logo visuelimage.com
 
 
 
Les [Verso-hebdo] antérieurs
Retour 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 Suite

01-11-2018

25-10-2018

18-10-2018

11-10-2018

04-10-2018

27-09-2018

20-09-2018

13-09-2018

06-09-2018

28-06-2018

 
[verso-hebdo]
06-09-2018
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

Artistes en Normandie, Point de vue, Deauville / Somogy Editions d'Art, 94 p., 19 euros

Qui aurait pu imaginer que la ville de Deauville posséderait une collection de tableaux au musée des franciscaines ? Il est vrai que c'est la première fois que ces oeuvres dont beaucoup sont intéressantes. Bien sûr, on n'y rencontrera aucune pièce majeure, mais tout de même de belles choses, qui méritent le détour. Et  puis on y découvre des artistes peu considérés ou mal connus comme André Hambourg (19o9-1999) ou Robert Pinchon (1886-1943), aux côtés de Camille Corot, de Gustave Courbet et d'Eugène Delacroix. Sans doute sera-t-on plus attiré par un paysage de la main de Charles-François Daubigny ou par les falaises d'Etretat peinte par Claude Monet. Pierre Bonnard et Édouard Vuillard ont laissé eux aussi de beaux souvenirs de leurs passages. On aura du plaisir à découvrir les marines d'Adolphe-Alexis Cals (1810-1880), et celles de Franck Myers Boggs (1853 -1926) si différentes des vues d'Eugène Boudin. Et que dire des scènes nocturnes de Charles Angrand (1854-1926) ou des marines mélancoliques d'Henri Le Sidaner, qu'on a redécouvert depuis peu ? Il y aussi quelques Dufy, un dessin de Maurice de Vlaminck, une aquarelle d'André Lhote, deux petites huiles d'Othon Friesz, d'autres encore. Et puis on découvre dans cette exposition quelques clichés savoureux de Robert Doisneau et de Cartier-Bresson, suivi d'un petit groupe de photographes contemporains, dont Sarah Moon et Massimo Vitali. Cet ensemble mérite d'être découvert et apprécié sa juste valeur car on comprend à quel point la Normandie a éveillé l'intérêt et la curiosité et a éveillé l'envie de la peindre chez un grand nombre d'artistes.




Ramures & Retombes, Gérard Titus-Carmel, entretien de Evelyne Artaud, Editions Tohubohu / musée de Vence, s. p., 19 euros

On se souviendra des premières grandes expositions de Gérard Titus-Carmel, celle de l'ARC au musée d'Art moderne de la ville de Paris en 1971, celle du pavillon français de la Biennale de Paris l'années suivante et enfin celle du Centre Pompidou en 1978 avec un catalogue présenté par Jacques Derrida. L'artiste faisait figure alors du jeune et talentueux créateur français porteur des espoirs d'une nouvelle génération. Il faut dire que sa dextérité virtuose dans l'art du dessin et ce pointe de conceptualisme dans ses compositions faisaient de sa démarche un étrange compromis entre deux pôles extrêmes de l'art de cette époque. Après quoi l'engouement s'est émoussé sans que l'artiste disparaisse de la scène artistique. Il est demeuré très prisé, mais au fil des décennies, on s'est moins passionné pour son cheminement paradoxal. Aujourd'hui, ce catalogue qui présente des oeuvres récentes montre à quel point son travail a évolué. S'il demeure dessinateur au fond de l'âme, il est aussi devenu peintre. Il procède par collage de différents plans, qui sont disposés sur la surface comme des affiches qui peuvent se superposer. C'est très éloquent et d'une indéniable force plastique. Mais cette manière d'élaborer un tableau a déjà été explorée depuis longtemps ; C'est comme si l'artiste avait voulu repartir avant même ses premiers pas dans la sphère artistique. Le dialogue avec Evelyne Artaud est très intéressant, car Titus-Carmel tient beaucoup a mettre en évidence son travail plastique et sa recherche poétique, dont nous n'avons pas ici d'exemples, ce qui est dommage. On se rend compte aussi qu'il a choisi des thèmes qui le fascinent, comme celui du labyrinthe, qui le pousse vers une abstraction symbolique, mais aussi des thèmes issus de la flore marine, comme celle des lichens, ou de la flore terrestre, comme les viornes, comme lui fournissent le prétextes de dessins colorés ; qui évoque de très loin les nouvements des premiers ouvrages que nous avons connus de lui, mais traités dans une toute autre perspective. Ce catalogue nous montre que l'artiste a abandonné les effets qui l'avaient caractérisé pour une quête plus intériorisée et plus humble, mais qui ne manque pas de panache.




De quelques tombeaux de feus mes amis..., Julien Blaine, Au coin de la rue de l'enfer, s. p., 13 euros.

Le Sachet du sandwich... et ses attributs, Julien Blaine, s.p., Les Editions des îles d d'Orient.

Hors de l'origine du monde (Je), galerie Lara Vincy.

