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[verso-hebdo]
02-04-2020
La chronique
de Pierre Corcos
Démettre en formes
Avez-vous remarqué, lorsque les gens sont photographiés, cette inclination assez fréquente à prendre des postures, des attitudes que l'on pourrait vite qualifier de « fantaisistes » ? Ils se mettent en oblique et/ou se tiennent sur une seule jambe et/ou font des gestes pareils à des sémaphores avec leurs bras, etc. Comme s'ils défiaient l'orthogonalité d'une posture verticale sur un sol horizontal dans un espace social normé par les conventions. Ce faisant, ils réalisent sans même s'en rendre compte des « sculptures » vivantes éphémères que la photographie se charge d'enregistrer... Cette remarque, apparemment anodine, pourrait bien servir de préparation (il en faut sans doute une) à la grande exposition des photographies de l'artiste autrichien Erwin Wurm, exposition que l'on pourra voir jusqu'au 7 juin 2020 à la Maison Européenne de la Photographie, quand ce lieu sera réouvert au public.

Oui, se préparer à une exposition que l'on serait tenté de réduire à une forme systématisée d'espièglerie. Sauf que cette dernière - son étymologie vient nous le rappeler - a une joyeuse référence littéraire de vivacité et d'éveil à agiter comme la marotte d'un bouffon devant nous, et qu'ensuite il ne s'agit pas seulement d'espièglerie... L'artiste conceptuel Erwin Wurm se sert largement de la photographie pour archiver ses oeuvres et performances, qui procèdent à la fois d'une dimension sociocritique (défi à l'égard des conventions sociales) et d'une réflexion sur les métamorphoses et jeux du corps en rapports insolites avec les objets. Les commissaires de l'exposition, Simon Baker et Laurie Hurwitz, ont pris deux étages et plusieurs salles pour nous montrer, nous aider à comprendre une démarche à la fois physique (le corps est très présent) et cérébrale, Wurm procédant par séries, épuisement d'une « idée ».
Prenons par exemple 59 ou 69 positions : c'est une série de photos où un modèle porte de multiples façons, toutes inappropriées, le même vêtement, contrariant ainsi nos habitudes mais aussi créant des sculptures (Erwin Wurm désigne ses oeuvres comme des « sculptures photographiques »), interrogeant ce lien devenu banal, inconscient entre la forme du vêtement et celle de notre corps. Dans la photo Jakob/Jakob fat, c'est le même personnage avec la même chemise, mais dans un cas il est mince, et dans l'autre il a épaissi (chemise rembourrée) et son attitude a changé. Dans sa grande et étonnante série One Minute Sculptures, Wurm propose à des participants volontaires d'adopter à l'égard de différents objets du quotidien des attitudes dysfonctionnelles, surprenantes, absurdes, durant une minute : le résultat, perturbant, bouleverse notre relation aux objets, voire notre perception des objets (puisque percevoir l'objet, c'est aussi savoir s'en servir). Cet homme face à un mur, des produits d'entretien interposés entre le mur et lui, nous fait douter un instant du statut de ces objets. Cette femme habillée de noir, allongée au sol les bras en croix, repose en fait sur une vingtaine d'oranges qui deviennent autre chose... Pourquoi une minute seulement ? « En art, le temps a toujours été important. Ce qui m'intéressait, c'était de réduire le temps car, dans notre société - notre société où tout va très vite -, rien n'existe très longtemps », répond Erwin Wurm.
Elle frappe le visiteur, la charge facétieuse, contestataire, néo-dadaïste, ludique de certaines photographies/performances... Et lorsque par exemple il voit, dans un élégant salon de thé (viennois ?), un homme courbé de profil enfoncer totalement sa tête dans le décolleté d'une femme chic qui n'a même pas l'air de s'en rendre compte, ou bien en 18 photos cette Série de consignes pour l'oisiveté (Faites beaucoup de pauses, Pensez au vide, Ne répondez jamais, Fantasmez sur le nihilisme, etc.), ou encore une peinture de Picasso couverte de spaghetti (titre : Das ist Kunst, C'est de l'art), il se demandera peut-être si le fait que Wurm père était agent de police, que ses parents furent hostiles à ce qu'Erwin devienne un artiste, ou enfin que la société autrichienne garde un solide aspect conservateur, réactionnaire, ne rend pas compte de cette démarche effrontée, iconoclaste. Mais, en une prolepse et une mise en garde, Erwin Wurm proteste : « Ce ne sont pas des blagues que je raconte, ce sont des oeuvres sérieuses. À mes yeux, mon oeuvre parle aussi de catastrophe ». On n'est pas obligé de le croire, d'autant moins que sa contestation d'Adorno l'épingle dans le registre Art/Jeu.

Pour autant, comme nous le notions au début de l'article, l'ensemble des performances et photographies de l'autrichien Wurm ne se réduit pas à l' « espièglerie » (ou au « sens de l'absurde »), à la spontanéité anarchisante d'un « n'importe quoi » déréglant tout (ainsi que le suggèrent par exemple les photos farfelues intitulées L'arrivée des Portugais en Amérique du Sud), car la démarche, le travail restent ici trop systématiques et conceptuels pour qu'on ne pressente pas des règles implicites dans ce jeu. Mais qu'y a-t-il derrière ce jeu, qui unifie ces nombreuses séries variées, soigneusement classées en archives photographiques ? Sans doute pourra-t-on déceler dans l'exposition Erwin Wurm Photographs quelques logiques substantielles inhérentes à la fantaisie. Également une analyse et un déplacement qui réduisent en miettes les « bonnes formes » (« Gestalt ») dans lesquelles nos corps, nos objets, nos habitudes, nos conventions nous inscrivent comme dans un marbre funéraire...
Pierre Corcos
corcos16@gmail.com
02-04-2020
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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