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[verso-hebdo]
24-10-2019
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Les Fables, Jean de La Fontaine, Marc Chagall, avec un volume d'introduction par Ambre Gautier, sous coffret, Hazan, 252 p., 34, 95 euro.

C'est une grande joie de découvrir en fac-similé les quelques soixante gouaches que Marc Chagall a pu réaliser pour ce livre que lui avait commandité Ambroise Vollard. Ambre Gautier rappelle l'histoire de cette grande aventure éditoriale. Ce fut Blaise Cendrars (les deux hommes se connaissaient déjà avant la guerre) qui mit en relation Marc Chagall avec Ambroise Vollard et ce dernier demanda à l'artiste quand il est revenu de Russie en 1923 s'il se sentait d'illustrer Les Ames mortes de Gogol. Ce dernier accepta, mais l'entreprise n'était pas mince. Il avait bien illustré de nombreuses gravures en noir et blanc son autobiographie - Ma vie - publiée en 1923. Il a achevé les gravures en 1925. Vollard les trouva très réussies, mais ne publia pas tout de suite cet ouvrage. Il lui proposa en attendant d'illustrer un certain nombre de fables de La Fontaine. Chagall a voyagé en France pour découvrir des paysages français afin de rendre l'esprit de ces fables. Il finit par achever les cent gouaches promises et les a exposer chez Bernheim Jeune.
Une certaine critique s'est indignée que l'on ait pu confier à un artiste juif russe l'interprétation des fables du grand fabuliste. Ces campagnes antisémites commencent hélas à se multiplier en France et on ne parle plus que d' « art métèque » pour qualifier l'Ecole de Paris. Ce genre de mépris exprimé à l'encontre des artistes étrangers installés en France est allé dès lors crescendo. Difficile de dire si Vollard n'a pas été gêné et troublé par ces attaques venimeuses.
Quoi qu'il en fût, il n'avait toujours pas publié le volume quand il trouva la mort en 1939. Ce fut Tériade, le créateur de la revue Verve, qui l'a édité bien plus tard, en 1952 (Les Ames mortes n'ont vu le jour qu'en 1948 !). Chagall a fait d'autres livres dont la Bible mis en route en 1930 et le peintre y a travaillé pendant neuf ans. En 1961, il est convié à illustrer Daphnis et Chloé de Longus. Puis, en 1967 sort Le Cirque, qui est aussi une création exceptionnelle. Pour en revenir aux Fables, tant d'années ayant passé, Chagall a décidé de les retoucher pour l'édition de Tériade. On y retrouve cependant l'état d'esprit qui avait été le sien en Russie au début des années vingt : c'est le croisement de sa culture d'origine et de celle qu'il a acquise en France. Il faut reconnaître que c'est une réussite et aujourd'hui ses planches n'ont rien perdu de leur fraîcheur et de leur incroyable force expressive. Cette réédition en fac-similé est de toute beauté. Et elle a en plus une valeur ajoutée : celle de nous faire relire ces Fables héritière d'Esope et de Phèdre, dont, souvent, que, souvent, nous n'avons plus relues depuis les années de l'école primaire.




Ensor, Magritte, Alechinsky, chefs-d'oeuvre du musée d'Ixelles, musée de Lodève / Editions Loubatières, 192 p., 32 euro.

