Propos filmiques, Jean-Claude Lebensztejn, avant-propos de Philippe-Alain Michaud, édition établie par Enrico Camporesi & Pierre Von-Ow, Editions Macula, 372 p., 38 euro.
Il me faut confesser que j'ignorais que l'auteur avait écrit autant sur le cinéma. J'ai lu ses ouvrage sur l'art (le premier, si je me souviens bien, fut pour moi un essai sur Seurat) et il revendique ici son statut d'historien d'art (il ironise d'ailleurs sur ce titre en reprenant l'expression italienne, qui a un double sens : fare il storico d'arte !). Peut-on parler dans son cas de critique cinématographique ? Pas tout a fait. Il pense des problèmes que soulève le septième art. C'est d'ailleurs un des traits de l'intelligentsia française ces derniers temps de trouver dans les réalisations des grands metteurs en scène matière à réflexions de toutes sortes (je songe à Philippe Murray, à Jean-Louis Schefer, pour ne citer qu'eux). Dans sa préface très intéressante et concise, Philippe-Alain Michaud fait partir l'histoire de cette quête de notre auteur à Jacques Derrida. Sa présentation passe par un certain nombre de professeurs de philosophie, mais pas par les Cahiers du cinéma !
Michaud nous éclaire sur cette double personnalité qui a de quoi surprendre, mais dont la réflexion mérite vraiment qu'on s'y arrête. La conférence que l'auteur a prononcée lors d'un colloque en 1998 et qui est la première à apparaître dans l'ouvrage peut être lue comme un programme : il ne désire pas parler du cinéma tel qu'on le voit en général dans les salles mais du cinéma « indépendant » (que d'autres nommeraient cinéma « expérimental ») et qui pourrait avoir partie liée avec les arts plastiques, même si ces deux domaines ne sont pas souvent associés, sauf quand Fernand Léger ou Man Ray décident de produire une oeuvre cinématographique. La première chose qui nous surprend en lisant tous ces essais, c'est le nombre important de cinéastes dont nous ignorons et le nom et la production. Peter Kubelka tient une place de choix parmi les auteurs qui l'intéressent. Dans les nombreux entretiens que nous pouvons lire dans ce gros ouvrage (une somme pondéreuse), on est étonné de découvrir à quel point nous sommes ignorants de ces travaux filmiques. C'est une terre absolument vierge que nous découvrons ici. Rares sont les noms qui nous disent quelque chose (à part Jayne Mansfeld !). Cet ouvrage nous met donc au pied du mur : il nous contraint à prendre la mesure de tant de recherches qui se sont déroulées depuis plusieurs décennies.
Toutes ces pages nous permettent aussi de relire l'histoire du cinéma, de l'envisage sous un éclairage nouveau et enfin de mieux comprendre quelles sont les finalités qui sont en jeu dans la réalisation d'un film. Ses réflexions sont subtiles et intelligentes, souvent un peu déconcertantes (du fait de notre manque de connaissances de la question) et parfois presque ésotériques (pour la même raison). Mais les dialogues avec tous ces créateurs nous montrent comment ils pensent et mettent en oeuvres ces moments cinématographiques d'une autre conception. C'est un ensemble d'écrits qui ne servent pas qu'aux seuls passionnés de l'art cinématographique, mais à toutes les personnes cultivées qui n'ont pas pu observer ce phénomène.
L'Art urbain, di graffiti au street art, Stéphanie Lemoine, « Découvertes », Gallimard, 128 p., 15, 80 euro.
L'auteur a voulu présenter cette question en évoquant les publicités qui se sont développées dès le début du siècle précédent, soit peintes sur les murs, soit imprimées. C'est tout à fait approprié, d'autant plus que certains artistes du début su siècle dernier, comme le talentueux futuriste Fortunato Depero, ont voulu que la réclame soit une forme d'art s'inscrivant dans la quotidienneté de la ville. Et pendant la Révolution russe, bien des artistes et des poètes ont développé des idées comparables, en particulier au sein du LEF. Stéphanie Lemoine parle d'ailleurs de toutes ces avant-gardes qui ont considéré l'espace delà ville comme un lieu possible pour l'expression politique ou artistique. Elle fait aussi état du muralisme qui s'est développé un peu plus tard au Mexique avec Siqueiros, Rivera et Orozco. Cela a été aussi le cas aux Etats-Unis pendant le New Deal. Mais il existe aussi l'expression populaire, déjà présente à l'époque romaine (Cy Twombly s'en est d'ailleurs inspiré dans ses compositions). Les graffiti se trouvent presque dans toutes les régions du monde.
