalistes se sont néanmoins intéressés à lui, en particulier André Breton dans son Manifeste du surréalisme, et puis Salvador Dalì, Louis Aragon et Paul Eluard. Mais cela n'a pas fait un public. Son théâtre a été tout aussi désastreux : les salles étaient vides. Et Dieu sait que le théâtre de cette Belle Epoque n'était pas très brillant. De nos jours c'est devenu un mythe, surtout depuis l'année 1989, lorsqu'on a découvert une malle Vuitton remplie de manuscrits. Ceux-ci sont édités. Et s'ils attisent la curiosité des lettrés parisiens, ils ne suffisent pas à le réhabiliter. La biographie écrite par François Caradec contribue à forger le mythe, et rendre le personnage encore plus singulier qu'on le croyait. Celui qui a permis la résurrection de Roussel n'est pas un homme de lettres, mais un philosophe. Il s'agit de Michel Foucault, qui écrit un essai à son sujet en 1963. Il fait mouche, car Foucault avait déjà acquis une certaine réputation.
Il est parti de son dernier livre, Comme j'ai écrit certains de mes livres, achevé en 1932. Cet ouvrage est tout sauf une méthode bien ordonnée. D'ailleurs, ce volume contient des éléments de cette manière si peu commune d'écrire qui a été la sienne, des fragments autobiographiques, des notes sur la littérature (il y affirme son amour jamais démenti pour Jules Verne) et diverses réflexions sur l'art de l'écriture. Il s'ingénue à expliquer une phrase où il est question d'une bande et d'un billard (qui pourrait tout aussi bien être un pillard) et on se perd dans le dédale de ses explications. Les exemples qu'il y donne montrent de quelle manière il s'y est pris, mais pas pourquoi ni quel a été pour lui le but à atteindre ! Tout ce qu'on comprend, c'est un amour sans frein pour la langue.
Mais Foucault n'a pas été rebuté par cette sorte de rébus que lui propose l'écrivain, que personne n'a su vraiment déchiffrer. Il prend même la chose très au sérieux car c'est une oeuvre testamentaire (elle n'a été publiée qu'en 1935). Il considère avoir délivré la clef de son aventure littéraire si incomprise, et aussi son secret. Foucault tente d'interpréter ces phrases qui, à nos yeux, n'ont pas de sens et s'est employé peu à peu à expliquer avec clarté ce que l'auteur a tenté de faire. Je ne sais pas s'il a raison ou tort, mais cela est très convaincant. Il analyse l'intrusion de Roussel dans « l'espace tropologique » du vocabulaire, - un espace qui n'est pas l'espace des grammairiens mais qui l'est tout de même en partie. Il le perçoit comme un lointain et bizarre successeur des grands grammairiens et rhétoriciens de notre langue, comme Du Marsais, avec des intentions bien différentes. Son étude demeure remarquable, indispensable, même si elle ne peut répondre à toutes nos attentes. Ce qui est certain, c'est que la recherche de Roussel échappe à la prose comme à la poésie telle qu'on les a connues jusqu'à lui et qu'il a entrepris un périple linguistique jouant sur des confrontations et souvent sur des opposés. De toute façon, si l'on entreprend de lire - un exemple au hasard - les Impressions d'Afrique - on ne peut pas être plus dérouté qu'en lisant Hebdomeros de Giorgio De Chirico, qui est un petit chef-d'oeuvre. Avec le recul temporel et l'expérience littéraire acquise depuis environ cent ans, son histoire n'est plus aussi échevelée qu'on pourrait le croire. Il faut la lire avec l'idée que le récit est aussi poésie où la raison n'est plus de mise. Il faut lire ces Impressions comme un trépidant roman d'aventure où l'exotisme a partie liée avec les sciences et les nouvelles techniques du tournant du siècle ! Sans compter un rien du Douanier Rousseau et pas mal de réminiscence du symbolisme qui triomphait alors. La difficulté réside dans le fait qu'il n'y a aucune comparaison possible avec un autre homme de lettres ! Mais si l'on pose sur ses mots un regard sans aucun préjugé, on peut se délecter de ces péripéties qui donnent naissance à un univers encore plus prenant et fascinant que celui de Marcel Duchamp, de sa mariée et de ses célibataires même. Pourquoi n'accepterons-nous pas en littérature ce que l'art a accompli quasiment à la même période ?
