J'avais insisté l'année dernière, avec une ironie peut-être un peu appuyée, sur les splendeurs de la FIAC telle que la veut sa directrice, Jennifer Flay : tout y était fait pour attirer les plus riches collectionneurs et les plus grands marchands (américains de préférence), et de ce point de vue, ce fut réussi. Tout indique que l'édition 2015 qui se prépare pour octobre en remettra une couche : le marché de l'art ne connaît pas de crise, et la FIAC devrait battre ses records en termes de chiffre d'affaires et de fréquentation. On peut s'en réjouir avec admiration. On peut aussi s'indigner de cette débauche de luxe destinée à faire venir le monde de l'argent qui est devenu le même que le monde de l'art dit contemporain. Cette indignation est la position de Christian Boltanski, artiste de renommée mondiale, mais allergique à ce que représente désormais la FIAC, et qui lui déclare la guerre ces jours-ci.
Il s'agit d'un événement qu'il ne serait pas exact de qualifier « exposition », dont le titre est Take Me (I'm Yours) et le sous-titre « tout doit disparaître », qui occupe jusqu'au 8 novembre le splendide hôtel de la Monnaie construit sous Louis XV, événement conçu par Christian Boltanski à partir d'une exposition de 1995 à la Serpentine Gallery de Londres, en complicité avec son directeur, le vibrionnant Hans Ulrich Obrist. L'intention « non dite » des compères est assez claire, et Boltanski la dit quand même : « Notre projet non dit est que, dans cinquante ans, plus personne ne se souvienne de la FIAC, et qu'on se souvienne de cette exposition. Cette exposition restera dans l'histoire de l'art, la FIAC ne restera pas dans l'histoire de l'art ».
Boltanski a demandé à plus de quarante artistes, et non des moindres (Fabrice Hyber, Yoko Ono, Lawrence Weiner, Gilbert & George, Douglas Gordon...) de ne surtout pas réaliser d'oeuvres mais de proposer des petites choses ou des jeux aux visiteurs qui pourront les emporter : comme dit Patrice Maniglier dans le catalogue : « les choses sont plutôt mises à disposition, abandonnées à une sorte de pillage auto-organisé ». Or ces choses sont le fait d'artistes, donc d'une certaine façon, c'est de l'art, mais en même temps le contraire des oeuvres très chères de la FIAC. En somme, poursuit P. Maniglier « c'est comme si, avec Take Me, vous créiez un dispositif où l'on pourrait dire qu'il y a « de l'art » comme on dit « de l'air », sauf qu'en fait c'est virtuel, car ça ne devient de l'art que si ça devient une oeuvre d'art, et les opérations par lesquelles ça devient une oeuvre d'art sont en fait à la charge des visiteurs ». Boltanski, proche de Fluxus, disciple de Beuys a bel et bien suscité du véritable « art contemporain » au sens voulu par son maître : un art qui efface le marché de l'art, puisque tout le monde peut devenir artiste. Comment mieux contester l'autre art contemporain, celui de la FIAC, le commercial réservé aux riches ?
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