L'Enfer, Hugo Lacroix, Editions de la Différence, 192 p., 45 euro.
L'Enfer nous met aussitôt à l'esprit un livre, celui de Dante Alighieri, la Divine Comédie, et un tableau, celui de Jérôme Bosch. Quelles que soient leurs différences, ils contribuent à forger l'imagerie des enfers chrétiens encore teintés de médiévalisme. Dans ce livre somptueusement illustré et comble de citation d'auteurs anciens et modernes, Hugo Lacroix nous fournit l'occasion rare d'élargir notre vision de ce qui fut le royaume d'Hadès pour les Anciens. Il fourmille d'informations et de documents qui nous forcent à changer notre optique sur la question. Il y est question de l'Enfer, chrétien, mais aussi de l'enfer musulman et des civilisations asiatiques. La seule chose absente est la Guei Hinnom, la Géhenne hébraïque, une vallée devenue un dépotoir qui, au fil du temps, s'est métamorphosée en lieu de souffrances des pécheurs après la mort. J'ai été ébloui par les recherches faites par l'auteur qui a su aussi citer Rilke que Primo Levi en passant par les philosophes et même les artistes. Cet Enfer là doit figurer à tout prix dans la bibliothèque de tout honnête homme (et femme !).
Le Goût de Diderot, Hazan/musée Fabre, 400 p., 40 euro.
On le sait : Denis Diderot n'a pas inventé la critique d'art, mais le genre littéraire qui s'y attache. Ensuite, il a postulé une position théorique des plus singulières puisqu'il place au premier plan (son propre goût, dans une idiosyncrasie absolue, puisqu'il est de ceux qui « savent » et donc sentent), qui est contrebalancé par l'introduction d'une clause morale (une façon qu'a l'encyclopédiste de contrecarrer le poids de la législation ecclésiale). Ce canard boiteux a produit son amour sans borne pour et Chardin et Greuze. Le copieux catalogue du musée Fabre de Montpellier se présente comme les actes d'un colloque imaginaire. L'intérêt des articles est assez divers. Il y a un par exemple, celui de Guillaume Fauroult, traitant des premiers lecteurs des Salons, qui ne manque pas d'intérêt par ailleurs en dépit de petites erreurs d'appréciation et de contexte, oublie de mentionner Goethe parmi les premiers lecteurs de ces Salons, devenant même son traducteur en Allemagne ! Si l'ensemble est fait pour méditer et discuter tous les aspects soulevés par l'esthétique de Diderot, il manque la patte d'un Starobinski pour donner du relief à ce recueil d'essais. Mais on ne saurait toutefois bouder un ouvrage important pour poursuivre ce débat sur l'écrivain et le philosophe devant les arts de son temps.
Monique Frydman, Camille Morineau & Dominique Thiébaut, Editions du Regard, 160 p., 40 euro.
Monique Frydman semble être un peintre intemporel. Née en 1943, elle n'a pu participer au grand débat de l'Ecole de Paris. Néanmoins, elle a su en tirer la leçon (comme d'ailleurs celle de l'Ecole de New York). Elle parvient a donner le jour à un univers plastique d'une grande originalité, en jouant sur des transparences et en insinuant des formes qui n'ont rien de figuratif (avec de petites réminiscences de temps à autres), mais qui constituent des pôles de focalisation métamorphosant ses plages chromatiques. Elle fait feu de tout bois : elle sait tirer profit de Josef Albers autant que des tentatives les plus radicales comme le prouve son Triptyque noir de 2004. On pourrait aussi voir en elle une lointaine descendante de Tobey, de Gysin et de Michaux : l'écriture est une des dimensions fondamentales de sa pratique de l'art. Elle a été capable de rénover un langage qui semblait sur le point de l'épuisement non seulement avec talent, mais aussi une grande finesse une intelligence fine et une belle poésie. Sa maestria est remarquable. Et sa manière de s'affirmer avec force avec l'air de se retirer en catimini est sans doute un beau piège spéculaire ! L'essai de C. Morineau est des plus sagaces et l'entretien mené per D. Thiébaut est passionnant.
Picasso, portrait intime, Olivier Widemaier Picasso, Arte Editions/Albin Michel, 320 p., 35 euro.
Après les femmes de Picasso, voici un des petits-fils (l'enfant de Maya, la fille que Picasso a eu avec Marie-Thérèse Walter), qui écrit l'énième livre sur le grand homme. Je ne prendrais qu'un seul chapitre, le plus délicat sans doute, celui sur son rapport avec la politique, pour dire que l'auteur, sous la coupe de Pierre Daix, gardiens des secrets du parti dans le domaine de l'art et qui a inventé une légende sur l'engagement de Picasso, a accumulé les approximations, les erreurs et les contre-vérités. C'est effarant. Si l'on veut comprendre Picasso pendant l'Occupation il suffit de lire le Journal d'Ernst Jünger. Aucun autre commentaire n'est nécessaire. Ce livre contient de belles reproductions, des documents photographiques intéressants et peut constituer une bonne introduction à la vie de cette figure hors catégorie. Mais l'histoire prend ici un sacré coup ! Rien ne sert de continuer à construire cette mythologie. Picasso est le grand artistes du XXe siècle et tous ses défauts, faiblesses et mêmes lâchetés (je pense à la guerre d'Espagne) ne peuvent entamer cet état de fait, que cela plaise ou non.
L'Idéal Art Nouveau, Palais Lumière, Evian, 208 p.
L'exposition présentée au Palais Lumière a eu deux grandes qualités : faire découvrir l'étonnante richesse du musée départementale de l'Oise et en même temps d'une vision plus large de cette période de l'art en associant plus étroitement les arts appliqués et les arts plastiques. Si nous connaissons assez bien des figures comme Gallé, on ne tarde pas à se rendre compte du nombre important de maîtres verriers ou céramistes ou encore d'ébénistes dont on ignore et l'oeuvre et le nom. Et cela fait découvrir la variété extrême et le raffinement de la création Art Nouveau en France. Mais l'aspect qui m'a le plus séduit est sans conteste la peinture : Lévy-Dhurmer, Le Sidaner, Maurice Denis, Henri Martin nous sont plus ou moins familier. Mais d'autres beaucoup moins, tels Alphonse Point, Louis Picard, Alphonse Osbert, Ménard, pour ne citer qu'eux, révèle cette symbiose entre le monde décoratif et le monde de la création pure. Les Nabis et, plus tard Matisse, en tirerons une leçon dans leurs propres peintures. De l'intimité, déjà valorisée par les impressionnistes, on passe à l'idéal de l' «intérieur » comme modèle d'un art de vivre. Ainsi, en feuilletant les pages de ce catalogue, on est amené à réviser une vision stéréotypée de ce que fut la Belle Epoque. C'est un ouvrage précieux et qui permet de ne plus considérer l'histoire qu'en terme d'école ou de style, mais dans un contexte plus vaste qui est celui de projeter dans la demeure une représentation du monde faites de mille contradictions, mais qui finit, par le jeu des correspondances, par donner lieu à des harmonies fines et subtiles.
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