Vladimir Velickovic est mort brutalement le 29 août à Split (Croatie). Depuis deux ans il préparait son exposition aux Capuçins de Landerneau, en union étroite avec moi en tant que commissaire, et le président du Fonds, Michel-Edouard Leclerc entouré de son équipe. Cette rétrospective ouvrira en décembre prochain. Vladimir était mon ami depuis plus de cinquante ans et je ne parviens pas à croire qu'il nous a quittés.
Depuis ses expositions à Moscou en 2004, Montreal en 2005 et Toulouse (Les Abattoirs) en 2011, aucune rétrospective importante n'avait été consacrée à Velickovic, peintre, dessinateur, graveur et sculpteur de réputation internationale. Le Fonds Hélène & Edouard Leclerc pour la culture va en proposer une d'une conception résolument nouvelle, avec une centaine d'oeuvres que j'ai placées sous le titre :
« Le grand style et le tragique »
En effet, peintre de la torture, de la mort ou de l'instant d'avant la mort, Velickovic était à l'évidence un artiste tragique, mais il n'avait pu acquérir cette dimension que par le moyen de ce que l'on appelle le grand style, au sens où l'entendait Frédéric Nietzsche : « le grand style consiste à mépriser la beauté petite et brève ».
L'oeuvre de Velickovic n'était pas faite pour plaire aux amateurs d'art décoratif, et ses extraordinaires qualités purement picturales seront étudiées dans trois séquences de l'exposition : l'intégration du temps, l'harmonie et le rythme qui permettront d'aborder ensuite, au centre du parcours, la séquence consacrée à la relation essentielle de Velickovic, artiste du paroxysme, avec Grünewald qui porta jusqu'à l'intolérable la représentation de la Passion.
Encadrant ces quatre séquences, la première, consacrée aux années de jeunesse, et la sixième, avec les oeuvres récentes, feront apparaître une constante bouleversante sur plus d'un demi-siècle : l'absence de la nature. Velickovic avait compris (comme Pascal, Lucrèce ou les sophistes) que tout se passe comme si, au fond d'elle-même, l'espèce humaine avait perdu le sens de la nature. Or cette dissolution conduit nécessairement à une pensée d'épouvante, ce qu'exprimait inlassablement Velickovic. Il le faisait avec une telle énergie vitale, que sa manière d'évoquer le mystère de la condition humaine devenait affirmation symétrique de la beauté de la vie. Une beauté évidemment « ni petite ni brève ». Ce grand artiste d'origine serbe apparaissait, depuis sa prestation remarquable à la Biennale de Venise en 1972 où il représentait la Yougoslavie, comme l'un des très rares porteurs d'une alternative picturale européenne au pop art et à l'hyperréalisme. Il nous manquera.
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