Le Palais de Compiègne présente, depuis le 17 octobre et jusqu'au 1er février 2016, une fort intéressante exposition Thomas Couture dans les collections du Palais de Compiègne, accompagnée par d'autres expositions au musée de Picardie à Amiens, au musée d'Art et d'Archéologie de Senlis, au musée de l'Oise de Beauvais et au musée de la vie romantique à Paris. De quoi se faire une nouvelle idée de l'auteur des Romains de la décadence, cette grande tartine incarnant depuis longtemps à elle seule l'art pompier du XIXe siècle, tartine qui obtint un triomphe (et la médaille d'or) au Salon de 1847 et qui domine majestueusement le grand hall central du musée d'Orsay depuis son ouverture. J'y ai vu, comme beaucoup d'autres, la marque imprimée à l'accrochage du musée par sa première directrice, Françoise Cachin, qui avait pris le parti de mettre en évidence ce qui, à l'époque traitée par son institution, était visible et applaudi, et de reléguer à des places secondaires ce qui était alors occulté et que nous mettons aujourd'hui au premier rang, à commencer par les tableaux phares d'Edouard Manet, élève indocile de Couture pendant six ans. On pouvait discuter ce parti marxisant, mais il avait sa logique, et permettait notamment de tirer de l'oubli d'autres pompiers, comme Detaille et son Rêve que Malraux évoque avec mépris quelque part dans les Voix du Silence.
Or les expositions en cours, sous la direction d'Olivia Voisin qui pose la question de savoir si Couture n'aurait pas été, en fait, « le dernier romantique », permettent de revoir la légende de Manet, élève rebelle ayant engagé un conflit oedipien avec Couture et ne lui devant artistiquement rien. Notons d'abord qu'Edouard Manet, comme son père, était républicain et admirateur de Jules Michelet, ce qui était exactement le cas de Couture, dont le portrait de Michelet, refusé depuis le début des années 1840 au Salon, avait fini par y être présenté en même temps que les Romains. Or ce portrait, actuellement visible au musée de la Vie Romantique, est superbe : le pinceau de Thomas Couture y est magistral « moelleux comme Rembrandt et coloré comme Véronèse » (pour reprendre une expression de Stéphane Guégan qui fut le commissaire général de l'exposition Manet de 2011 au musée d'Orsay). Or cette conception du portrait, n'est-ce pas celle que l'on retrouve dans le Portrait d'homme (Antonin Proust) du musée de Prague, par Manet en 1855 ? Voilà déjà des convergences qui rapprochent, esthétiquement et politiquement, les deux peintres.
Certes, Thomas Couture, fils de cordonnier ayant une revanche sociale à prendre, était vaniteux et d'une insupportable suffisance, allant jusqu'à écrire, dans un article fameux publié par le Figaro en 1857 : « j'ai l'amour propre de me croire le seul artiste véritablement sérieux de notre époque ». De quoi nourrir l'ironie du très distingué grand bourgeois Manet ! Mais, au-delà des incompatibilités d'humeur, l'exposition du Palais de Compiègne, en présentant les travaux préparatoires aux deux grandes commandes officielles reçues par Couture, qui furent aussi deux échecs pathétiques par impuissance à finir, démontre qu'il n'était nullement un pompier à la manière d'un Bouguereau. L'Enrôlement des volontaires de 1792, commandé par le gouvernement républicain de 1848 donna lieu à des essais de grandes compositions dont la fougue et le lyrisme romantique étaient aux antipodes des Romains de la décadence. En témoigne un dessin où trône l'image de la Liberté aux couleurs tricolores. Ces esquisses n'avaient pas manqué de frapper Manet par leur énergie, leur dessin viril et leurs pigments drus, a noté Stéphane Guégan. Par ailleurs, le Baptême du Prince Impérial, commandé par Napoléon III, sur lequel s'épuisa Couture de 1856 à 1865, écrasé par le souvenir du Sacre de Napoléon Ier par David, ne put être achevé (une grande tache blanche reste à la place de la tête de l'Empereur), ce qui entraîna le déclin irréversible de l'artiste. Il n'en demeure pas moins à Compiègne une remarquable petite huile préparatoire représentant Napoléon III chancelant, le visage noyé dans l'ombre, témoignant de l'impossibilité pour le peintre de rendre l'effrayant regard absent de son modèle. Cet exercice de vérité place évidemment Couture ailleurs que chez les fabricants d'images académiques. Plutôt chez les derniers romantiques, en somme.
|