On pourrait d'ailleurs remonter à l'époque des cavernes avec les représentations d'animaux et de chasseurs, ou simplement d'empreintes de main. Mais là, il est évident que les hommes qui ont fait ces peintures rupestres avaient des qualités artistiques indéniables. L'auteur nous rappelle de quelle façon l'art a été introduit dans l'espace, du Land Art au Nouveau Réalisme. Là, peut-être, le rapprochement est moins évident. Ce serait en effet brouiller les cartes entre un art qui se développe dans un paysage naturel, un autre qui se sert des éléments offerts par l'espace urbain et l'intervention d'artistes dans la cité moderne. Fort heureusement, l'auteur nous ramène dans les rues de New York pendant les années 1970 et nous montre les premières réalisations faites surtout dans le métropolitain, terrain de jeu privilégie de ces pirates de l'art. Elles nous fait ensuite connaître les créateurs qui se sont fait un nom et ont ensuite été les héros du marché de l'art. Mais ce dernier chapitre est un peu court et assez incomplet, alors que c'est le véritable sujet du livre. Quoi qu'il en soit, ceux qui s'intéressent à cette affaire pourront trouver pas mal d'éléments pour découvrir cet univers qui n'est plus très nouveau, mais qui connaît toujours le même engouement.
Régénérer la démocratie, Michelangelo Pistoletto, Actes Sud, 112 p., 12 euro.
Michelangelo Pistoletto (né à Biella, dans le Piémont, en 1933) est sans doute l'un des artistes italiens les plus connus au monde. Il a été l'une des principales chevilles ouvrières de l'Arte Povera à la fin des années 1960. Il aussi travaillé pour le théâtre et s'est de plus en plus intéressé à la sculpture. Le tournant dans sa pensée qui nous intéresse ici est sans doute la naissance de son Progetto Arte, qui a pour objectif de fusionner l'économie, la société et ses forces créatives. Dans ce petit ouvrage qui a l'apparence d'un manifeste, il affirme que l'être humain est en partie naturel et en partie artificiel, ce qui semble d'ailleurs être du pur bon sens. Mais il ajouter que l'Art est au fondement de tous les aspects de la société, ce qui donne la prédominance à l'artifice. L'artiste en tire une conclusion surprenante : « L'Art est à l'origine des systèmes qui ont depuis toujours organisé la société humaine. » C'est un déplacement radical des axes de la pensée sur notre monde. Il songe aux créations pariétales de la préhistoire et affirme que l'art englobe et la religion et la science.
Après qui il démonte des vérités qu'on aurait pensé indestructible : il nie la vérité rendue par le miroir et considère que l'absolu existe, mais est relatif. Et quand se pose la question « Dieu existe-t-il ? », il répond : « Oui j'existe ». Ce faisant il joue avec notre raison et aussi avec nos nerfs. Il invente ensuite la notion d' « homithéisme », qui serait « l'autonomie individuelle de la conscience ». Avec la Renaissance, l'art va de paire avec les sciences. Depuis, on se demande si l'art a encore sa raison d'être. Pour l'auteur, l'art n'a de réalité que s'il conduit à la démocratie au sens premier du terme. Ce serait, si on le comprend bien, un instrument de libération. Il le perçoit même comme un outil d'éducation politique. Ce qui le ramène à sa définition de la Citadellarte, qui est à la fois une citadelle et aussi la ville elle-même. A partir de là, la création artistique est ce qui sous-tend toute la société. Michelangelo Pistoletto en vient à décrire une sorte d'univers ésotérique qui serait en mesure d'englober toutes les réalités humaines de notre temps dont l'art serait le véritable moteur de notre société actuelle. C'est une représentation idiosyncrasique qui ne peut avoir d'existence que par rapport à lui-même et à sa production artistique qui le manifeste d'une façon ou d'une autre. Cela fait partie d'une vision, dont il élargit beaucoup les confins et qui donne à son activité d'artiste une dimension plus vaste, plus intense et plus prégnante pour nous autres, ses dilettantes !
Accusé Napoléon, levez-vous !, Philippe Courroye, Robert Laffont, 318 p., 21, 50 euro.
