C'était il y a exactement vingt ans ; Rezvani (écrivain, et lui-même peintre) publiait un roman, L'Origine du monde, où il était question d'un certain Bergamme qui s'était emparé du célèbre tableau de Courbet. Extrait : « Plus d'Origine du monde ! Plus de ces groupes conduits par de prétendus historiens de l'art leur expliquant que « ce tableau est le point d'aboutissement de toute la peinture ayant pour objet la représentation de la femme », et qu'au-delà de cette Origine du monde il ne pourra enfin subsister qu'un art dégagé de tout sujet, et même plus d'art du tout : vidéos, installations... mais ce qu'on a nommé jusqu'à présent peinture, jamais plus... » Comme pour démentir Rezvani, Catherine Viollet présentait dès 2001 à l'Hôtel de Lassay (résidence du président de l'Assemblée nationale) son Hommage à la Commune de Paris, qui était de la peinture, évidemment.
Un peu plus tôt, en 1993, elle avait participé à un Eloge de la peinture au Musée de Toulon et, encore un peu plus tôt, elle figurait parmi les purs peintres de la scène française que j'avais réunis en 1986 à Berlin sous le titre L'art au présent en France. Bref : face à une certaine mode dénoncée par Rezvani, Catherine Viollet faisait de la résistance. Elle continue bien entendu aujourd'hui, et il est urgent d'aller voir son exposition Circulations à la Galerie municipale Jean-Collet de Vitry. Ces couleurs et ces lignes sont dans un perpétuel état de dé-liaison : c'est tout le sens de la recherche de Viollet, et elles forment un inlassable chant d'amour à la peinture. Dans sa vie d'artiste, Catherine a dû surmonter un double handicap : être femme, être peintre. Elle a observé avec philosophie les tonitruantes proclamations en faveur de l' « heure des femmes », celles de Harald Szeemann en particulier privilégiant les Ann Hamilton, Pipilotti Rist, Paola Pivi ou Samira Makhmalhaf, toutes excellentes artistes, certainement, mais ne pratiquant en aucun cas la peinture et lui préférant l'installation, la vidéo et le cinéma. A Vitry, allez contempler silencieusement la belle série des Météores (2020) par laquelle Viollet médite sur une phrase de Descartes. Il ne s'agit que de peintures.
Ces Météores, observe très justement Françoise Docquiert, « ne se retrouvent dans aucun champ de la peinture contemporaine. Viollet, dans sa pratique, déjoue toute inféodation. En poursuivant avec les Météores ses recherches sur le geste, le dessin, la matière de la toile, Catherine Viollet produit une série de variations combinées, non closes, permutatives, porteuses de sensations, réservoirs de sensibilité, lieux de transpositions... » Catherine Viollet doit une bonne part de sa notoriété à une initiative historique de mon génial ami le regretté Bernard Lamarche-Vadel. Avec l'exposition Finir en beauté, en 1981 elle a été incluse par ses soins dans la Figuration libre une fois pour toutes. Elle ne la renie pas, bien sûr, elle a même accepté de participer à la récente exposition Libres figurations, années 80 au Fonds Leclerc pour la culture de Landerneau. Elle y avait envoyé (malicieusement peut-être ?) son superbe Paravent de 1982. Cet ensemble acrylique sur carton et linoléum collé semblait se situer à des années lumières de ses camarades les frères Di Rosa ou Combas qui étaient alors dans la plus radicale des provocations graphiques. L'exposition de Vitry a été prolongée jusqu'au 18 octobre : il ne faut surtout pas la rater.
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