Le peintre Michel Tyszblat a été accompagné à sa dernière demeure, cimetière parisien de Bagneux, par ses très nombreux amis, lundi 2 décembre 2013. À Josette son épouse, à Aurélie et Raphaël ses enfants, Verso présente les condoléances émues de la rédaction. En hommage à l'artiste qui fut si souvent salué par la revue, voici les quelques mots que j'ai prononcés devant son cercueil.
Michel, mon ami
en quelques décennies d'amitié, nous avions nos petites traditions. Au moins une fois par an tu m'appelais car le moment était venu pour toi de me montrer ton travail en cours. Je venais tout de suite rue Pierre Mille ; traditionnellement nous nous servions un whisky dans la cuisine avant de monter, verre en main, dans l'atelier. Je m'installais devant le mur du fond, où quelques clous te permettaient d'accrocher successivement tes tableaux tout frais. Toujours traditionnellement, tu me demandais « faut-il ? ». Faut-il ici un fond noir ou un fond clair ? Faut-il, là, être plus ou moins figuratif ? Faut-il de plus grands ou plus petits formats ? Tant d'autres « faut-il ?» témoignaient de tes hésitations, peut-être de tes angoisses de grand artiste dans l'exercice de sa création. Et non moins traditionnellement, je te rappelais une phrase de l'un de tes maîtres de prédilection, Kandinsky : « Il n'y a pas de il faut en art. L'art est éternellement libre. L'art fuit devant les impératifs comme le jour devant la nuit. »
C'est ainsi : l'extraordinaire liberté dont témoigne ton parcours plastique est payée du prix de tous ces « faut-il ? » qu'il t'a été impossible de ne pas te poser. Cette liberté conquise à force de travail et de méditation est celle d'un artiste qui avait choisi de soumettre sa création à la « nécessité intérieure », au sens de Kandinsky précisément, dont on sait qu'elle se décompose en trois étapes :
Premièrement, « chaque artiste, comme créateur, doit exprimer ce qui est propre à sa personne ». Cela vaut particulièrement pour toi, le musicien dont le sens du rythme cadence toute l'oeuvre plastique.
Deuxièmement : « chaque artiste, comme enfant de son époque, doit exprimer ce qui est propre à cette époque ». C'est bien toi qui a fait passer tant de simples objets du monde de la cité moderne dans l'univers de ton art.
Troisièmement, « chaque artiste, comme serviteur de l'Art, doit exprimer ce qui, en général, est propre à l'art ». C'est bien ce que tu as fait, en te détournant des diverses formules d'anti-art dont les modes successives t'attristaient.
En 2004, à l'occasion de ta splendide rétrospective à la Villa Tamaris Centre d'Art de la Seyne-sur-Mer, j'avais donné comme titre à mon texte : « Pourquoi nous avons besoin de Tyszblat ». J'expliquais que tu ne souhaitais rien nous prouver, mais qu'il nous appartenait d'éprouver, devant tes tableaux, la présence de l'art et le plaisir qu'il procure. Avec discrétion, et aussi avec une petite dose d'humour, avec détachement, mais aussi avec obstination, tu nous donnais des raisons de prendre l'art au sérieux. Voilà pourquoi nous avions besoin de toi. Michel, mon ami, nous aurons pendant très longtemps encore, besoin de toi.
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