De toute évidence, ce magistrat qui a entrepris d'écrire les heures de ce procès attenté à Napoléon à l'occasion du bicentenaire de sa mort à Sainte-Hélène. Il commence son ouvrage par un rappel de l'énorme travail accompli par cet homme infatigable (il pouvait travailler vingt heures de suite) dans le domaine législatif (il écrit trois autres codes après le code civil de 1804) ou dans celui de l'éducation, ce qui prouve que nous vivons encore selon les principes qu'il a édictés après le coup de force du 18 Brumaire et aussi les institutions toujours actuelles comme la Banque de France, la Cour des comptes, etc. Il le présente comme un bâtisseur colossal de la société française en accomplissant ce que la Révolution n'a pas pu mettre en oeuvre. Il lui impute seulement la révocation en 1802 de la loi sur l'esclavage promue sous la Révolution, mais précise qu'elle ne s'est appliquée qu'à Saint-Domingue, à la Réunion et à la Guadeloupe et non aux autres possessions françaises. Il évoque ensuite l'exécution du duc d'Enghien dans les fossés du château de Vincennes en 1804, qu'il ne regrettera jamais. Le chapitre suivant, il campe le chef de guerre. Il doit sa réputation à son action à Toulon pour en chasser les Anglais. La campagne d'Egypte et la campagne d'Italie ne feront que renforcer sa valeur comme chef de guerre. Il a aussi su valoriser ses faits et gestes militaires en publiant un journal de la l'armée en Italie où il vole de victoire en victoire. Napoléon a passé cinq ans de son règne à conduire des batailles dans toute l'Europe. Il a su donner à l'armée une structure nouvelle et forte. En ce qui concerne la question du pouvoir, l'auteur se demande si l'empereur n'a pas été saisi par la mégalomanie.
Le passage de sa position de Premier Consul à celui d'empereur s'est inscrit dans un processus destiné à métamorphoser l'Europe. La France compte alors 136 départements et a créé un royaume de Westphalie, qui fédère un grand nombre de petits Etats allemands. Les lois issues de la période révolutionnaires et celles de l'empire y sont appliqués. Napoléon va aussi développer des alliances avec de nombreux souverains alliés par des mariages de ses frères et soeurs avec leurs enfants. Il commet une erreur en épousant l'archiduchesse Marie-Louise d'Autriche car il ne sera jamais reconnu comme un véritable monarque. C'est là une erreur dont il ne se pardonnera jamais d'autant plus qu'il n'a pas ou sceller une paix durable avec l'empereur François. Le chapitre suivant abord la question de l'économie, qui est sans doute la question la moins connue. La France est devenue un pays prospère avec le blocus de l'Angleterre et aussi la diffusion de ses produits dans l'empire - une vente, certes, un peu forcée ! Même les conditions de vie de la classe ouvrière se sont améliorées. Du côté des paysans, peu d'améliorations notables en dehors de l'introduction de la betterave et du développement des vignes. Quant à l'industrie, elle connaît un essor remarquable. L'auteur examine aussi son rapport à la religion (il conclue le Concordat avec la pape, mais aussi avec les protestants et les juifs, qu'il a toujours voulu protéger. Du point de vue de la culture, il a favorisé les arts et a fait construire des monuments imposants.
Il a eu cependant maille à partir avec de grands écrivains comme Madame de Staël et Chateaubriand. Et Philippe Courroye fait un portrait intellectuel de Napoléon qui est très éclairant et enrichissant, car il montre qu'il a toujours beaucoup aimé écrire et qu'il était très cultivé, contrairement à certaines légendes. Somme toute, voilà un bon livre pour découvrir la personnalité de cet homme d'exception, de connaître en détail ses qualités, ses défauts, de prendre conscience de ses grandes réalisations et de ses erreurs fatales. Et, de plus, ces pages se lisent avec plaisir.
Sur les camps de déportées, Yvonne Oddon, Allia, 80 p., 7 euro.