Le Chef-d'oeuvre inutile, Camille Saint-Jacques & Eric Surchère, « Beautés », L'Atelier contemporain, 136 p., 20 euro.
La préface pose le problème de ce que nous entendons de nos jours par chef-d'oeuvre. Ce n'est plus aussi important que cela a pu être, et même indisposant -, ce que je remarque moi-même. Mais il ne fait pas oublier que la notion même d' « oeuvre » a été remise en cause depuis plusieurs décennies. C'est bien d'ailleurs ce que souligne d'entrée de jeu Camille Saint-Jacques. Il inscrit cette question dans la perspective de l'éducation artistique et affirme que Pablo Picasso, pour ses Demoiselles d'Avignon, n'a pas eu de maître. Cela me paraît insatisfaisant. Mais El Greco a-t-il eu un maître ? Difficile à croire si ce n'est l'héritage des icônes. Harold Rosenberg avait déjà affirmé que la « tradition du nouveau » au XXe siècle avait balayé les anciens concepts de l'art. Le maître est remplacé par la « star », ajoute-t-il. Soit. De nos jours, la valeur d'un ouvrage d'art se fait dans les salles de ventes. Si c'est une affaire de mode, c'est aussi une question d'affaires : cette mode ne passera pas si facilement étant donnés les enjeux économiques. Ce que l'auteur nous dit de cette curieuse mode est plein de sagesse. Il raisonne avec clarté (ce qui est rare dans ce domaine spécifique). Il remarque que les images étaient rares au Moyen Age, ce qui est vrai, même si toutes les églises étaient décorées de peintures ou de sculptures. Mais il est vrai qu'il a fallu attendre l'invention de l'imprimerie et aussi la multiplication des gravures reproduisant des tableaux pour qu'on commence à voir une diffusion des oeuvres. Et il est vrai que le chef-d'oeuvre n'est pas un tour de force technique, mais une réalisation éthique et même métaphysique. Je ne crois pas en revanche que la photographie ait été la cause de la chute de la peinture. C'est une concomitance historique. Le XXe siècle a été un grand siècle pour la peinture, envers et contre tout. Les réflexions de l'auteur sur l'embarras qu'on peut éprouver devant ce qu'on désignait comme un chef-d'oeuvre est certainement dû au fait que notre regard, mais aussi notre pensée, ont changé. Que le chef-d'oeuvre ait disparu de notre vision n'est pas tout à fait exact : il suffit de songer au Guernica de Picasso. La seconde partie, où il est question de la beauté, est d'abord l'expression d'une volonté de l'artiste de se mettre à l'écart des catégories adoptées. Il revient sur la question contemporaine épineuse où la verticalité de l'oeuvre est remplacée par une horizontalité. Il recommande de créer sa « chambre à soi », ce qui est une gageure dangereuse. Puis il consacre un chapitre à la Madone de Antonio da Negroponte seconde moitié du XVe siècle) qui se trouve à Venise. Il a choisi ce peintre peu connu et cette composition qui l'est encore moins pour exposer sa propre conception du chef-d'oeuvre.
Ainsi peut-on comprendre quel est son véritable dessein en art. Dommage qu'il persiste à faire la comparaison entre art ancien et art d'aujourd'hui, car on a déjà bien assimilé sa leçon. Eric Surgère traite, exactement la même question. Mais il s'interroge surtout sur le nouveau contenu de la notion de chef-d'oeuvre. Il examine avec beaucoup de précision les différents moments de la modernité (qu'il divise en quatre périodes). Ce n'est pas inintéressant, car il voit le tout comme une suite continue de métamorphoses plus ou moins accentuées. Ce qui est pertinent, c'est qu'il formule des hypothèses qui nous forcent à nous interroger sur ce glissement de terrain émotif et théorique. Ses considérations sont très utiles pour ne pas verser dans le schématisme ou dans les idées reçues. Il analyse aussi la perte de l'absolu. Il est exact qu'il serait utile de ne pas mesurer la démarche de Jeff Koons à l'aune d'un quelconque absolu ! Ce livre est une belle introduction à quatre mains sur une question qui ne cesse d'être de plus en plus gênante et pourtant incontournable.
