Au seuil de cette nouvelle année, que nous annonce-t-on ? Le Louvre vient de prendre les devants en programmant, le 2 avril, Partie 1, une « mise en incandescence » de la pyramide de Ieoh Ming Pei par Claude Lévêque, un des trois ou quatre artistes français les plus réputés à travers le monde. En ce moment (et jusqu'au 26 janvier), Lévêque occupe le splendide Château Labottière à Bordeaux, c'est-à-dire « l'Institut culturel » auquel le propriétaire de grands crus Bernard Magrez a donné son nom. L'artiste révolutionnaire accepte donc d'intervenir dans des lieux huppés : ce n'était pas évident de la part d'un personnage qui a souvent privilégié les friches industrielles et les appartements HLM pour se manifester. C'est lui, représentant la France à la Biennale de Venise 2009, qui a installé dans le noble pavillon des Giardini le drapeau noir de l'anarchie entouré par des barreaux de prison. C'est lui encore qui a prononcé cette vigoureuse profession de foi : « Je pense que l'art contemporain peut provoquer un espace différent de redécouverte des choses, indépendant des obligations de consommation dictées par des médias avilissants, des politiciens corrompus et des marchands de jeux ou de bagnoles. » A bon entendeur, salut. Claude Lévêque n'a rien de commun avec les fabricants de gadjets hors de prix pour milliardaires incultes. De dix ans le cadet de Christian Boltanski, privilégiant comme ce dernier la lumière et le son, il est de la même race de libertaires s'ébrouant dans le marécage de l'art contemporain.
Claude Lévêque a ainsi résumé sa démarche : « La lumière et le son sont des moyens de métamorphose complète. Ce sont deux éléments primordiaux dans une sensation. Après viennent les textures, les images, les ambiances, les objets etc. » Je reviens de Lyon où j'ai parcouru les vastes espaces de la Biennale : eh bien il m'a semblé que les jeunes plasticiens sélectionnés à travers le monde entier par Gunnar B. Kvaran, nés dans les années 70 et 80, sont des sortes de clones de Claude Lévêque. Avec plus ou moins de bonheur, c'est essentiellement par la lumière et le son qu'ils cherchent à atteindre la sensation et même l'émotion. S'il y avait un nom à chercher pour nommer la toute nouvelle avant-garde internationale, il me semble que Claude Lévêque pourrait en être la figure paradigmatique. C'est si vrai que Jeff Koons (un ancien né en 1955), dans sa salle du troisième étage du Musée d'Art Contemporain où il a accroché deux tableaux et installé une sculpture, apparait franchement ringard et même plutôt ridicule, avec en particulier son Aphrodite jouée par l'actrice Gretchen Mol en dessous affriolants, juchée sur un dauphin gonflable. On se demande ce que cela vient faire là.
Cette biennale a pour titre « Entre-temps... Brusquement. Et ensuite », de manière à mettre l'accent sur les procédés de mise en récit adoptés par les artistes d'aujourd'hui. Dans un récit, souligne Gunnar Kvaran, « c'est la façon de raconter qui toujours prévaut ». C'est pourquoi le public se dirige avec curiosité vers l'installation de Laure Prouvost au troisième niveau de la Sucrière. Nul doute que la lauréate, désormais prestigieuse, du dernier Turner Prize (française née en 1978, elle vit et travaille à Londres depuis longtemps) a une façon bien à elle de raconter. Son installation, qui baigne pour l'essentiel dans une lumière verte, est en deux parties : Before Before et After After. Dans le cheminement de la première partie, les objets, vidéos, sons et peinture sont inspirés de manière très allusive par l'histoire de la Métamorphose de Kafka. Derrière une porte apparaît ensuite une petite salle plongée dans l'obscurité. Les flashes d'un stroboscope découpent alors diverses peintures, sculptures et objets, de telle sorte que naisse, comme dit Laure Prouvost, « un nouveau genre de film 3D » qui, après celle de Kafka, raconte une nouvelle histoire. Chacun à sa manière, des artistes comme Petra Cortright (née en 1986 aux Etats-Unis), Ian Cheng (né en 1984 aux Etats-Unis), Laida Lertxundi (née en 1981 en Espagne), Anicka Yi (née en 1971 en Corée du Sud) ou James Richards (né en 1983 dans le Royaume-Uni) proposent des expériences narratives qui toutes, comme celle de Laure Prouvost, contestent le mythe de l'ordre naturel du récit. Ce sont en quelque sorte des disciples de Claude Lévêque, mais ils ne le savent peut-être pas. www.claudeleveque.com
|