Le Prix Icart Artistik Rezo, fruit de l'association entre les étudiants de l'Institut Supérieur des Carrières artistiques et du site culturel Artistik Rezo fondé par Nicolas Laugero-Lasserre, a donné lieu à une exposition, dans l'espace Cardin les 17-18 janvier, de jeunes artistes sélectionnés par le groupe d'étudiants organisateurs. Ces derniers avaient travaillé en complicité avec leur grand ancien, Nicolas Bourriaud, à la fois ancien élève et ancien professeur de leur école, aujourd'hui directeur de l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, qui leur avait permis de s'adresser aux étudiants de 4ème et 5ème année ainsi qu'aux artistes de moins de 35 ans ayant étudié au minimum un an à l'ENSBA. Plus d'une centaine d'entre eux s'étaient porté candidats, parmi lesquels les étudiants en médiation culturelle ou en négoce de l'art en ont retenu dix. Sélection hautement significative : d'une part les sélectionneurs n'ont guère plus de vingt ans, il s'agit donc d'un choix générationnel. Et d'autre part ils ont déjà reçu une formation solide en matière d'art, notamment contemporain : il s'agit donc d'un choix déjà professionnel.
Le résultat s'est révélé passionnant. Six filles et quatre garçons (c'est la proportion dans les écoles des Beaux-Arts) pratiquant tous les modes d'expression en matière d'arts visuels : vidéo, photographie, installation (éventuellement sonore), dessin numérique, sculpture, et même, tenez-vous bien, peinture ! J'ai évoqué dans mes dernières lettres l'incompréhensible dédain de la peinture manifesté plus ou moins hypocritement par la plupart des officiels de l'art en France depuis une quarantaine d'années. Les étudiants de l'Icart ont, eux, les yeux et le goût ouverts, ils n'ont pas de préjugés. Ils peuvent donc aussi bien saluer le travail, en effet très abouti, d'une Caroline Corbasson, née en 1989, diplômée en 2013 avec les félicitations du jury, qui s'exprime par les moyens combinés du dessin, de la sculpture et de la vidéo, que l'oeuvre exclusivement peint de Denis Christophel, né en 1988, dont l'accrochage de diplôme à l'ENSBA, en mai 2013 a été particulièrement remarquable.
À l'espace Cardin, le 17 janvier, ce fût pour moi une révélation. Un jeune artiste-peintre ne se préoccupait que de la peinture, de ses pouvoirs et de ses sortilèges pour offrir à ceux qui la regarderaient cette étrange sensation que l'on croyait oubliée, celle de la délectation ! Je préfère ici lui laisser longuement la parole pour que l'on comprenne sa démarche. « À partir de la notion de paysage, j'ai tenté de rendre des atmosphères avoisinant l'abstraction en réalisant d'abord des « trous noirs » où la trace du geste est plus manifeste. J'ai ensuite minimisé celle-ci afin que les étendues de couleur s'épanchent dans la douceur, au profit de la clarté et de l'équilibre de la composition, le paysage étant réduit à son expression la plus élémentaire. Un format vertical plus en adéquation avec les proportions du corps a été privilégié. Stable et hiératique, il vient « rythmer » un espace d'accrochage allongé ; il est propice à la mise en place d'un jeu d'interpénétration entre deux masses de couleur diffuses ; celles-ci entrent davantage en contradiction avec l'orthogonalité du tableau et de l'espace d'accrochage. Le tableau est le résultat d'une longue répétition de gestes qui le rend chargé de matière, de façon à ce que de l'accumulation des couches de peinture naisse une intériorité qui parle d'un désir d'être habité, imprégné par le paysage, sans pour autant traiter d'un lieu précis ; c'est pourquoi à cette présence physique de la peinture doit répondre la recherche d'une simplicité en matière de composition. »
Cela donne envie d'y aller voir de plus près, n'est-ce pas ? Pour ma part, je retrouve dans ces propos de peintre la même tonalité que dans le témoignage - verbal celui-là - de la grande Joan Mitchell quand elle voulait m'aider à entrer dans le mystère de sa peinture, malgré son français incertain, il y a bien longtemps. En tout cas, je suis certain que l'Américaine adopterait aujourd'hui Denis Christophel comme un fils spirituel. Leurs tableaux ne sont pas comparables, mais ce qu'ils réussissent à faire dire à la peinture est du même ordre.
(Le prix a été attribué cette année à Elsa Guillaume, qui travaille la céramique. La galerie RX d'Ivry-sur-Seine l'exposera en mars prochain).
www.denischristophel.com
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