Corot, la mémoire du paysage, Vincent Pomarède & Gérard de Wallens, « Découvertes », Gallimard /RMN - Grand Palais, 176p., 9, 50 euro.
Camille Corot, cela ne fait aucun doute, est le plus célèbre des peintres de l'Ecole de Barbizon, et sans doute le plus doué de tous. Ce qui est amusant c'est qu'on retrouve dans ce volume une anecdote savoureuse qui disait : « Corot est l'auteur de 3.000 tableaux dont 10.000 ont été vendus en Amérique. » Cette phrase cocasse est sortie lors d'une grande affaire de faux qui a eu lieu en 1936. En réalité, et cela je l'ai retrouvé par hasard dans une thèse sur le peintre, cette phrase a été prononcée déjà de son vivant (avec des chiffres moins opulents !). On a longtemps discuté si Corot peignait des copies de ses propres oeuvres - ce qui est probable et pas rare en son temps. Mais il est clair que cette formule a eu un tel succès qu'elle est encore employée de nos jours ! Ce fils de marchand de drap, qui a eu bien du mal a échappé aux ambitions de son père qui le voyait dans le commerce, a été un rude travailleur et se production a été pléthorique.
Ce qu'affirment les auteurs de cette belle monographie est qu'il a bel et bien répété, avec de maigres modifications, des tableaux qui ont été convoités par d'autres amateurs. (Dante Gabriel Rossetti, dont la production était bien moindre, a bien refait certains de ses tableaux quand un magnat de l'industrie visitait son atelier). Mais de là à en faire un faussaire ! Quoi qu'il en soit, il a trouvé Achille Etna Michallon un maître en 1822. Un bon maître. Celui-ci lui fait découvrir le paysage néoclassique (en particulier celui de Valenciennes). Quand son maître meurt, il devient l'élève de Jean-Victor Bertin. Il va peintre dans la région de Ville-d'Avray où il commence à affirmer son talent. Il a réalisé son rêve - voyager en Italie à partir de 1825. Il y a découvert Rome avec enchantement. Il passe d'un mont à l'autre, et il les a peints avec transport. Mais avec cette modération dans le touché et le rendu. Il dessine et peint de nombreuses figures du petit peuple et aussi de larges vedute. Son voyage a duré trois ans et il a élargi considérablement son champ d'expérience picturale.
Quand il rentre en France, il ne va pas tarder à fréquenter la forêt de Fontainebleau et parfois se rend en Normandie, et puis s'est aussi rendu dans le Morvan. Corot ne veut pas être prisonnier d'un lieu ou d'un sujet. Il exécute un certain nombre de portraits de ses bois et sous-bois il a fait surgir des personnages qui sont parfois des mythologies, toujours d'une taille réduite par rapport aux arbres. Il repart en Italie en 1834 et a visité cette fois Venise et ensuite Florence. A partir de 1840, il multiplie les scènes bibliques et mythologiques. A Paris, il a continué à exposé au Salon, avec pas de mal de succès public et plus de réserve du côté de la critique. En 1843, il est retourné pour la dernière fois à Rome. S'il a toujours voulu être libre dans ses modes d'expressions, il s'est attaché, au milieu des années 1840 ; à la représentation de l'Age d'or, mais a composé des toiles où la nostalgie de la Renaissance italienne est évidente. Dans ce petit mais remarquable ouvrage, on trouve un choix de reproduction remarquable et éclairant, avec toujours une documentation riche, précise et précieuse. Ce Corot doit être toujours mis en bonne place dans la bibliothèque de l'amateur d'art !
Doc(k)s -Spécial Charles Dreyfus-Pechoff, Edition Akenaton, 460p., 50 euro.
L'imposante, l'impressionnante, la richissime revue Doc(k)s dirigée par Julien Blaine a longtemps été l'un des point de fixation de l'avant-garde en France (mais elle ne s'est pas limitée, et de loin, aux frontières de l'hexagone). Charles Dreyfus est né à Suresnes en 1947. Il a consacré sa thèse au groupe Fluxus - groupe aux contours volontairement indéfinis ! Elle a été publiée en 2012 par Les Presses du Réel. L'idée de cette recherche lui est venue lorsqu'il a rencontré George Maciunas à New York en 1974. Il est lui-même artiste -, terme qui, dans son cas, pourrait être décliné de mille façons différentes car son oeuvre conjugue d'une manière très particulière littérature et arts plastiques, sans que jamais l'un l'emporte sur l'autre.