3 Immaculées conceptions, Julien Blaine.


Julien-Joseph Guglielmi, Françoise Janicot, Arrigo Lora Totino, Michel Butor, Armand Gatti, voici quelques uns des amis auxquels Julien Blaine a voulu rendre hommage après leur disparition de ce bas monde. Et il l'a fait dans son esprit on ne peu plus iconoclaste : pas de larmes, pas de gémissements, pas de louanges excessives et de discours de circonstance. Et pourtant, il a tenu, dans son style et sa façon de voir les choses, ces disparus, qui ont compté dans sa vie, mais aussi dans pour ceux qui aiment l'art et la littérature. Ces Tombeaux sont inspirés de la poésie ancienne dans leur esprit, et d'une sorte de dadaïsme sauvage dans leur conception, par l'écrit, mais aussi par le collage et la photographie de sépultures imaginaires.
Avec Le Sachet du sandwich, Julien Blaine s'est diverti trouver tous les aspects poétiques, par le texte et l'image, que recèle ce vulgaire sachet en papier. C'est une aimable poche, mais qui produit ses effets car l'auteur n'est dépourvu ni d'humour, ni d'invention, ni de fantaisie. L'exposition que Julien Blaine avait faite l'an passée à la galerie Lara Vincy était un pur condensé de sa manière de revisiter le passé de l'art. Il rend hommage à Gustave Courbet et sa scandaleuse Origine du monde, tableau devenu emblématique depuis qu'il trône au musée d'Orsay. Il a accompagné ses détournements éhontés sur un sujet déjà scabreux (pour certains !) de quelques oeuvres associant Mona Lisa et les pommes de terre. Plus la charge est grosse et plus elle fonctionne, car notre créateur sait comment faire déplacer les lignes de l'humour et de la connaissance qu'il instaure.
Enfin, avec ses 3 Immaculées conceptions, il révèle sa face de Janus, la fois sacrilège et amoureux de l'art, même si ses modes de production sont on ne peut plus ravageurs. Il poursuit sa route entre art et anti-art, avec cette voracité rare, toujours prêt à se gausser de tout dans une optique toute rabelaisienne et digne des complices de Tristan Tzara, mais aussi avec un fond de nostalgie bien caché mais réel. Il jette un pont entre le passé et un futur hautement hypothétique et indéchiffrable.




Voyage en Amérique, Jacques Offenbach, Le Castor Astral, 208 p., 14 euros

Jacques (Jacob) Offenbach, né à Cologne en 1819, d'origine juive, est le fils d'Isaac Eberst, qui a abandonné la reliure pour se consacrer à la musique (chantre dans les synagogues et interprète dans les cafés de la ville). Il s'était fait appeler Offenbach, car il habitait près de l'Offenbachplatz. Dès six ans, le petit Jacob joue du violon et puis commence à étudier le violoncelle, prouvant des qualités exceptionnelles. Il devient lui aussi chantre à la synagogue. Il compose très tôt. Il crée avec son frère et sa soeur un trio qui joue dans les bals et les cafés. En 1833, Isaac envoie Jacob étudier à Pais où il devient l'élève du rigide Luigi Cherubini. Il change alors de prénom. Il se perfectionne dans l'art du violoncelle et devient un virtuose ; Sa réputation s'établit et il joue même à Londres. Il commence à écrire des opérettes. Pour les faire jouer, il crée le théâtre des Bouffes-Parisiens qui se situe près de l'Exposition universelle de 1855. Orphée aux Enfers, avec des décors de Gustave Doré, lui vaut le succès en 1858. Ce succès est dû en partie au fait que Jules Janin a écrit un article l'accusant de se gausser de l'empereur. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il devient le compositeur le plus en vogue du Second Empire. La guerre franco-prussienne de 1870 le pousse à l'exil en Espagne (bien qu'il soit naturalisé français et qu'il ait reçu la Légion d'honneur). Une violence campagne est lancée contre lui pour ses accointances avec Napoléon III, ses origines allemandes et juives, on lui reproche sa satire de l'armée dans La Grande duchesse de Gerolstein (1867). Il poursuit néanmoins sa carrière à Londres et à Vienne. Il rentre à Paris fin 1871, mais ne connaît plus la même vogue. Une invitation à venir aux Etats-Unis à l'occasion de l'exposition universelle de 1876, lui offre l'occasion d'un voyage où il renoue avec la célébrité. C'est ce voyage qu'il raconte de manière savoureuse dans ce seul livre qu'il n'ait jamais écrit. Il est curieux de tout et décrit aussi bien le monde musical américain, qui manque encore beaucoup de structures et de conservatoires, mais qui possède déjà d'excellents orchestres, comme il décrit des serveurs de restaurant, le luxe des grands hôtels, les innovations techniques, croque les femmes d'Outre-Atlantique, parle des théâtres, de la réclame omniprésente, des courses, de la presse, en somme de tout ce qu'il a pu voir dans ce pays qui lui semble si étrange et si loin de la vieille Europe ; ce livre est un régal. Il raconte toutes ces merveilles et toutes ces nouveautés avec beaucoup de fraicheur et d'humour, mais aussi de respect. Sans effets et sans éprouver la nécessité de jouer à l'écrivain voyageur, il nous a laissé un témoignage rare ce que pouvait être un périple en grand style dans cette jeune Nation. Et l'on y découvre aussi son état d'esprit, celui d'un homme intelligent, plein d'esprit, non dépourvu d'humour et finalement modeste bien qu'il ait été accueilli comme une diva. Il meurt quatre ans à peine après son retour (1880) en ayant retrouvé la faveur perdue des Parisiens. Il a eu la satisfaction de terminer ses merveilleux Contes d'Hoffmann.




