L'exposition « Bonjour Monsieur Matisse ! Rencontre(s) » organisée au MAMAC de Nice vient de se terminer ; elle n'a guère rencontré d'échos. Laissons de côté les commentaires sur l'ensemble : je voudrais m'arrêter sur une curieuse contribution d'un certain Thierry Lagalla qui, dans la section « Poissons rouges » (Matisse, comme on sait, a exploité ce thème) présentait Totjorn rotge (Always Red) qui montrait une femme nue accroupie, juchée sur des drag-queen shoes, au-dessus d'un aquarium à poissons rouges dans lequel elle urinait. Un flot de pipi se déversait à la verticale. La facture du dessin, obscène à souhait, était du niveau des graffiti de WC des casernes d'autrefois. C'était médiocre jusque dans la vulgarité. Il s'agissait avant toutes choses, non pas d'une « rencontre » mais bien d'une insulte à Matisse, à la femme et aux visiteurs de l'exposition. Je sais bien, Rembrandt a réalisé une estampe célèbre intitulée La femme qui pisse. Mais c'était une vagabonde au pied d'un arbre, inquiète de devoir relever ses jupes, sur qui le formidable dessinateur qu'était Rembrandt jetait un regard de compassion. Je sais bien, Picasso a peint de son côté une souriante Pisseuse en 1965, mais elle était au bord de la mer, et d'une facture néo-cubiste qui excluait l'obscénité. La contribution dérisoire de Lagalla n'avait quant à elle strictement aucun intérêt et surtout, plus ennuyeux, elle apportait, si l'on ose dire, de l'eau au moulin de ceux qui font profession de détester l'art contemporain et n'y voient que des provocations gratuites. En l'occurrence, leur émoi aurait été parfaitement justifié.
Mais il y a plus grave : le même Lagalla participait également à la section « Les papiers découpés » avec un assez ridicule autoportrait, toujours aussi mal peint, qui justifiait sa présence en étant environné de quelques feuilles d'Acanthe (motif matissien). Sur la cimaise qui lui faisait face, devaient être accrochés deux tableaux du peintre Herman Braun-Vega, Lumière tahitienne (Matisse) de 2007 et Matisse maîtrise couleurs et lumières avec ses ciseaux (2013) réalisé spécialement pour l'exposition et pour dialoguer explicitement avec le premier sur la base des papiers découpés. Ils n'avaient de sens, pour l'artiste qui l'avait expressément demandé par écrit, qu'en étant rapprochés l'un de l'autre (le peintre demandait un écart maximum de 30 cm). Quelle ne fut pas la surprise de ce dernier, en arrivant au vernissage, de voir ses oeuvres séparées de plus d'un mètre ! Explication fournie avec réticence par le conservateur en chef du MAMAC et commissaire de l'exposition, M. Gilbert Perlein : « trop rapprochés, vos tableaux auraient empêché de mettre en valeur celui de Lagalla ». Vous avez bien lu, le commissaire avait souhaité, dans son accrochage, valoriser au maximum une oeuvre à peu près nulle au détriment des tableaux d'un artiste de réputation internationale qui a sans doute le tort, à ses yeux, de détenir une admirable technique au sens classique du terme pour dialoguer passionnément avec les maîtres du passé depuis soixante ans, dans de savantes mises en scène qui, elles, sont bien contemporaines.
Je suis allé me promener dans le site du nommé Lagalla. J'y ai trouvé, entre autres, une Vanité pomme banane de 2008 (une pomme donc, surmontée d'une banane, peintes comme le font les enfants des écoles). L' « artiste » avait tracé un commentaire que je vous recopie intégralement : « Pour une oeuvre d'art comme pour une pomme, si une personne veut trois pommes, la pomme est moins chère que si trois personnes veulent la même pomme ». Et plus loin sur le même « tableau » : « Et ça marche aussi avec les bananes ? ». On est confondu devant une telle profondeur métaphysique qui a dû convaincre M. Perlein de la plénitude du talent de l'auteur de Always Red. Quand on lit en effet le dossier de presse rédigé sous la responsabilité du commissaire, on apprend que Thierry Lagalla a entrepris une « reconstitution personnelle » de l'oeuvre de Matisse, alors que les autres exposants se sont contentés de « multiplier les réitérations » ! Je reste sans voix devant tant d'aveuglement et de prétention de la part d'un officiel de l'art, semblable, hélas, à un certain nombre de ses confrères (pas tous, surtout ne généralisons pas), qui privilégient systématiquement l'incompétence artistique, la provocation et la dérision. On ne finira jamais de se demander pourquoi : oui pourquoi s'occuper d'art quand on déteste les véritables artistes et que l'on préfère les trublions de l'anti-art ? Lorsque M. Rowinsky, auteur au XIXe siècle du catalogue raisonné des gravures de Rembrandt, est tombé sur la Pisseuse, il l'a qualifiée d' « horreur artistique ». Une horreur pour le brave homme, mais tout de même artistique ! Gageons qu'il refuserait absolument ce qualificatif à ce que M. Lagalla appelle aujourd'hui, dans une vidéo inénarrable, son « travail »...
www.braun-vega.com
|