Depuis quelques temps, le livre de Benjamin Olivennes éveille de l'espoir dans les ateliers : aurait-on trouvé le véritable héritier de Jean Clair, le défenseur des « vrais artistes » et le dénonciateur des « fausses valeurs » ? (c'est le sous-titre de l'ouvrage). L'auteur se présente avec sobriété en quatrième de couverture : en 2020 (date de la première édition du livre) il a trente ans, il est normalien, agrégé de philosophie et prépare un doctorat en littérature à l'université Columbia à New York où il enseigne. Diable ! Respect comme on dit aujourd'hui ; à lire avec précaution ! Benjamin Olivennes se place effectivement dans le sillage de Jean Clair : « si le lecteur trouve dans ce texte des choses dignes d'intérêt, il voudra bien en savoir gré à cet oeil très sûr et à ce penseur très profond. S'il y trouve des choses idiotes, j'en suis le seul responsable. » Soit, voyons cela. Olivennes a la légitime nostalgie d'un temps où certains artistes « n'étaient pas aimés parce qu'ils étaient chers, ils étaient chers parce qu'ils étaient aimés. » Etant entendu qu'il y a une évidente « escroquerie de l'art contemporain » qu'il n'est même pas la peine de démontrer (sa principale tête de turc étant l'effectivement indéfendable Jeff Koons), il entend, lui le petit nouveau sur la scène de l'art, « faire le tri dès aujourd'hui » entre l'art véritable et les fausses valeurs.
L'idée de départ, dans le cas de la France qui est le sujet de l'ouvrage, c'est qu'une « certaine bourgeoisie cultivée » a perdu le pouvoir de dire ce qui est de l'art et ce qui n'en est pas (ou ce qui est du « bon » ou du « mauvais » art) au profit de la caste des fonctionnaires de l'art apparue en 1958 avec le ministère de la culture d'André Malraux. Olivennes emprunte d'ailleurs à ce dernier une idée célèbre : « les artistes ne viennent pas de leur enfance, mais de leur conflit avec des maturités étrangères » (Les Voix du Silence, p. 279) qu'il transforme en « les artistes, s'ils ont une origine, ce sont les artistes qui les ont précédés ou influencés » (page 54) sans citer sa source. Quant au nouveau pouvoir des fonctionnaires de l'art arrogants, incompétents et obsédés par le modèle américain, il n'est sans doute pas mauvais de le dénoncer à nouveau, et encore notre jeune auteur ne sait visiblement pas tout ! Benjamin Olivennes fait donc le tri : il place très haut Bonnard, Vuillard, Balthus, Giacometti et Lucian Freud, et il écarte de son Panthéon Warhol, Beuys, Manzoni, Fontana, Yves Klein qui, « je dois le dire, ne comptent pas du tout ». Pourquoi ? Olivennes ne donne pas ses raisons : sa formule « je dois le dire » doit nous suffire, elle revient pages 56 et 62.
Mais puisque l'histoire de l'art s'est poursuivie secrètement dans l'obscurité pendant que seuls apparaissaient à la lumière les choix des fonctionnaires de l'art, qui sont donc les grands artistes méconnus de notre temps ? Benjamin Olivennes donne sa liste : elle est brève, et il reconnaît que ses élus viennent exclusivement des galeries Claude Bernard et Jacques Elbaz (page 85). En tête, il y a Sam Szafran, grand artiste incontestable en effet, fort bien défendu par la galerie Claude Bernard qui vient de m'envoyer les noms de son accrochage de mars-avril : on y trouve, avec Szafran, notamment Jacques Truphémus et Denis Monfleur, autres créateurs admirés par Olivennes. Fort bien, mais on ne peut pas dire qu'il s'agit là d'une sélection très personnelle ! On pourrait aussi reprocher à ce normalien agrégé d'écrire des choses bizarres, par exemple, « si ce n'est parce que dans ces arts dits mineurs s'était réfugié tout ce que sur quoi les arts majeurs étaient fondés...(sic) » Ou bien, à propos des post-duchampiens, « leurs provocations à deux balles ». Bref, ou bien c'est mal écrit ou bien c'est familier (il ne veut, autre exemple, « pas mouiller » son « cher lecteur »). Benjamin Olivennes s'interroge finalement avec une (fausse ?) humilité page 120 : « je n'étais sans doute pas la bonne personne pour écrire ce petit livre ». Peut-être, monsieur Olivennes, peut-être. Mais vous vous êtes jeté à l'eau avec un bel enthousiasme pour la peinture et pour la beauté, et cela mérite tout de même d'être encouragé.
Editions Grasset, 166 pages, 16 euros.
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