Les Années heureuses, Cecil Beaton, traduit de l'anglais par Robert Latour, « Domaine étranger », Les Belles Lettres, 352 p., 13, 90 euro.
Cecil Beaton (1904-1980) est sans l'ombre d'un doute le photographe anglais le plus connu du XXe siècle. Il a commencé par faire des photographies de mode et des portraits. Son talent a été reconnu assez tôt puisqu'il a eu sa première exposition personnelle en 1926. Il travaille pour l'édition américaine de Vogue comme illustrateur, puis collabore au British Vogue à partir de 1931. Il est aussi un des photographes employés par d'autres magazines prestigieux comme Vanity Fair et Harper's Bazaar. Il fait le portrait du couple royal britannique en 1937. Il est aussi allé à Hollywood faire des portraits de vedettes avant la guerre. Son métier lui a permis de connaître un nombre considérable de personnalités. Dans ce livre de souvenirs, il part d'une période particulière, qui est la fin de la guerre à Londres. Puis il décrit le Paris de la Libération, où l'on voit apparaître Jean Cocteau et Pablo Picasso, Gertrude Stein et Alice Toklas, Colette, Gide et Henri Bérard (parmi tant d'autres). Il avait été envoyé par le gouvernement de son pays pour préparer une exposition en France sur le Blitz Krieg et ses ravages énormes.
Sa vision de la France après l'Occupation est sans doute fragmentaire et superficielle, mais il comprend bien que cette terrible période a laissé des blessures profondes. Il se rend à New York en 1946 et commence cette fois à travailler pour le cinéma à Hollywood. C'est alors qu'il rencontre Greta Garbo et en tombe follement amoureux. Cet ouvrage (qui n'est qu'un livre parmi tant d'autres qu'il a écrits - ses journaux, par exemple, comptent six volumes) relate cette liaison passionnée. Il a eu le don (rare) de raconter une existence exceptionnelle qui lui a fait connaître écrivains, artistes vedettes du cinéma, hommes politiques de premier plan (il parle souvent de Churchill et évoque De Gaulle). Ainsi se révèle-t-il le témoin de plusieurs décennies avant et après le conflit mondial avec une manière de raconter très sobre et très enjouée, sans jamais se mettre au centre des événements, et sans non plus aller au-delà de ses fonctions.
Il est à souligner qu'il a aussi réalisé des costumes pour la scène et le cinéma, dont ceux de My Fair Lady de Alan Jay Lerrier & Frederick Liewe, puis de la version cinématographique de George Cukor Gigi de Vincente Minnelli. Un témoignage, oui, mais un peu plus : un regard sur les personnages qui ont marqué profondément leur temps et souvent sur notre époque. C'est une merveilleuse randonnée dans le temps et dans les grands mythes d'un passé récent.
Les Myrtilles du Moléson, Guivanni Orelli, traduit de l'italien (Suisse) par Renato Weber, La Baconnière, 220 p., 20 euro.
