En septembre 1979, j'ai rencontré Lee Krasner Pollock venue à Paris à l'occasion de l'exposition Jackson Pollock : Drawing into Painting pour laquelle elle avait prêté plusieurs dessins de sa collection personnelle au Musée d'art moderne de la Ville de Paris. Certains d'entre eux, comme War (1946) ou Sheet of Studies (1942) fourmillaient d'emprunts involontaires à Picasso dont le peintre ne pouvait pas se débarrasser depuis que Guernica était arrivé à New York, en 1939. « Il en avait été bouleversé, racontait sa veuve, et même obsédé. C'est vrai que tout son effort a été de voiler l'image, comme il disait. Voiler les images picassoïdes qui surgissaient malgré lui et que Jackson n'avait réussi à cacher que dans sa grande période 1948-1953. Mais visible ou non, Picasso était toujours là... » On pouvait donc s'attendre, dans une exposition intitulée PicassoMania, consacrée aux peintres qui ont dialogué d'une manière ou d'une autre avec Picasso, à une forte présence de Pollock, principal grand artiste du XXe siècle dont l'oeuvre aura été, pour l'essentiel, un combat avec les formes du géant espagnol. Au point que la critique américaine avait désigné Pollock comme un « late cubist ». Les organisateurs de l'exposition du Grand Palais (jusqu'au 29 février 2016) auraient donc pu, par exemple, au moins faire venir du MOMA Stenographic Figure de 1942, une des toiles les plus visiblement nourries par le souvenir de Guernica. Las ! Il n'y a pas de Pollock du tout.
A la place, nous avons une oeuvre de Adel Abdessemed intitulée Who's afraid of the big bad wolf ? (Qui a peur du grand méchant loup ?) constituée par des dizaines de têtes d'animaux naturalisés : des chiens, des loups et sans doute des sangliers. Vous allez peut-être demander quel peut bien être le rapport avec Guernica dont une reproduction est placée à côté ? Eh bien c'est très simple : le chef d'oeuvre de Picasso a une longueur de 7,79 mètres, et le travail d'Abdessemed aussi ! Le commissaire de l'exposition, Didier Ottinger, nous explique assez laborieusement que Adel Abdessemed « évoque d'autres massacres, ceux des sacrifices d'animaux commis quotidiennement dans les lieux obscurs de nos sociétés modernes. » Peut être, mais cela n'a rien à voir avec le dialogue pictural que l'on était venu chercher. Heureusement que l'on trouve un émouvant petit tableau de Jean-Michel Basquiat qui, on le sait, écrivait sur ses oeuvres les noms des personnes qui l'intéressaient, musiciens de jazz, joueurs de base-ball ou peintres. Ici, il a tracé à plusieurs reprises et en majuscules le nom de Picasso. Basquiat en était consciemment un héritier.
Il n'est pas sûr que l'on puisse en dire autant de Roy Lichtenstein, mais il est certain qu'il était dans une admiration éperdue pour Picasso, au point de venir à Paris au lendemain de la guerre, de se rendre 7 rue des Grands Augustins... et de ne pas oser frapper à la porte de l'atelier du maître ! En tout cas, dans l'exposition Drawing into Painting, figurait une aquarelle et crayon de Pollock, très picassoïde, appartenant à la collection de Dorothy et Roy Lichtenstein, qui prouvait l'intérêt pictural de ce dernier pour le dialogue avec Picasso. C'est pourquoi l'une des pièces les plus intéressantes de l'exposition du Grand Palais est Woman with Flowered Hat (Femme au chapeau fleuri) que Lichtenstein réalisa en 1963 d'après la petite Femme au chapeau fleuri (que Picasso avait peinte en 1939-1940) en lui donnant une dimension quasi monumentale (1,27 m x 1,016 m). « C'était libératoire de savoir que je pouvais créer quelque chose à partir de Picasso et que ce serait totalement personnel, plutôt que de tenter de cacher que j'étais influencé par cet artiste » a dit avec sincérité Liechtenstein. Andy Warhol a tenté une expérience comparable en 1985 à partir du Portrait de Jacqueline au chapeau de paille de 1962 dans lequel Picasso avait manifesté, comme en se jouant, un véritable esprit pop. C'est l'autre aspect intéressant d'une exposition par ailleurs assez décevante.
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