Il se présente d'ailleurs comme un pur produit de Fluxus, ce qui serait gênant et prétentieux si l'on ignore la nature de Fluxus, dont Joseph Beuys a été momentanément un membre. Ce fort volume rassemble une quantité impressionnante d'oeuvres de Dreyfus, mais aussi des hommages de poètes et d'artistes qui l'ont connu et qui ont apprécié sa recherche. Il m'est arrivé de voir des expositions qui lui ont été consacrées, mais je ne suis jamais parvenu à me faire une idée précise de l'objet de ses spéculations ! Il faut dire que je n'ai jamais vu ses performances ni entendu ses enregistrements Julien Blaine est passé maître dans cette manière de faire, non sans réussite.
De surcroît, ma connaissance est bien lacunaire car ce genre de créateur a le don d'avancer ses pions dans des directions non seulement différentes, mais souvent contradictoires ! En consultant cet ouvrage, il n'est d'ailleurs pas aisé de se faire une idée précise de qui est ce personnage, car ses créations se mêlent aux hommages ou aux commentaires apportés à son oeuvre pléthorique. La formule n'est pas déplaisante en soi, elle est même ludique, mais n'aide pas franchement le néophyte ! Dès les premières pages, on peut néanmoins se convaincre d'un certain nombre de choses : Dreyfus aime annoté ses textes imprimées de notes au stylo à bille ou au crayon, il aime traduire ses écrits, même en grec ancien, et a un goût prononcé pour les listes. De plus, l'humour (même très noir) tient une place de choix dans ses poèmes ou petits récrits (conservons ces termes pour ne pas accentuer l'opacité du sujet). Il adore aussi jouer avec les mots, jusqu'à l'absurde. C'est d'ailleurs une des marques de fabrique de cet univers issu de Fluxus qui ne peut dire des choses sérieuses ou marquantes que par le biais d'un éclat de rire mordant et parfois cruel.
En réalité, l 'idée et de séparer le plus possible l'art et l'esprit de sérieux. Et il associe volontiers la photographie et le collage aux formules qu'il communique à ses lecteurs ou spectateurs. Il y a des témoignages de grandes figures passées, comme Dick Higgins et Adriano Spatola, quelques essais plus classiques qui nous permettent tout de même de mieux faire connaissance avec cette figure assez déroutante et puis des masses de documents qui nous font basculer dans un univers peu commun. C'est en fin de compte un livre bien fait malgré son désordre recherché et mis en avant comme le clef pour découvrir le pourquoi du commun de cet art si peu respectueux des bonnes manières.
La Source, et autres histoires d'un ruisseau, Elisée Reclus, « sagesses », Folio, Gallimard, 128p., 3, 50 euro.
Le nom d'Elisée Reclus (1830-1905) ne nus parle plus beaucoup. Et pourtant il a joué un rôle important dans notre pays dans la seconde moitié du XIXe siècle. Grand géographe, il a laissé une oeuvre considérable qui a connu un succès immense en son temps. Ses grands ouvrages, comme La Terre. Description des grands phénomènes de la vie du globe (paru en deux volumes entre 1868 et 1869 chez Hachette), Les Phénomènes terrestres (Hachette, entre 1870 et 1872) et surtout la Nouvelle Géographie universelle, la Terre et les hommes en 19 volumes publiée entre 1876 et 1894, qui est suivi de L'Homme et la Terre, avec Paul Reclus (La Librairie universelle ont figuré parmi les grands ouvrages de référencé de cette fin du XIXe siècle.
Franc-maçon, amoureux de la Nature, partisan de l'union libre, l'un des grandes figures de la Commine de Paris, a été un anarchiste convaincu qui a une influence indéniable. Exilé en Suisse, il a continué à écrire sur d'autres questions que celle de la géographie. Il a été le grand précurseur de la géographie sociale. Dans ce petit choix de textes, on le voit tenter de dépeindre les eaux jaillissant d'une source et d'autres petits ruisseaux ou des torrents en employant un langage polymorphe, qui va de celui de la poésie à celui de la science, en ayant parfois recours à la mythologie.
Cela peut surprendre au premier abord, mais, finalement, il sans être ni Jean-Jacques Rousseau ni David Thoreau, en demeurant le savant qu'il est avant tout (mais qui est aussi un étrange humaniste), il est capable de suivre le cheminement de l'eau en nous faisant comprendre ce qu'il peut signifier pour la chimie comme pour l'enchantement des sens et l'éclosion des sentiments que tout un chacun pourrait ressentir à sa fréquentation. Ce n'est pas une philosophie no un élan mystique, mais la tentative de cerner, avec ce menu sujet, les relations que l'être humain peut entretenir avec bonheur avec le monde qui l'entoure, sans la moindre brisure. Dommage que la sélection soit si courte car on aurait aimé goûter un de ces textes dans on intégralité. On peut tout à fait établir un lien étroit entre ce qu'il a pensé et ce que pensent les nouvelles générations sur le destin de notre globe.
