Le peintre a découvert son site et il s'y installe... Les formes, les couleurs, la luminosité qui résident en ces lieux, soit qu'elles le surprennent et ravissent, soit que les ayant déjà pressenties en lui-même il les cherchait confusément dans le monde, le peintre va les poser sur sa toile, avec cette régularité attentive des amoureux qui ont enfin trouvé la véritable élue. Les variations du ciel, les éléments du paysage, la vie des autochtones, il les étudie, les dessine et les peint sans jamais s'en lasser. On le dit alors « peintre spécialisé » : certains critiques estiment qu'il est perdu, d'autres prétendent au contraire qu'il s'est trouvé. Plus tard, la commune, le village ou la ville qui jouxtent le site lui rendront hommage : le peintre n'a-t-il pas en quelque sorte « inventé » ce lieu (qui signifiera plus par ses représentations que par sa réalité) autant que le lieu aura « fait » sa peinture ?... À la seule réserve que l'intéressante et riche exposition L'invention d'Étretat - Eugène Le Poittevin et ses amis à l'aube de l'impressionnisme se déroule, pour des raisons d'infrastructure muséale, à Fécamp, jusqu'à la mi-novembre, il en fut ainsi pour Eugène Le Poittevin (1806-1870) et le site d'Étretat.
Auparavant Bonington, Delacroix, Hugo avaient certes, en romantiques, adoré le lieu, la trouée de sa falaise, les nébuleuses intermittences du ciel et les colères liquides de l'océan. Mais ils ne firent que passer... Eugène Isabey (1803-1886), peintre de marines, s'y installa six mois et peignit Étretat avec plus de constance, il fit connaître le site à d'autres peintres (dont Le Poittevin) mais, infidèle, partit séjourner à Honfleur. Seul Eugène Le Poittevin s'éprit d'Étretat au point de construire un atelier près de la plage, puis une maison au creux de la vallée. La villa « La Chaufferette » accueillit bien des peintres, dont l'immense Courbet en 1869... Le Poittevin, qui débuta sa formation artistique dans l'atelier d'Auguste Xavier Leprince (1799-1826), un paysagiste féru de scènes vivantes, garda l'empreinte de la peinture romantique, et fut inspiré par la peinture hollandaise, étudiée lors d'un séjour aux Pays-Bas. Lui enfin qui prolongeait sa carrière de peintre de marines découvrit à Étretat tout à la fois les amplitudes romantiques de fonds paysagés, et les scènes animées des pêcheurs locaux (plus tard des baigneurs venus de Paris) auxquelles son réalisme pouvait se complaire. Voilà donc motifs et manières : Étretat était bien le lieu idéal ! L'artiste pouvait ici traiter de scènes diverses liées au monde maritime : mers, tempêtes, vie des pêcheurs, attitude des baigneuses, mais aussi bien poissons, cabestans et caïques... Il était en quelque sorte chez lui pour peindre des Pêcheurs de rocaille au pied de l'aiguille d'Étretat aussi bien que le portrait de Madame Blanquet devant la porte d'Amont à Étretat (c'était l'épouse de Césaire Blanquet, propriétaire de l'hôtel « Au rendez-vous des artistes », dont l'enseigne fut peinte par l'artiste), ou encore dessiner des têtes, des costumes de baigneuses. Il était tellement chez lui qu'à sa mort, il y a 150 ans, aux artistes, aux bourgeois se mêlèrent des marins d'Étretat durant la messe...
Comme Charles Mozin (1806-1842) le fut par Trouville, Eugène Le Poittevin, peintre post-romantique réaliste et approchant de l'impressionnisme, fut vraiment inspiré par Étretat. Observons ce charmant Paysage maritime (1844 ?) : les falaises du côté gauche, d'un gris rose pâle, et la tête de cabestan évoquent bien Étretat, l'azur léger du ciel garde des connotations romantiques, quand la plage de sable nous rappelle quelques peintres hollandais. Les personnages réunis dans ce plaisant pique-nique font scène de genre du XVIIe siècle. La transparence humide, lumineuse, idéalisée du tableau le situent, autant que ses anachronismes, dans un monde utopique, enchanteur. On préfèrera donc cette oeuvre au bien connu Bains de mer à Étretat (1866), qui reste autant une étude sociologique pour les historiens qu'un jeu de devinette pour les connaisseurs (le peintre s'est représenté derrière la barque, le plongeur est le jeune Maupassant, etc.). Car la faiblesse (mais aussi le succès commercial en son temps) du peintre tient à sa propension à l'anecdote, bien léchée, qui plaît tant aux bourgeois. Un peintre à succès, notre Eugène Le Poittevin, croulant sous les commandes et voué par là même à ne plus prendre de risques !... Et c'est toute cette histoire de succès, de fidélité à un site et d'amitiés picturales que nous raconte élégamment l'exposition - par ailleurs labellisée par le Festival « Normandie Impressionniste », dont c'est la quatrième édition - au musée de Fécamp « Les Pêcheries ». Les commissaires d'exposition, Marie-Hélène Desjardins, par ailleurs directrice du musée, Laurent Manoeuvre et Nadège Sébille, ont fait en sorte que, regroupant toiles, lithographies, dessins, photographies, objets divers, et à travers plus de 70 oeuvres, l'exposition L'invention d'Étretat, Eugène Le Poittevin et ses amis à l'aube de l'impressionnisme se voit autant consacrée au peintre, aujourd'hui oublié, qu'à son cercle d'amis, d'élèves, et qu'à Étretat, à sa notoriété croissante. Les commentaires proposés se déduisent du projet global, aussi bien historique qu'esthétique. Voilà pourquoi il n'est pas plus nécessaire de connaître ce peintre qu'aimer la peinture pour courir voir l'exposition.
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