L'italien designo (dérivé du latin designare) signifie « conception » et « dessin ». Le dessin est à la fois concept, idée présentée (le mot design le rappelle) et représentation des apparences du monde. Traditionnellement, l'artiste suivait son dessein en exécutant plusieurs essais qui, de l'esquisse au « carton » - image de l'oeuvre à réaliser - en passant par le modèle, constituaient des étapes préparatoires... Bien, mais pourquoi s'attarder sur des ébauches, des expérimentations ? Il se trouve en fait que ce virtuel dessiné au crayon ou à la plume, cette fraîcheur du trait, cette promesse de la figure, cette émergence de la forme suscitent une émotion esthétique. En effet l'amateur tente d'imaginer, de connaître cette forme en gésine (plus exactement de co-naître, naître avec elle) et, à son niveau, se fait co-auteur d'une oeuvre à finaliser... Bien sûr, il existe également le dessin pris comme art autonome, expression à part entière : c'est autre chose. Ce dont il est question ici, et dans l'exposition Studi & Schizzi - Dessiner la figure en Italie 1450-1700 (du 15 février au 10 mai à la Fondation Custodia, si levée du confinement en mai), c'est seulement d'études et esquisses. De cette « confession involontaire », comme l'écrivait du dessin le grand collectionneur Frits Lugt, puisque nous surprenons l'artiste dans ses recherches, trouvailles, hésitations. Nous découvrons les premiers gestes de l'inspiration, les matérialisations initiales de l'idée. La pratique du dessin comme accompagnement nécessaire du questionnement formel auquel les artistes étaient à cette époque confrontés, voilà ce que 85 dessins sélectionnés dans sa collection de 600 dessins italiens, l'exposition de la Fondation Custodia nous a invités à apprécier, admirer.
Quelle est l'attitude humaine la plus juste pour porter au mieux le récit de l'oeuvre, ce qu'elle narre ? L'artiste tente quelques possibilités sur une ou plusieurs feuilles. Étudier la figure, le corps humains a longtemps occupé, dans l'esprit des artistes, une place privilégiée. Comment le corps se meut, s'exprime ? L'étude d'après l'observation d'un modèle vivant restait, dans les ateliers en Italie au XVIe siècle, une pratique fondamentale, et les pentimenti (les repentirs) concrétisaient les multiples efforts de l'artiste pour mieux comprendre l'anatomie, et/ou trouver la meilleure expressivité d'une attitude. Dans cette première partie de l'exposition (il y en a quatre : Étudier la figure - Assembler les figures - Composer - Étudier la lumière. On aurait pu proposer à la commissaire d'exposition, Maud Guichané, d'autres questions encore, mais celles-là étaient incontournables), on remarquera Cinq études pour Marie-Madeleine (vers 1620) de Guercino : les sentiments divers aux différents moments du récit de la Crucifixion se traduisent ici par des attitudes théâtralisées entre lesquelles l'artiste aura dû choisir. Mais, pour l'amateur déjà, cette ligne légère et ces judicieuses taches de lavis se suffisent à elles-mêmes, bien avant la peinture La Crucifixion avec des saints (1624-1625). On trouve ensuite une sous-partie intéressante sur le potentiel expressif des détails anatomiques : les bras, le torse, les jambes, les mains surtout. De quelles manières les rendre « parlants » dans tel ou tel contexte ? Comme souvent à la Fondation Custodia, les commentaires proposés dans l'épais livret offert sont à la fois éclairants et référencés... La problématique de l'assemblage des figures, qui suit, révèle un subtil questionnement dont celui qui est extérieur à la création n'a pas la moindre idée. Interactions hautement signifiantes entre les personnages, dynamique d'ensemble à apprécier (il peut ne s'agir que de trois figures ou... d'une foule entière), prise en compte de la profondeur dans un espace à deux dimensions. On s'attardera sur Quatre apôtres assis à une table de Poccetti, dessin préparatoire aux figures situées à droite de la fresque La Cène : cette craie noire sur papier bleu montre admirablement comment ici l'attitude de chacun s'agence avec celle des autres. La troisième partie, « Composer », nous rappelle les lourdes contraintes auxquelles, lié par un contrat, l'artiste était tenu de se soumettre : cadre où l'oeuvre devait s'inscrire, matériaux utilisés, iconographie, prix. Et par conséquent les dessins préparatoires, absolument nécessaires, nous font voir la manière dont certains artistes transforment ces contraintes en trouvailles. On appréciera par exemple comment ce Saint-Laurent (vers 1575) de Macchietti, dessin estompe et sanguine devant préparer un tondo, adapte ingénieusement l'attitude du saint à l'arrondi du cadre... Enfin, la quatrième partie, « Étudier la lumière », met en valeur les différentes solutions graphiques apportées lors des études préparatoires pour maîtriser cet élément qui, dans une oeuvre, joue à la fois sur ses formes, volumes et son expressivité. Cette Tête d'une jeune femme (vers 1517) d'Andrea del Sarto, dessin à la pierre noire sur papier gris, met en valeur la maîtrise d'un clair-obscur jouant avec finesse sur le modelé du visage...
Très pédagogique, cette exposition ? Sans aucun doute, et mieux qu'on le croit.
Si l'on comprend que la pertinence des questions qu'ils se posaient, l'originalité des réponses qu'ils inventèrent, la pesanteur des contraintes et des codes qu'ils subissaient, et la maestria avec laquelle ils s'en jouèrent parfois, contribuent à définir les bons artistes d'alors, on pourra mesurer une fois encore, avec nos yeux d'aujourd'hui, l'écart énorme avec le paradigme de l'art contemporain.
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