Le Domaine, Federigo Tozzi, traduit de l'italien par Philippe Di Meo, Editions de la Bâconnière, 288p., 20 euro.
Federigo Tozzi (1883-1920) fait partie de ces auteurs italiens qui n'ont pas une grande notoriété en France. J'ai déjà eu l'occasion de parler à plusieurs reprises de ces béances dans la connaissance de la littérature italienne moderne. Il faut d'ailleurs dire que sa postérité a été également assez difficile dans son propre pays et ce n'est que ces dernières décennies qu'on a commencé à l'apprécier à sa juste valeur. Ce Siennois d'origine modeste, surnommé Ghigo, Sa scolarité est plutôt chaotique et il fait ensuite des études techniques. Il est alors très influencé par William James (le frère de Henry). Il adhère au parti socialiste en 1901. Il a fondé la revue La Torre en 1913.
En 1918, Luigi Pirandello l'appelle à la rédaction du Messaggero della Domenica. Il publie pendant la guerre Le Bestie (1917) et commence seulement à fréquenter les milieux intellectuels. Il y publie un certain nombre de ses nouvelles. Il est frappé par la grippe espagnole en 1920. Il n'a pu donc publier que peu d'ouvrages, dont en 1919, ce qui est sans doute son chef-d'oeuvre, Gli occhi chiusi (1919), une oeuvre de fiction commencée dix ans plus tôt. Ses romans et ses récits sont assez loin du vérisme (ce qui est un peu l'équivalent de notre naturalisme), mais demeure assez réaliste. Toutefois, Tozzi a une plume enlevée, brillante, elliptique. De plus, il a toujours éprouvé le désir de s'enfoncer dans les profondeurs de l'âme humaine, ce qui a plu à des auteurs comme G. A. Borgese. Il a une écriture très moderne et une vision di monde qui s'éloigne de celle de ses contemporains de la fin du XIXe siècle. Il faut aussi ajouter que Tozzi a manifesté son amour pour sa Toscane natale et pour Sienne, mais sans jamais verser dans le pathos régionaliste.
Dans le Domaine, il a imaginé une histoire qui se situe à l'opposé de la sienne : il s'agit d'un jeune homme, Remigio, avec qui nous faisons connaissance quand son père, Giacomo, est à l'article de la mort. Il hérite d'un beau domaine agricole, mais se trouve dans l'incapacité de le gérer, n'ayant aucune expérience dans le métier d'agriculteur (il s'est vite détaché de l'influence paternelle en partant assez tôt de la maison de famille et en se réfugiant à Sienne. Avec cet événement, il se retrouve face à face avec sa belle-mère et il commence à remuer des souvenirs douloureux de sa propre mère. En outre, il se retrouve confronté à des dettes et à des créanciers avec lesquels il ne sait trop comment s'y prendre.
Et il y a aussi le notaire, maître Pollastri, dont la grande bienveillance est plus que suspecte. Il a affaire avec des aigrefins, des escrocs, des juristes plus ou moins honnêtes, des profiteurs assez malins, en somme une foule de gens qui veulent le dépouiller d ces biens à peine reçus. La rapidité avec laquelle se déroule l'histoire rend l'affaire encore plus singulière. En fait, il n'y a pas un roman à proprement parler, mais tous les aspects d'une situation, qui ne fait que dégénérer. Tozzi est un écrivain à découvrir pour ceux qui ne le connaissent pas encore. Il a assez proche de nous par son style et par se pénétration des figures dont il a orné cette histoire, où c'est plus le comportement du héros qui est important. Le reste est un vaste contexte embrouillé et malveillant où il doit se débattre sans avoir les armes pour l'affronter. Le Domaine se lit avec beaucoup de plaisir même si le sujet n'est pas réjouissant et balzacien en diable ! Il faut absolument remettre Federigo Tozzi à la place qu'il mérite dans la littérature italienne de la Belle Epoque.
Aller simple suivi de L'Hôte impénitent, Erri De Luca, traduit de l'italien par Danièle Valin, bilingue, « Poésie », Gallimard, 320p., 9, 50 euro.