Laissons de côté la formulation malheureuse du titre de cette exposition et de ce catalogue, qui n'est pas très attrayante. C'est une excellente idée que de montrée un large choix d'oeuvre de ce musée bruxellois qui n'est pas très connu et qui pourtant contient des merveilles de l'art belge de la fin du XIXe siècle quasiment jusqu'à nos jours. Le plus grand intérêt de cet événement ne réside pas dans la présentation de tableaux des artistes les plus connus, mais dans celle d'artistes qui nous sont mal connus, et qui nous sont même tout à fait inconnus. Je prendrais pour exemple, au début du parcours, L'Eifel de Théodore Baron, qui représente un vaste paysage désolé, tout en bruns, avec une perspective qui permet de découvrir des terres sombres et désertes et un ciel rendu dans des teintes assez similaires. On est étonné de la même façon par les compositions de Louis Dubois, de Louis Victor Antoine Artan, d'Hippolyte Boulanger, d'Isidore Verheyden, tous auteurs de paysages et de ciels qui sont autant de manière d émettre en relief ce qui, dans la nature, peut surprendre et parfois engendré de la mélancolie ou une certaine appréhension. Ce sont là des ouvrages saisissants du derniers tiers du XIXe siècle, presque aux antipodes de l'impressionnisme, avec néanmoins le désir de plus ou moins tendre à une sorte d'abstraction éloquente. L'art « social »  est moins attrayant (presque par définition) mais on est frappé par le langage hardi de Constantin Meunier ou par l'étrange poésie d'Eugène Laermans dans son Enterrement (1902).
On remarque aussi, dans le section consacrée à ce qui concerne l'impressionnisme et son développement l'originalité évidente d'Emile Charlet ou de Charles Hermans, qui ont appris la leçon française, mais on su l'adapter à leur sensibilité et à leur caractère. J'ai été particulièrement séduit par L'Eglise Sainte-Croix de Theo Van Rysselberghe, avec ce ciel nocturne saturé de nuage qui répand une lueur qui permet de voir se découper les bâtiments le long de la rivière. Il y a aussi un portrait de femme par Jan Toorop, La Dame à l'ombrelle, qui surprend par rapport à ce qu'on connaît de lui et qui est plein de charme. Quant à Georges Lemmen, il a su interpréter au cours de la première décennie du siècle dernier l'intimité propre aux Nabis, mais dans une écriture différente. Emile Claus, AnnaBoch, entre autres retiennent l'intention par leur écriture très fine et subtile.
Quant à Willy Schlobach, il traite comme Monet le thème des Meules dans une optique assez différente, mais avec la volonté de pousser le plus loin possible la traduction optique du visible. Le symbolisme belge est admiré et nous ne serons pas étonné de voir des pièces rares de Fernand Khnopff, de Félicien Rops ou de Léon Spillaert. Mais on ne peut qu'admirer le Paysage effet de nuit de William Degouve de Nuncques (pastel, 1896) avec sa dominante verte et ses tracés noirs. Nous passions ensuite à l'ère dite « moderne », avec Rodolphe Strebelle et sa Petite famille, qui se rapproche des jeux chromatiques du fauvisme. Marcel Jefferys peut vraiment plaire avec sa nature morte, Le Coquillage rouge.
Mais c'est l'expressionnisme qui est vraiment le lieu d'élection de ces peintres avant et après la Grande Guerre, avec Gustave de Smet, trop souvent négligé ou Ante Carte, autre artiste laissé dans les limbes. Sa Maternité est une splendide découverte. Je laisserai de côté le surréalisme, non par mépris, mais parce que ni Magritte, ni Delvaux ne saurait nous apprendre quelque chose de très neuf neuf. En revanche, dans le domaine de l'abstraction (laissons là aussi à part Jorn, Dotremont, Alechinsky), on peut faire la connaissance d'artiste travaillant ans l'esprit du constructivisme, tels Félix De Boeck ou Jo Delahaut, qui devraient enrichir nos connaissances sur le panorama européen dans ce domaine. Le tableau de Pol Bury est remarquable. En somme, cette promenade dans l'univers plastique de la Belgique de cette période est non seulement un vrai plaisir, mais aussi une source constante de découvertes. C'est une belle exposition et devrait nous inciter, après l'avoir visitée, à aller plus souvent voir le musée d'Ixelles qui conserve tant de pièces mémorables.




Toulouse-Lautrec, la stratégie de l'éphémère, Nicholas-Henri Zmelty, Editions Hazan, 280 p., 99 euro.

