Arles... Ses ruelles assoupies, tortueuses aux pavés disjoints, luisants, bien plus fréquentées par les oiseaux que traversées par les voitures, les façades artistiquement délabrées de ses maisonnettes, percées de plantes folles çà et là, de lourds volets gris fermés, une lanterne noire en fer forgé; et puis le temps arrêté sur le Moyen Âge roman du cloître Saint-Trophime ou la romaine Antiquité des arènes... Un centre historique miraculeusement sauvegardé, paradis de quiétude propice à la méditation : le vieil Arles - qui abrite en grande partie le Festival 2017, « Les Rencontres de la photographie » - semble une réponse de sérénité aux fureurs de notre monde, à la démesure de notre Histoire que nous livre crûment le Festival en sa 48ème édition. Et Sam Stourdzé, directeur des Rencontres, a su la rendre passionnante une fois de plus, tant par cette prise directe et sans concessions sur les drames de notre temps, politiques, écologiques, que par une large ouverture culturelle, géographique.
On est forcément injuste en citant telle exposition plutôt que telle autre, il faut l'assumer... Dès la gare, dans un lieu appelé « Ground Control », Gidéon Mendel nous rappelle, dans Un monde qui se noie, la catastrophe récurrente d'un climat détraqué par nos soins : les inondations. Le photographe a parcouru les zones inondées dans plus de 13 pays, et il en a tiré des portraits saisissants de personnes qui posent, de l'eau jusqu'aux genoux ou au poitrail, devant leur habitation inondée. Détresse, fatalisme, vulnérabilité dans le regard... Il ne reste plus aux sinistrés qu'à patiemment attendre le retrait progressif de l'eau pour mesurer l'étendue de la catastrophe et de leur désespoir. Mieux que les discours alarmistes de la COP21, les Portraits submergés de Mendel fascinent par l'abattement impassible qui s'en dégage, l'actualité venant ici rejoindre le mythe (Déluge), tandis que les Traces d'eau nous montrent d'effrayants clichés, agrandis, et qui ont juste été abîmés par les eaux. Ainsi, même la mémoire photographique des sinistrés se voit détruite par l'inondation !
Dans la même section, « Désordres du monde », une autre catastrophe, épouvantable, directement produite par une entreprise humaine. Une affaire toujours d'actualité : les effets dévastateurs (santé, environnement) - de l'agent orange (défoliant) au développement des OGM en passant par l'usage intensif du Roundup - de certaines productions chimiques de l'entreprise américaine Monsanto. Monsanto, une enquête photographique, travail d'investigation à la fois vaste et précis, réalisé par Mathieu Asselin - comparable par son ampleur à ce que nous proposèrent en Arles, il y a deux ans, l'exposition Les Paradis, rapport annuel de Paolo Woods et Gabriele Galimberti, sur les paradis fiscaux -, se développe comme une magistrale mise en photos et en récit de ce que maints articles et rapports ont dénoncé depuis longtemps. La photographie, la collecte d'images jouent ici un rôle à la fois pédagogique et critique, Mathieu Asselin a obtenu une compacité tragique et incarnée, en général manquée par les médias... Bouleversant est le portrait de Thuy'Linh, 21 ans, née sans bras, troisième génération de victimes de l'agent orange à pâtir de malformations génétiques.
66 photographes iraniens pour illustrer Iran, année 38 et nous convaincre (comme le cinéma l'a déjà montré) que, 38 ans après le début de la révolution conservatrice islamique, une vivante société civile, urbaine, inventive, variée, n'aspire qu'à rappeler au monde, par-dessus voiles noirs et matraques d'un dogme religieux suranné, quel peuple d'artistes raffinés et subtils demeure aussi le peuple iranien. Cet impressionnant panorama, en dépit de clichés documentaires difficiles à supporter et parfois déprimants, remplit d'enthousiasme le visiteur, séduit par le courage de ces femmes photographes trouvant des voies originales pour contourner la censure, et par la capacité de tous ces artistes à transformer la contrainte de la tradition en un support d'expression... Dans la même section, « Je vous écris d'un pays lointain », le collectif madrilène Blank Paper est moins parvenu à témoigner de sa créativité.
Trois tendances repérables dans ces 48èmes « Rencontres de la Photographie » : d'abord le recours plus fréquent aux témoignages, paroles qui dramatisent des photographies percutantes déjà (par exemple Fifty-Fifty de Samuel Gratacap, sur les migrants qui embarquent en Lybie : on regarde et puis on lit, on ne peut qu'être profondément ébranlé) ; ensuite, ainsi que nous l'avions déjà noté l'année dernière, l'art contemporain, par le biais de plasticiens utilisant la photographie parmi d'autres moyens, a trouvé sa place en Arles (c'est net dans la grande exposition La Vuelta : 28 projets, plus ou moins expérimentaux, issus d'artistes colombiens) ; enfin, le retour marqué des années 60 et 70, comme si l'on espérait le retour d'une effervescence sociale et d'une prospérité qui nous font défaut aujourd'hui (Annie Leibovitz et son « people » d'alors, Karlheinz Weinberger et la contre-culture en Suisse, Joel Meyerowitz et ses couleurs américaines, etc.). On ne peut plus en dire davantage : Arles, quiète ville patrimoniale a su accueillir dans ses murs vénérables tant de photographes originaux, audacieux qu'on ne saurait tous les nommer ! Toutefois, comment ne pas citer la chilienne Paz Errázuriz, son regard sans concession sur les corps, l'impressionnant La vie dans les villes de Michael Wolf, et les photographies ludiques de Masahisa Fukase ? Enfin le Nouveau Prix Découverte a témoigné à la fois de poésie et de conscience critique... Bravo.
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