Dans notre hexagone, on connaît bien l'oeuvre en prose d'Erri De Luca, mais guère sa poésie. Cette édition vient à point nommé offrir cette possibilité de mieux connaître cet auteur. Je dois dire que je ne l'apprécie pas beaucoup, ni comme écrivain, ni comme personnage public. Il est entré dans le groupuscule d'extrême gauche Lotta Continua en 1968 et aurait renoncé à la lutte politique en 1976. Grand bien lui fasse. Il a toujours joué sur une image de prolétaire (alors qu'en tant qu'auteur à succès, il doit ne pas être franchement dans le besoin) - il a une bibliographie longue comme le bras) à partir de 1989, quand a paru son premier ouvrage chez Feltrinelli (comme par hasard), Non ora, non qui. Quand il parle de sa situation sociale dans sa jeunesse, il déclare : « J'ai fait le métier le plus vieux du monde. Pas la prostituée, mais l'équivalent masculin, l'ouvrier, : qui vend son corps de force de travail. » Et quand il est invité à paraître à la télévision, il se présente très souvent avec une chemise à carreau typique des travailleurs de force et surtout des maçons dont il a fait partie.
Il se dit autodidacte et joue beaucoup sur ses origines modestes. Pour moi, c'est un comédien au talent incomparable. Nous voilà donc avec un homme de lettres inculte et manuel, qui nous fait songer aux figures issues de la littérature naturaliste. Erri De Luca est un personnage d'Emile Zola ! Mais c'est en réalité un homme habile et malin, qui a trouvé une formule en or pour fabriquer ses livres qui sont en général très minces, écrits avec beaucoup de simplicité et qui aborde des sujets en vogue. Je dois reconnaître que sa poésie est meilleure que sa prose, mais elle demeure assez peu faite pour transporter. On y retrouve beaucoup de truismes et d'idées faciles, où tout un chacun peut se reconnaître sans difficulté. Je ne lui demande pas d'être un hermétiste, un façonneur de mots comme Mallarmé ou Ungaretti. Mais peut-être de considérer la chose littéraire comme autre chose qu'un piège ingénieux où faire tomber ses lecteurs aveuglés.
Hiver 1814, Michel Bernard, « la petite vermillon », Editions de la Table Ronde, 272p., 7, 80 euro.
Michel Bernard a choisi un beau sujet, qui nous rappelle, pour les enfants de ma génération en tout cas, les livres d'Erckmann et Chatrian. Cette campagne qui a marqué la fin du Premier Empire (Waterloo n'a été que la tentative désespérée de rejouer cette partie), a inspiré, comme celle de Waterloo, foule d'écrivains de Stendhal à Joseph Roth, en passant par Louis Aragon. Michel Bernard, est quasiment devenu écrivain en rappelant les mouvements et les affrontements de cette campagne titanesque où l'empereur a surpris tout le monde par sa capacité tactique qui aurait pu le conduire à la victoire malgré le nombre incroyablement supérieurs des forces coalisées. Cela nous donne un livre curieux, à mi)chemin entre le roman et la chronique militaire, où l'écrivain s'est rapproché au plus près de la réalité historique. D'autre part, il a tenté de brossé un portrait de cet homme hors du commun, qui a cru, contre vents et marées, contre tous ceux qui l'entouraient, que tout était encore possible.
Il y avait sans doute quelque chose de profondément désespéré dans l'esprit du génial condottiere, mais il devait aussi y avoir cette énergie titanesque que peut faire jaillir une situation telle que celle-là. La Grande Armée n'était pas à l'agonie. Elle était tout simplement surclassée en nombre. Cette sombre année de notre histoire qui a vu les cosaques bivouaquer aux Champs-Elysées. Michel Bernard a réussi là un livre merveilleux, qui nous fait revivre les principaux épisodes de cette colossale empoignade où ses pires ennemis ont finalement été les plus proches de ses collaborateurs. Il a très bien su nous présenter cet homme qui défie le destin, sans l'idéaliser et sans non plus le diminuer. Ce n'est pas un portrait officiel, mais ce n'est pas non plus une caricature.
Il a tenté de se rapprocher au plus près des pensées de quelqu'un qui s'est retrouvé devant un défi presque impossible à relever. C'est écrit avec beaucoup d'économie dans les moyens littéraires mis en oeuvre, mais aussi avec la capacité de pointer les questions épineuses et les dilemmes les plus graves - ce qui nécessite une certaine subtilité et une intelligence véritable dans la lecture de ce passé. Il faut saluer le talent de Michel Bernard et aussi un certain sens de l'impensable coup de dé belliqueux, celui qui a fait vaincre et Alexandre le Grand et Jules César après lui et qui, dans ces circonstance, ne lui pas été favorable quelque furent ses facultés qui ont été immenses et son intelligence tactique. Napoléon Ier ne sort pas grandi de ces pages, mais peut-être plus humain et plus attachant, ce n'est pas une statue de marbre ou un être mythique.
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