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[verso-hebdo]
09-04-2020
La chronique
de Pierre Corcos
Grâce et picturalité d'un cinéma
Quand il y a cinq ans on interrogea, dans le quotidien « Libération », le réalisateur taïwanais Hou Hsiao Hsien sur la picturalité de ses plans, il répondit qu'il était très sensible à la peinture, mais sans se référer à aucun peintre en particulier, ajoutant : « Je partage avec eux l'intérêt pour la construction de l'espace et de la couleur. Avec ma décoratrice et mon assistant à la réalisation, on porte beaucoup de soin à la mise en place, aux lumières ». Les rétrospectives assez fréquentes concernant l'oeuvre de ce cinéaste (ou le visionnage sur des plates-formes dédiées au cinéma) donnent l'occasion de revoir Millenium Mambo (2001).
Si la grâce est une valeur esthétique correspondant à un idéal de beauté dans le mouvement, et si la picturalité d'un cinéma tient en ce qu'un plan isolé, arrêté fait en lui-même peinture, alors les très longs plans-séquences, chorégraphiés et picturaux, de ce film particulier (et globalement de ce cinéma) en créent la magie, l'enchantement.

L'histoire de Millenium Mambo est simple, et le scénario peut même sembler indigent. Ce qui exalte d'autant plus les qualités formelles de l'oeuvre que le scénario demeure, quand même, ce sur quoi tant de producteurs s'engageront pour un film... La jeune et charmante Vicky (gracile Shu Qi) entretient une relation ambivalente avec Hao Hao, abusif et jaloux. Elle peut enfin échapper à cette passion délétère grâce à Jack, plus âgé et protecteur, avec qui elle s'enfuit. Mais ce dernier, pris dans des affaires louches, disparaît. Vicky se retrouve seule et libre, prête à affronter les banales frustrations de la vie adulte... Bien entendu la description d'un milieu, d'un mode de vie, substrat d'un scénario, peut offrir un intérêt non négligeable. Ici nous évoluons dans une marginalité taïwanaise oscillant entre vie de bohême (Hao Hao ne travaille pas, dérobe la Rolex de son père, et se drogue pour échapper au service militaire) et affaires délictueuses (Jack est un demi-mafieux, il possède un revolver). Le film alterne les soirées animées en boîte de nuit et le sordide habituel de la drogue, des rixes ou des perquisitions policières. Entre deux rasades de whisky sur glaçons, Vicky fume tout le temps, et son « travail » dans un dancing ne peut qu'être frustrant. Dès le début du film, on apprend qu'elle possède 500 000 NTS (monnaie taïwanaise) et qu'elle quittera Hao Hao quand elle les aura dépensés. Le spectateur voit bien qu'il s'agit ici d'une marginalité relativement dorée, même si des différences de milieux suggérées entre Vicky et Hao Hao rendent compte partiellement de la jalousie morbide de ce dernier. On comprend également que Vicky (tout comme certains jeunes dans les classes moyennes ou aisées des nations riches) ne vise en fait qu'à retarder, dans cette bulle passionnelle, alcoolisée, intemporelle, l'entrée dans une vie adulte normale et plate... Avec cette base scénarique minimale, un médiocre cinéaste réaliserait un film si ennuyeux qu'il s'empresserait de l'enrichir de maints rebondissements, d'intrigues connexes et de nombreux personnages secondaires ! Mais Hou Hsiao Hsien, lui, s'est contenté d'une seule incise, charmante, dans son histoire : un court voyage, enneigé et merveilleux, au festival du film de Yubari au Japon (discret hommage du réalisateur aux grands du cinéma), où Vicky est invitée par deux copains.
Cette histoire simple, classique, et rien d'autre a suffi à Hou Hsiao Hsien pour réaliser « un diamant de cinéma, une merveille, un trip expérimental et un objet de pure fascination », comme s'exclama le critique enthousiaste des « Inrockuptibles » à la sortie du film.

Une voix off, tendre et féminine, raconte l'histoire avec un temps d'avance sur ce que le film se charge de montrer. Cette narration contribue à ôter tout suspense à l'action, déjà réduite, mais également à créer une profondeur de sagesse : voilà, ça se passait en 2001 à l'orée de ce vingt-et-unième siècle. Une histoire de jeunesse parmi tant d'autres... Comme une subtile métaphore de ce qu'est pour Hou Hsiao Hsien le cinéma, l'une des premières scènes du film se passe dans une boîte de nuit où, devant une joyeuse tablée, un jeune homme parle du brevet de magicien qu'il vient d'obtenir, et fait avec quelques pièces de monnaie un tour de passe-passe qui charme tout le monde et en particulier la jeune Vicky. Magie et ravissement... Or c'est le spectateur qui est tout de suite enchanté par le filmage de la scène : doucement la caméra ondoie, enveloppant les nuances bleutées, les lumières et les reflets autant que ces visages adolescents. Le directeur de la photographie, Mark Lee Ping Bin (qui a collaboré notamment au splendide Café Lumière de Hou Hsia Hsien, mais aussi à l'éblouissant In the Mood for Love de Wong Kar-Waï), investi dans l'esthétique pictorialiste du cinéaste, oscille continuellement du figuratif à l'abstrait en nappes de couleurs. Et, quand Vicky rentre ensuite dans le studio qu'elle partage avec Hao Hao, ce n'est pour le spectateur qu'un long flou pictural, un doux miroitement. Même la perquisition de la police est filmée à travers un rideau de perles... De séduisantes images embrumées se succèdent, tandis que l'élément neige vaut ici pour son évanescence, sa bouddhique impermanence. Pas plus de dialogues nourris qui viendraient littérariser ce cinéma que de musiques de film pouvant fausser, ou alourdir, la grâce et la plasticité de Millenium Mambo. Inutile de chercher ailleurs le véritable contenu, le message profond du film... Résistance à toute pesanteur didactique.
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
09-04-2020
 

Verso n°136

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