Le prétexte de la parution de ce magnifique ouvrage sous coffret est sans aucun doute la grande rétrospective qui vient d'ouvrir ses portes au Grand Palais à Paris. Bien sûr, Lautrec a fait l'objet dans le passé de très nombreuses études et d'aussi considérables biographies. Mais chaque époque pose sur les artistes du passé un oeil différent avec une méthode différente. L'auteur a souhaité surtout prendre en ligne de compte quels ont été les instruments spéculatifs et puis matériels par lesquels Toulouse-Lautrec est parvenu à imaginer un langage plastique moderne et très personnel, en phase avec son époque, mais en marge de tous les courants novateurs. On peut certes déceler dans ses oeuvres de jeunesse une certaine influence d'Edgar Degas (manifeste dans sa Scène de ballet, 1866), mais qui révèle aussi une différence notable avec son illustre prédécesseur. Il est aussi à souligner qu'il a reproduit à sa manière une scène dépeinte à la fois par Edouard Manet et par Degas, celle de la femme assise devant un guéridon, seule, un étrange sourire esquissé sur ses lèvres, placée devant un verre d'alcool dans A la Bastille (vers 1866). Mais ce portrait est plus chargé de tristesse, de profonde mélancolie et d'âpreté : il souligne avec dureté la déchéance de son modèle. Mais cet trait d'esprit est d'ores et déjà présent dans les portraits qu'il a brossés auparavant. Et il va continuer à la faire : il n'est que de voir le portrait de la comtesse Alphonse de Toulouse-Lautrec achevé en 1884. Son style est plus sûr et plus élaboré, mais on y retrouve la même sensibilité et la même dureté, alors que le modèle est cette fois assise devant une tasse de thé.
Ce peintre là est finalement mis en retrait, à cause en particulier de ses affiches qui sont magnifiquement dessinés et qui ont ce sens de l'abstraction » et de la couleur qui frappent les esprits avec force. Mais l'artiste a été un grand portraitiste, qui, sans tomber dans le piège du naturalisme, semble mettre à nu la personne qu'il représente avec une curiosité intense, sans ménagement, parfois avec une pointe de cruauté, mais sans jamais être malveillant, car il devait se retrouver dans leur figuration. Il s'est situé alors dans une région quelque part au-delà du réalisme, mais en tout cas avec la volonté affirmée de ne rien concédée, ne serait-ce qu'à ce qu'il peut éprouver pour l'être qui est devant lui. Bien sûr, il peut parfois se montrer plus tendre, comme c'est le cas avec La Blanchisseuse (vers 1868) ou même dans L'Attente (vers 1867). Réaliste, il ne l'est pas à la façon de Gustave Courbet. Courbet, malgré ses ambitions, est demeuré un classique qui idéalisait ses personnages. Lui, il ne le dénature pas, mais ne leur attribue pas une beauté ayant quelque lien avec la grande peinture d'autrefois. Ses teintes sont ingrates, tirant souvent vers la grisaille. La couleur est la manifestation la plus aiguë de l'âme, d'une âme frappée par le malheur et le temps. Il n'y a que le blanc (celle d'une chemine, par exemple) qui introduise un peu de lumière.
Son Portrait de Vincent Van Gogh (1887) où il insinue un peu plus couleurs, mais toujours dans des tonalités pastel. Poudre de riz (1887) où il utilise une technique qui se rapproche un peu du postimpressionnisme (mais très légèrement) est vraiment le tableau manifeste de ce qu'a pu être l'essence de sa recherche picturale : une beauté contrariée, dévoyée, corrompue, avec cette jeune femme qui ne sourit pas et semble même être fâchée. C'est l'antithèse de ce qu'un portrait devrait véhiculer. Et pourtant, quand on le fréquente, il se révèle intense et fascinant. Il n'est jamais parti en quête de la beauté, mais pas non plus de la laideur : il tente de saisir une idée du beau qui ne se délivre qu'une fois dépassée les conventions et le bon ton et le soi-disant bon goût. Ses grands sujets par la suite, le cirque et les salles animées des cabarets de Montmartre changent son optique car il embrasse dès lors tout un univers et ne s'attache donc plus à scruter un seul individu. Il semble être lui aussi pris, captivé, subjugué par l'ivresse de ces univers, qui sont voués au divertissement et au plaisir. Mais là encore, il n'est pas tout à fait dupe du spectacle et de son artifice. Dès lors, sa peinture change. Les couleurs sont plus vives, les visages des modèles moins graves, l'atmosphère moins tragique : La Liseuse (1889) en est l'expression indéniable, comme d'autres portrait de cette nouvelle phase. Mais son microcosme pictural demeure toutefois le même, avec moins de hargne, avec aussi plus de pondération : cependant, rien n'est vraiment rose dans les coulisses du Moulin de la Galette ! Les grandes vedettes d'alors ne sont guère séduisantes - La Goulue, Jane Avril, etc. Elles ne prennent vie vraiment que dans ses affichent où il les glorifie sans jamais les rendre agréables ou désirables. Leur beauté est leur art, que ce soir la danse ou la chanson. Et c'est cela qui les transcendent
Le Portrait d'Yvette Guilbert (1894) est terrible : elle y est caricaturée sans aucun ménagement. Montmartre est gai, et est fait pour l'être, mais sa gaîté est en trompe-l'oeil : cela se sent dans chacune de ses toiles ou de ses dessins. Il laisse entrevoir le revers de cette médaille si attrayante. Il y a toujours dans la beauté si singulière de son art une once de poison qui est celui d'une laideur omniprésente, mais presque cachée. Ce poison fait partie de la dite beauté. Et plus le temps passe de sa trop courte existence et plus il est emporté par ce diable qui le tient sous sa coupe : Aristide Bruant a belle allure, mais son rictus gâche sa prestance avantageuse à tel point qu'on en voit plus que lui. Il est l'incarnation de cette nouvelle mentalité de ces bourgeois triomphants du Paris enrichi qui viennent s'encanailler à Montmartre. Mais il est plus que cela. Il est l'inventeur d'un art qui est issu de l'impressionnisme urbain et qu'il a remodelé du tout au tout, pour aboutir à ce paradoxe inconcevable : l'exultation d'un paradis artificiel à l'échelle d'une bonne société. Il fait corps avec la Belle Epoque et, en même temps, il en est un des artiste les plus exigeants qui prépare l'entrée en scène des démolisseurs : les cubistes, les expressionnistes, les fauves, etc. Cet ouvrage permet d'avoir une vision plus juste de Toulouse-Lautrec et de mesurer et d'apprécier à sa juste valeur la finesse et la profondeur de sa peinture, mais aussi de ses affiches, qui demeurent autant de chefs-d'oeuvre.
Gérard-Georges Lemaire
24-10-2019
 

Verso n°136

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