Que de la peine, du labeur, de la pauvreté pour les Mayas de l'ethnie Kaqchikel, sous le volcan Ixcanul !... Ixcanul, éponyme du premier long-métrage de Jayro Bustamante, qui représentera aux Oscars le Guatemala, après avoir remporté un Ours d'argent à Berlin.
Ces Indios mènent une vie misérable, et se font exploiter dans une plantation de café. Condition accablante, existences machinales, gestes ritualisés, très peu de paroles, jamais un sourire... Maria, 17 ans, vit avec ses parents dans une masure dépourvue de tout. L'indienne au regard fixe et au visage cuivré ne songe qu'à s'extraire de cette condition, à partir loin, au-delà du volcan. Et, pourquoi pas, accompagner son ami Pepe qui veut émigrer aux États-Unis. Mais les parents de la mutique Maria ne l'entendent pas ainsi, car ils veulent la marier à Ignacio, contremaître de la plantation. Maria tombe enceinte de Pepe, le jeune coupeur de café, qui a réussi à s'enfuir et l'a laissée dans la tourbe noirâtre de la misère... Il ne reste plus qu'à faire avorter l'adolescente Maria, et lui imposer son mariage avec Ignacio.
Le film Ixcanul révèle, sans pathos ni emphase, un monde rude et obscur, écrasé par la besogne, limité par la tradition et injuste avec les femmes. Avant de venir étudier le cinéma en France, le jeune Guatémaltèque Jayro Bustamante a lui aussi vécu dans un village maya et sait de quoi ses images parlent ! Caméra sur l'épaule, il suit de près nos cultivateurs miséreux dans les champs, mais aussi à la ville, où ils ont transporté d'urgence la pauvre Maria qui a été mordue par un serpent. Ne parlant que leur langue amérindienne, à l'étonnante sonorité, les voici perdus dans un environnement urbain puis un hôpital... Construit à partir d'un désespérant flash-back, Ixcanul ne cache rien de ce qu'endurent chaque jour ces paysans taciturnes. Il ne reste que les liens affectifs, les croyances superstitieuses et les cérémonies colorées à ces peuples mayas, oubliés de tous et misérables, alors que leurs ancêtres lointains édifièrent une imposante civilisation deux mille ans avant Jésus-Christ.
Le visage de Maria n'est dans le film qu'un masque de souffrance résignée. Jusqu'où descendra-t-elle dans la misère sordide ? Ignacio a même récupéré son bébé pour tenter de le revendre !... On noue sur la tête de Maria une parure d'un rouge éclatant, on va quand même essayer pour ce mariage de faire la fête ! Mais il y a ici trop de misère et, comme l'écrivait dans ses « Fragments » Ménandre, « une vie qui cherche sa vie n'est pas une vie ».
Le monde que, dans son film Knight of Cups, le cinéaste américain Terrence Malick déploie sous nos yeux, en un travelling virevoltant et en quelques plans fixes, est celui de l'éblouissante richesse. Hollywood, Los Angeles, Las Vegas... Sur d'amples musiques, les luxueuses images d'une bulle d'opulence se succèdent, se déroulent comme des séquences publicitaires pour nababs. Et l'élégante ampleur des résidences, l'édénique turquoise des piscines, le marbre laiteux des palais, la somptuosité prodigue des fêtes, l'immensité dédaigneuse des voitures et des gratte-ciels, l'extrême sophistication des starlettes bodybuildées composent, avec les impressionnants paysages de cette côte ouest des Etats-Unis, une réalité à part, contrée bénie du Capital, paradis de la « jet set », Eldorado kitsch des stars et des parvenus en tous genres... Cependant, le héros de Knight of Cups, Rick, un scénariste désespéré d'Hollywood qui ne cesse d'arpenter ce monde fastueux de célébrités et de milliardaires, créateur en crise (un double lointain du réalisateur ?) voulant s'inscrire dans une nécessité intérieure et ne rencontrant que frivoles contingences, nous suggère, par son errance et sa déréliction, que la réussite matérielle exclusive paie son remplissage permanent d'une insondable vacuité intérieure. Les paroles, dites ici en voix off, ne commentent pas les images, elles viennent témoigner chez le héros (Christian Bale) d'une auto-analyse, d'une quête anxieuse de sens, de l'attente éperdue, pathétique d'une voie, ou simplement d'une voix authentique au milieu de cette insane parlote mondaine.
On reconnaît bien là le questionnement spirituel récurrent de celui qui, avant d'être le cinéaste que l'on connaît (au moins par Les Moissons du ciel et The Tree of Life), enseigna la philosophie au MIT, après avoir commencé une thèse sur le concept de monde chez Kierkegaard, Heidegger et Wittgenstein. Mais, si le film commence par la parabole du Pèlerin puis du Chevalier, se ponctue en chapitres aux titres conceptuels, aucun grand récit mythique ne vient finalement rassembler le puzzle épars qu'est devenue l'existence de Rick. Le sempiternel « on the road again » de la grande tradition du cinéma d'auteurs américain restera le dernier plan « déceptif » d'un film d'errance interrogative, sans conclusion. Demeure toutefois dans la mémoire du spectateur la consistance imagée d'un monde nanti, celui de l'hyperpuissance américaine et de ses enfants trop gâtés parcourant les décors de leur Olympe comme des médiocres comédiens en perpétuelle attente de scénario. Mais est-ce là vraiment un monde qui fait société, ou juste une apparence, une moire fugace ?
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