Cet ouvrage est tout à fait intéressant car il nous informe sur les effroyables conditions de détentions des prisonnières politiques pendant la dernière guerre, mais aussi sur le destin de cette femme courageuse qui a survécu à ces conditions épouvantables de détention et a été libérée en 1945. Danielle Orhan a entrepris d'écrire de cette femme hors du commun, qui a très tôt rejoint la Résistance du groupe du musée de l'Homme dès 1940. Elle a en particulier participé à la publication de la revue ronéotée Résistance dont on trouve ici la reproduction en facsimilé (le premier numéro a paru en décembre 1940). Elle est arrêté en 1941 et traduite devant un tribunal militaire allemand en janvier 1942 qui la condamne à mort. L'intervention d'un diplomate français parvient à faire commuer la peine. Elle se retrouve d'abord dans une prison à Lübeck puis à Cottbus en Allemagne avant d'être transférée dans le camp de Ravensbrück. Son témoignage est très concis et ne nous fournit que la trame très générale de son histoire de prisonnière. Elle n'entre pas beaucoup dans les détails de la souffrance, de l'horreur, du désespoir que ces femmes condamnées pour des raisons politiques ont connu comme elle. Et elle ne paraît pas avoir eu peur de la mort. Yvonne Oddon demeure très pudique. Elle s'en tient aux faits. Ce livre n'en demeure pas moins un témoignage poignant et qui donne la mesure de la terreur que le nazisme a voulu répandre dans tous les territoires conquis. Il ne faudrait surtout pas que cet énorme dossier de la déportation puisse se refermer un jour au nom de la bonne entente entre la France et l'Allemagne ou au nom de la solidarité européenne. C'est justement ce passé et sa connaissance qui peuvent soudés des Nations qui n'ont pas cessé de s'affronter jusqu'à l'horreur pure du national-socialisme.
L'Alhambra, à la croisée des histoires, Edhem Eldem, Les Belles Lettres, 384 p., 21, 50 euro.
Voilà un livre savant parce que l'auteur a voulu nous montrer ce que ce célèbre monument élevé à Grenade à l'époque d'al-Andalus. La complexité apparente de cette étude vient du fait que l'auteur a voulu embrasser tous les domaines que suppose un tel sujet : l'histoire, l'archéologie, la littérature, les voyages, la vision occidentale et la vision « orientale », etc. Et il n'a négligé aucun aspect. C'est ce qui fait l'incroyable richesse de sa recherche avec ses innombrables éclairages. L'Alhambra n'a été redécouvert qu'à la toute fin du XVIIIe siècle. Jean-Pierre Claris de Florian a écrit un ouvrage intitulé Gonzalve de Cordoue ou Grenade reconquise, où il fait une description détaillée de l'Alhambra, un livre d'histoire des Maures en Espagne. Puis a paru entre 1807 et 1818 le grand Voyage pittoresque et historique de l'Espagne du comte Alexandre de Laborde. En outre, des guides sont publiés à cette époque. Ces livres qui sont autant d'invitations au voyage sont en général écrits par des Anglais ou des Français.
Mais les Espagnols, surtout sur l'impulsion du roi Carlos III, avaient commencé à répertoriés les bâtiments anciens du leur pays et plusieurs architectes se sont succédés pour faire des relevés précis des édifices les plus remarquables. Puis on a corriger les travaux déjà entrepris et on fait paraitre un volume, les Antigüedades arabes de España, avec vingt-neuf planches dont vingt-et-une sont consacrées à l'Alhambra, qui est sorti de presse en 1787. Environ une décennie plus tard, un Irlandais, James Cavanah Murphy, achève un livre sur les antiquités arabes d'Espagne avec plus de cent planches. Les études se multiplient dès lors et l'Alhambra est désormais au centre de l'attention. Dans son voyage en Orient, François-René de Chateaubriand est certainement celui qui, grâce à sa notoriété et son talent littéraire a fait le plus pour convaincre ses lecteurs de la beauté de ce lieu. Pour lui, c'est l'équivalent du Parthénon pour la Grèce. Mais la littérature grenadine avait déjà largement exploité les beautés de cet ensemble admirable. Chateaubriand l'a fait découvrir dans l'Europe toute entière. L'auteur souligne qu'il va inspiré des constructions provisoires ou permanentes pendant tout le XIXe siècle, comme, par exemple, la reconstitution de la « cour des lions » dans le Crystal Palace de Londres en 1860 et le pavillon de l'Espagne s'en empare pour vanter ses richesses artistiques lors de l'Exposition universelle de Paris en 1867. Ce type de construction et de décoration fait fureur et est imité un peu partout sur le Vieux Continent. Mais, rappelle l'auteur, une sorte de légende noire entoure l'Alhambra et la période arabe dans la péninsule ibérique. La mode de l'orientalisme, née avec le romantisme, a englobé le passé de l'Espagne. Parmi tous les grands auteurs qui l'ont exploité, il faut compte Théophile Gautier, qui a visité ce pays en 1840 en a rédigé son Voyage en Espagne en 1840. Comme lui, Victor Hugo voit ce pays comme une portion d'Orient sur notre continent. Et l'auteur fait aussi allusion au célèbre peintre Jean-Léon Gérôme, s'inspirant du poème d'Hugo, qui a tendance à transformer la réalité pour séduire sa très riche clientèle.
