Dans les arts plastiques, parmi les nombreux pôles esthétiques antagonistes, on repère aisément (en dehors même de l' « art minimal », ce mouvement artistique américain des années 60) tout ce qui, avec une grande économie des moyens, tend à ôter, réduire, simplifier, en renonçant même au symbolique et ses différents niveaux et puis, à l'opposé, tout ce qui incline à rajouter, emplir, compliquer, dans une exubérance, une profusion baroques, comme s'il n'y avait pas de vide dans la proliférante nature, dans ce monde le plus touffu qui soit... En galeries, trois expositions parisiennes actuelles (deux de la première tendance, une de la seconde) peuvent remettre en mémoire la constance de ce repérage esthétique.
Jusqu'au 30 avril, à la galerie Univer - 6, Cité de l'Ameublement Paris 11ème, Marinette Cueco nous montre l'effet « minimaliste » que l'on peut tirer d'une rencontre très simple, celle d'entrelacs de joncs et de morceaux d'ardoise. Son exposition Ardoises, entrelacs illustre la systématicité possible de cette rencontre : ou bien tels des insectes pris dans une toile d'araignée, des morceaux de pierre grise sont attachés à des joncs reliés entre eux, ou bien des fragments d'ardoise sont entourés de fil végétal ; ou encore, par des trous dans le schiste, le fil passe et repasse, traçant des lignes claires, droites ou brisées, et donnant la curieuse impression que la pierre sombre est « cousue ». Vraiment rien d'autre. Parfois même, ce n'est qu'un entrelacs de joncs, ou juste un morceau d'ardoise collé sur un autre... Ce strict dépouillement rencontre ses amateurs, et c'est la cinquième fois que Marinette Cueco est invitée à exposer ses collectes naturelles dans la galerie. Éléments décoratifs ?... On pense à l'harmonie créée par l'un de ces objets, éclairé, dans un intérieur « high-tech » qu'il « réchaufferait » de sa note naturelle, tout en sauvegardant l'idéal épuré du décor.
Jusqu'au 10 avril mais sans doute prolongée après la fin du confinement, à la galerie Sultana - 10, rue Ramponeau Paris 20ème, le jeune Jean Claracq (il n'a que 29 ans) arrive à nous convaincre avec brio que le gigantisme spectaculaire qu'affectionne une partie de l'art contemporain (pour flatter la mégalomanie vulgaire de certains de ses collectionneurs ?) ne se justifie pas plus que la complexité conceptuelle de certaines de ses installations. Alors il nous propose des peintures à l'huile soignées, au format minuscule, avec des sujets simples liés à sa génération (les « millenials », individualistes et connectés), comme par exemple ce jeune homme allongé au sol devant son ordinateur, ou cet autre, mélancolique devant sa fenêtre. Les thèmes font penser parfois à ceux de David Hockney. Il n'y a pas plus de message sophistiqué que de recherches formelles au troisième degré. Les propositions plastiques de Jean Claracq marquent d'abord un renouveau appréciable de la miniature - qui est toujours cette forme concentrée incitant le spectateur à la... concentration - et ensuite un désir fondamental et nu d'inscrire les siens (qui paraissent bien solitaires, remarquons-le) dans le moment présent. La galerie expose très peu d'oeuvres. Et c'est parfaitement logique, on en conviendra.
Chez Manjari & Partners - 9, Cité de l'Ameublement Paris 11ème, Sang de colère, une exposition encore visible à la fin du confinement. Une série de dessins profus, surchargés, pléthoriques, hypertrophiés, mêlant à foison l'anecdotique et le décoratif, témoignant d'un plaisir évident à en rajouter dans les détails jusqu'à mette en péril la visibilité des figures. Le nom d'emprunt de l'auteur, Denis Grrr, témoigne de cette rage de l'inscription fourmillante... Dans le milieu du fanzine et de la presse underground, où ce dessinateur a commencé à travailler, le jeune lectorat est ravi de ce grouillement de détails. Les repérer, les dénombrer l'amuse d'autant plus qu'il les reçoit comme un message, en sous-texte et de connivence, de l'auteur (on ne comprend rien aux dessins d'un Gotlib, par exemple, si l'on omet cette dimension). Plus tard, le collectionneur qui a gardé son âme d'adolescent ne va pas bouder son plaisir et achètera ici un original ou une copie certifiée. Illustrant les compilations Master Of Brutality, puis la Grande Guerre (influence alors d'Otto Dix ?) et enfin, dans cette galerie parisienne, différents thèmes sataniques et les Sept Péchés Capitaux, Denis Grrr a cette particularité de travailler au stylo bille (Bic Médium est le sous-titre de son exposition) depuis sept ans. Il n'est pas le seul dans ce créneau, et l'on songe tout de suite à la dessinatrice virtuose américaine, Emil Ferris... Mais Denis Grrr n'utilise, lui, que la couleur ocre rouge, qui évoque le sang séché. Et sa référence aux gravures du 16ème et 17ème (on retrouve parfois Jacques Callot) est patente. Il dessine paysages de fond et nuages comme on le faisait alors. Ses figures démoniaques, ses monstres hérissés, vampires et autres goules s'inscrivent dans la tradition, mais l'érotisme violent que le dessinateur met en scènes et images, procédant des subversions de la presse underground, reste tout à fait contemporain. « C'est osé ! », s'exclameront les visiteurs qui n'ont pas l'habitude. Mais ce qui va retenir le collectionneur se situera, parions-le, bien plus dans l'incontestable maîtrise du dessin et surtout, témoignant à la fois d'un fétichisme et d'une « folie » maniaque, dans ce maximalisme vertigineux du détail.
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