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[verso-hebdo]
29-10-2015
La chronique
de Pierre Corcos
Le son et le sens
« En apprenant la prosodie d'une langue, on entre plus intimement dans l'esprit de la nation qui la parle », faisait intuitivement remarquer madame de Staël. Mais déjà, qui n'a pas été séduit, intrigué par la musique d'une langue étrangère ?... Voyant un film de Bergman, et soudain négligeant les sous-titres en français qui relient les mots entendus au sens, le spectateur se fait auditeur mélomane du suédois, de cette langue raboteuse dont les vagues rythmiques heurtent une paroi austère de leur accent tonique. Ou bien voici que dans les rues de Naples, le touriste se prend à fermer les yeux pour écouter... Se laisser étourdir par ces ondulations sonores qui viennent chercher au fond de la voix un chromatisme éloquent, bigarré. Et sans doute même attend-il plus de l'immersion dans ce bain musical, au fond, que de tout autre dépaysement... Ou encore, écoutant deux Japonais converser derrière lui dans un café, ne comprenant fichtre rien à ce qu'ils racontent, un Français sourit, s'étonne, se ravit de cette langue syllabique au rythme haché, dont les séquences sonores chaque fois s'arrêtent brusquement, comme au-dessus d'un vide.
Aucun doute sur la passion portée à la prosodie (la mélodie, l'intonation, le rythme et les pauses au sein des phrases dans une langue) par Joris Lacoste ! Et de plus, loin d'être une punition divine, comme le fabule la Genèse, la diversité linguistique reste pour cet auteur et metteur en scène français une spectaculaire bénédiction. Dans Encyclopédie de la parole/Suite n°2, un spectacle surtitré en français (mais les surtitres ne jouaient plus ici qu'un rôle mineur) que le Théâtre de Gennevilliers nous a proposé au début du mois d'octobre dans le cadre du Festival d'Automne, Joris Lacoste nous donnait à entendre une suite chorale ahurissante... Un quintette orchestrant des discours en 16 langues différentes ! Notons que Joris Lacoste possède chez lui environ 800 documents sonores pouvant nourrir la production de spectacles différemment agencés. Dans celui-ci, deux déterminants ou niveaux majeurs sont esthétiquement organisés par Joris Lacoste : d'abord l'aspect « purement sonore et musical de la langue qui se confond avec le plan des affects et des intensités », ensuite des situations langagières reconnaissables et variées (un discours politique, une vente aux enchères, un commentaire sportif, une protestation téléphonique, etc.). La projection sur un écran de la traduction simultanée de ces paroles fonctionne surtout comme élément visuel, faisant de ce concert linguistique un spectacle complet au final, un petit opéra. Une orchestration hors du commun avec cinq interprètes talentueux et polyglottes devant un pupitre ou sans pupitre... Et voilà que toutes ces sonorités de la logosphère, harmonisées par le compositeur Pierre-Yves Macé, agencées et mises en scène par Joris Lacoste, emportent le théâtre vers la musique, et la linguistique vers la prosodie, la phonétique acoustique. Et surtout, subversion radicale, les significations de tous ordres se « déterritorialisent » vers d'étranges propositions mélodiques, une éblouissante polyphonie. Devenir-oiseau de l'être humain, producteur de sons, chants, musiques concrètes avant même d'être constructeur de sens !

Et ce sens, comment se construit-il d'ailleurs ? Dans un spectacle ludique et réjouissant au Théâtre de la Bastille (toujours dans le cadre du Festival d'Automne), Las Ideas, l'auteur et metteur en scène argentin Federico León invitait les spectateurs à suivre l'élaboration du sens en quelque sorte de l'intérieur. On perçoit « l'origine des idées, les mécanismes qui se mettent en place pour les réaliser ; chaque hypothèse est analysée, observée et confrontée. Le public est placé temporairement dans la tête de l'artiste », comme le note le texte de présentation. Et, pour relever ce défi, Federico León et Julián Tello vont sur scène se servir amplement d'écrans d'ordinateurs, de vidéoprojections, de documents archivés, comme si c'était là un équivalent de l'esprit humain. Modèle cybernétique qui nous rappelle ses origines, en 1947, sous la direction de Norbert Wiener, et l'influence qu'il a eu pour l'élaboration des sciences cognitives, de l'intelligence artificielle... En même temps, le spectacle est avant tout un jeu, une performance et presque un sport. Sur la scène, transformée en atelier, une table de ping-pong encombrée, des ordinateurs et des écrans. Le numérique et le désordre comme des métaphores de la création artistique, le ping-pong symbolisant l'échange véloce d'idées. On pourrait dire que c'est un portrait de l'artiste en situation de création avec tous ses imprévus, voire ses accidents, mais un portrait qui ne se fige pas en pose et ne se prend guère au sérieux. Tellement d'idées non pertinentes, parfois comiques d'ailleurs, sont mises à la corbeille de l'ordinateur (traduction : sont rejetés de l'esprit du créateur) que le spectacle ressemble au final à un divertissement surréaliste, même si le questionnement qui le prépare garde sérieux et consistance. Sans doute la « gadgetisation » d'un certain nombre de scènes, inclinant parfois aux gags, n'aide pas vraiment au recul théorique qui semble passionner Federico León. Mais il n'en demeure pas moins que, sortant du spectacle Las Ideas, le spectateur est conduit à penser que le processus créatif procède du jeu, avec une technique, des règles et des « coups » possibles.

Qu'il s'amuse à ne garder de la parole que sa part musicale, prosodique, ou bien à n'exhiber du sens que sa construction plus ou moins aléatoire, dans les deux cas l'artiste participe à l'inspiration majeure de notre temps, laquelle inspire amplement l'art contemporain : le primat du ludique et de l'expérimental.
Pierre Corcos
29-10-2015
 

Verso n°136

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