J'ai toujours un peu d'appréhension quand j'ouvre les premières pages d'un livre écrit par un contemporain. Cette fois, cela a été une bonne surprise. La première nouvelle, qui a donné son titre à ce recueil, est pleine de charme et est d'une lecture plaisante. Rien ici de très original dans l'écriture, mais cela importe bien peu. Ce qui compte, c'est que son écriture véhicule une vision qui soit originale et passionnante. Tout commence ici par une rencontre. Notre personnage en est arrivé à ses quatre-vingts printemps, et il rencontre Fausta, qu'il prend pour Amaryllis, qu'il n'avait plus revue depuis soixante-cinq ans. Mais Fausta se trouvait elle aussi au pensionnat Cette rencontre inattendue le ramène à l'année 1943, quand il se trouvait chez les soeurs. Amaryllis lui plaisait beaucoup. La vie sous la coupe de la vice-mère supérieure n'était pas une partie de plaisir, sans que jamais sa sévérité ne soit excessive ou injuste. Et les enfants ne souffraient pas, bien au contraire. La nature leur offrait un terrain de jeu infini. Le récit n'est pas linéaire. L'auteur relate des moments de ce séjour à Moléson, avec ses plaisirs et ses désagréments. Myrtil et Amaryllis ont des liens privilégiés. Ils se racontent les histoires des Paladins de France, toutes ces aventures chevaleresques de ce que les enfants ont pu savoir des événements au cours de leur scolarité ou chez eux. Sur les flancs de cette montagne aux environs de Fribourg, tout est si paisible alors que le monde est en flammes. Les enfants imaginent des péripéties héroïques ou chevaleresques au milieu de ce décor somptueux et paisible. De ce qui ne pourrait être que l'évocation de souvenirs d'enfance comme on en a connus tant, l'auteur est parvenu à recréer un univers où convergent tant de choses diverses, qui semblent se contredire, qui finissent par donner naissance à un univers à la fois enchanté et mythique. L'histoire de Julien et de Fausta s'est changée en une suite de réminiscences poétiques et pleines de charme et de suggestion. Tout semble idyllique et merveilleux, mais derrière se cachent des sentiments et des passions qui auront des conséquences sur la vie de ces gamins.
Les autres nouvelles recueillies dans ce livre sont étonnantes : elles ne ressemblent à rien de ce qu'on a pu produire dans la péninsule ces dernières décennies. C'est assez irréel en général et le canevas repose sur des thèmes « classiques » comme dans « Carnaval comme en Chaldée ou dans la merveilleuse pièce d'écriture qu'est « Mourir de rire ». Mais rien à voir avec Italo Calvino ou Alberto Savinio. Giovanni Orelli (1928-2016), qui est originaire du Tessin et qui a vécu surtout à Lugano, D'ailleurs le titre de cet ouvrage est inspiré par une montagne de sa terre natale. C'est une belle découverte, car sa manière de narrer les choses est inégalable. Il parvient à faire le lien entre différentes strates de notre culture avec humour et profondeur - l'humour si particulier qui est le sien ne va pas dans le sens de la dérision, mais dans celui d'une volonté d'embrasser différentes sphères de son expérience vécue et de sa grande culture.
Petit manuel de bonheur à l'usage des entrepreneurs... et des autres, Robert Misrahi, dialogue avec Denis Lafay, illustrations de Pascal Lemaître, L'Aube, 152 p., 15 euro.
Il faut en premier lieu que je vous dise que Robert Misrahi a été un de mes professeurs pendant mes longues et décevantes études. Il fait partie de cette minorité de professeurs qui m'ont apporté quelque chose. Son dada, c'était Spinoza et point de salut en dehors de lui ! Mais j'y ai appris beaucoup. Cela ne m'a pas converti à la notion de bonheur, comme valeur absolue de l'humanité. Il faut se souvenir de la phrase Saint-Just, et de son contexte : « Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Si pour lui, la vertu venait avant toute chose (il faut prendre ce vocable dans le sens originaire, qui est celui du respect des lois de la société et de leur défense), le bonheur du peuple devrait en résulter. Voilà ce qu'on pensait au sein de la Montagne. La grande question, est qu'on s'est fait une idée différente du bonheur au cours des siècles. Dommage que le préfacier n'ait pas développé un peu ce point pourtant fondamental. Quant à Robert Misrahi, il est spinozien