Henri Regnault a fait la même chose en rappelant le massacre des Abencérages et a plu au Salon. Marià Fortuny a traité le même sujet lui aussi en 1870. Vigny ou Disraeli se retrouvent sur le même état d'esprit. Une mode est dès lors lancée et le public est fasciné par ces Maures violents et sans pitié tout comme d'ailleurs l'intelligentsia européenne. A l'Exposition universelle de 1900 à Paris, une salle entière du pavillon de l'Espagne est dédiée à l'Andalousie au temps des Maures. Il fait se souvenir qu'à la Belle Epoque, la France a quasiment conquis toute l'Afrique du Nord. Et l'Espagne voit paraître des romans historiques populaires concernant cette phase ou la reconquête. Dans le reste de son imposante étude, l'auteur élargit l'angle de vie et embrasse tout le Maghreb et puis analyse de quelle manière nous avons pu appréhender à la fois l'idée romanesque et la conception idéologique de l' « Orient ». C'est là un grand livre de référence, dont nul ne saurait se passer su veut comprendre cette présence arabe en Espagne et quelles ont été les conséquences en Afrique. Sans compter les étranges résonances en Europe.
Rien que la préface mérite le détour car il part d'une carte postale envoyée par un érudit palestinien appelé Khalîl Djawäd al-Kâlidî, ce que l'entraîne à évoquer la figure du grand peintre Ottoman Osman Hamdi Bey, fondateur de l'Académie des Beaux-arts d'Istanbul et grand archéologue, peintre réputé, qui exécutait deux versions du même tableau, l'une étant réservée aux amateurs turcs, l'autre destinée à être envoyée au Salon à Paris. C'est un petit montage par analogie qui nous plonge dans la vérité et la complexité du sujet. Ce livre peut séduire autant le spécialiste que l'amateur éclairé.
Les Papillons de Kracov, quand nous ne lirons plus les livres sous la mer, Sylvie-E. Saliceti, gouache de Sophie Grandval, Editions du Canoë, 64 p., 14 euro.
Ce petit livre fait immédiatement songer aux Pêcheurs de perles de Georges Bizet (créés au Théâtre lyrique de Paris en 1863). Maos l'on ignore quelle a été la véritable source d'inspiration de l'auteur. L'oeuvre de Bizet se situe à Ceylan alors que la sienne a pour lieu les côtes de la Corse. Sylvie-E. Saliceti fait alterner poèmes et prises (les proses ayant aussi une tonalité poétique). Son idée a été de donner une dimension transcendantale à la figure du corailleur et de rendre symbolique ses instruments de travail, surtout la corde, et l'univers marin où il évolue. Cette métaphore puissante et ci développée dans différentes directions fait songer à un genre poétique romantique, comme celle du Lac d'Alphonse de Lamartine, mais dans une optique beaucoup plus moderne dans sa forme et dans ses connotations. L'auteur a voulu jouer sur tous les registres suggérés par l'immersion dans les profondeurs aquatiques et aussi sur la lente et périlleuse remontée à la surface. Son expression est sans baroquisme aucun, son écriture est simple et pure et ses images sont proposées avec une grande économie de moyens. Nous ne sommes donc pas en face d'une création hermétique ou ésotérique. Cela n'exclue pas du tout une densité et une intensité de ce visions sous-marines, qui ne sont ici que les traductions de l'esprit humain qui s'enfonce dans les zones les plus abyssales de l'inconscient et tente de retrouver la lumière au terme de cette plongée risquée à la recherche de ce corail précieux. On voudra, pour les uns, une figure de la spiritualité et, pour les autres, les tentations téméraires d'un être en quête d'une âme éprise de liberté et d'accomplissant au-delà des normes instituées. Quoi qu'il en soit, il s'agit toujours d'une volonté de dépassement. Des nuées de papillons apparaissent à un certain moment, et demeure mystérieuses dans ce contexte. Le tout se lit avec plaisir et d'une traite, sans le moindre accroc, et s'inscrit dans la tradition d'une littérature qui a développé un élément métaphorique pour en découvrir toutes les facettes, même les moins évidentes.
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