jusqu'au bout des ongles et on peut rapidement comprendre son point de vue sur la question. Mais il avance des réflexions qui font se jouxter des notions voisines. Je ne prendrai en considération que celle du désir : l'accomplissement du désir conduit-il nécessairement au bonheur ? On peut se le demander quand on considère l'oeuvre de Sade : le désir ne fait qu'accroître le désir, comme si c'était une sorte l'algorithme qui, du désir initial, engendrerait d'autres désirs plus fous. Ce n'est pas de l'ordre de la félicité, mais de l'obsession maladive. Et puis la satisfaction d'un désir plus simple peut n'amener qu'à un contentement momentané. Les besoins de l'homme, quand ils sont assouvis peuvent apporter une belle satisfaction, mais est-ce là le bonheur puisqu'ils ne font que se reformuler ? Le plaisir, même plus élevé, n'apporte pas cet état qui est une manière de vivre dans le monde. Quand Misrahi parle de désir de joie, il nous fait penser au célèbre morceau de Beethoven. Une bonne partie des compositions de Mozart sont liées à la jouissance (Soren Kierkegaard l'avait bien expliqué dans Les Etapes érotiques spontanées). Il constate que souvent l'homme considère que l'atteinte du bonheur est inaccessible. Dans le domaine social comme dans le domaine économique, l'épanouissement ne peut se faire qu'en relation avec d'autres centres que soi-même. La concurrence supposée en est l'ennemi. De plus il fait prendre en ligne de compte la religion, où la souffrance est déterminante. De question en question, Misrahi affine et développe ce qu'il entend comme étant le bonheur individuel et le bonheur collectif. C'est une sorte de quête personnelle qui n'aboutit vraiment que lorsque toute la société la tient pour une valeur principale. Je vois la chose comme une sorte d'utopie (c'est déjà ce que j'avais ressenti en étudiant Baruch Spinoza). Mais ce livre est un excellent moyen pour affronter cette problématique qui se double ici de l'esprit d'entreprise. Il est indispensable pour méditer sur la question.
Un amour à Waterloo, François Bott, La Table Ronde, 128 p., 14 euro.
Cet ouvrage rassemble quelques nouvelles récentes de cet homme qui a joué un si grand rôle dans le monde littéraire français. C'est lui qui a fonde Le Magazine littéraire, qu'il a quitté pour diriger « Le Monde des livres », supplément hebdomadaire du grand quotidien. Il a aussi collaboré longtemps à L'Express. Mais, comme beaucoup de journalistes importants de la presse culturelle, sa propre oeuvre est peu connue. Il a pourtant écrit des romans et des essais qui ne sont pas négligeables. La première des nouvelles que l'on trouve dans ce livre et qui lui a donné son titre est l'histoire de la relation passionnée entre un historien, René, et sa collaboratrice, Marianne. Mais la passion à laquelle je fais allusion n'est pas celle d'une grande histoire sentimentale, mais la passion qu'il partage pour la figure de Napoléon Bonaparte. Ils travaillent ensemble, passent des soirées à discuter sur cet homme qui a tant de facettes, et imaginent de nouveaux travaux.
Depuis son retour des Etats-Unis, après la Libération, René (nous ne le connaîtrons que sous ce prénom) a repris ses chères études et s'est remis à écrire sur l'empereur des Français. Il lui est venu l'idée d'étudier son idole à travers les écrits de tous ceux qui ont écrit sur lui, de Stendhal à Alexandre Dumas, de Léon Bloy à Chateaubriand. Il décide avec Marianne de se partager la tâche en se répartissant les auteurs. De l'appartement de l'un rue de Seine à l'autre, rue Mazarine, leurs discussions sont la construction d'un imaginaire autour de celui que Hegel avait qualifié d' « âme du monde ». En même temps, la personnalité de cette jeune femme, assez complexe, est peu à peu révélée, mais jamais tout à fait. C'est le récit d'une complicité qui est bel et bien une relation amoureuse. Mais qui se tourne vers le passé. C'est charmant et en même temps intriguant. Les autres nouvelles qui composent ce petit recueil sont très brèves par rapport à celle-ci. Et le nom de Napoléon y revient encore, en particulier avec l'étrange histoire de ce Pierre Bonaparte. Elles ne sont pas à dédaigner. François Bott est d'une lecture agréable et sans emphase aucune.
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