Contes d'une poche et d'une autre poche, Karel Capek, traduit du tchèque par Barbora Faure et Maryse poulette, Les Editions du Sonneur, 510 p., 24, 50 euros

Karel Capek est sans doute l'un des plus grands auteurs tchèques du XXe siècle. Il a été traduit en français avant la guerre (parfois son nom est devenu Tchapek !) et a continué à l'être après la guerre, mais de manière assez discontinue et par des éditeurs variés. Récemment, beaucoup de ses ouvrages ayant disparu de la circulation et d'autres n'étant pas encore traduits, de nouveaux éditeurs se sont intéressés à lui. L'oeuvre de Capek est aussi vaste que variée : il a été romancier, nouvelliste, auteur dramatique (Janacek a porté sur la scène de l'opéra son Affaire Makropoulos), traducteur (il a traduit Guillaume Apollinaire, entre autres) auteur de livres pour enfants, photographe aussi, et a publié des entretiens avec son ami T. G. Masaryk, devenu le premier président de la République tchécoslovaque en 1918, parus dans son pays entre 1928 et 1935 en trois volumes. Il a particulièrement excellé dans l'art de la nouvelle et cet important recueil le démontre amplement. Il a un don particulier pour associer des événements d'une certaine banalité et des faits étranges ou fantastiques. La simplicité, la fluidité, le charme  de cette écriture très simple, souvent teintée d'un humour pince sans rire, sont exemplaires. Kundera l'a souligné et c'est là un grand hommage et la vérité de sa manière de produire une oeuvre de grande ampleur, mais en plongeant dans la vie quotidienne de ses coreligionnaires et en employant des mots simples, comme eux. Du grand art en vérité ! Ces histoires sont souvent drôles et pourtant curieuses. « La Cartomancienne » ou encore « La Disparition de M. Hirsch » mêlent volontiers le réalisme le plus banal à des affaires mystérieuses ou même bizarres. Il a beaucoup utilisé les faits divers et s'est beaucoup servi du tribunal comme scène principale. Ce paradoxe soigneusement entretenu est la clef de l'enchantement que nous procurent ces contes. Mais ils ne ressemblent en rien aux contes de Perrault ou des frères Grimm : ils ne puisent pas dans un antique trésor folklorique, mais ne concernent que les temps modernes. Et comme il ne joue pas sur les légendes de son pays, ni sur la littérature du passé, n'employant pas non plus beaucoup de références aux aspects extérieurs de cette modernité, ils n'ont pas pris une ride. Ils sont divertissants et forment une sorte de comédie humaine moderne, donc très proche de nos mentalités. Ils nous procurent un grand plaisir et, en frôlant souvent l'absurde, il nous transmet l'esprit tchèque, qu'on avait découvert avec le brave soldat Svejk de Jaroslav Hasek, mais sans son anarchie délirante ni son comique virulent. Tout ici est prononcé avec douceur et une fausse naïveté, avec ironie et une sorte de bonheur de narrer des choses qui ont affaire avec notre vie et qui pourtant restent dans la plupart des cas imaginaires.




Propos de table, Samuel Taylor Coleridge, traduit de l'anglais par Mélisande D'Assignie & Brice Bégout, postface par B. Bégout, Allia, 144 p., 9,50 euros

Fils de pasteur, Samuel Taylor Coleridge (1772-1834) s'est manifestement inspiré du fameux ouvrage homonyme de Martin Luther. Bien d'autres auteurs écrivent des Propos de table, comme William Hazlitt. C'est son neveu et gendre qui a eu l'idée en 1811 de recueillir ses pensées délivrées à autrui. Et il s'y est consacré jusqu'à la mort de l'auteur de The Rime of the Ancient Mariner. L'ouvrage a paru un an après sa mort. N'ayant pas de solution de continuité par définition, les pensées les plus diverses y sont consignées. On ne peut qu'être subjugué par l'immense culture et par la profondeur bouleversante de vue de cet auteur qui a écrit parmi les plus beaux poèmes de la littérature anglaise du début du XIXe siècle. La philosophie, les sciences naturelle, la morale, l'examen des oeuvres des poètes de son temps, ses considérations sur l'art de l'écriture, sur les auteurs du passé (il loue par exemple Rabelais) mais aussi des souvenirs, en particulier de la période où il a étudié à Cambridge. Il revient aussi sur sa jeunesse, quand il s'était enflammé pour la Révolution française, écrit une pièce en 1794 intitulée Robespierre. Ces pages sont remarquables d'intelligence et mettent en évidence la grandeur de la pensée de ce poète exceptionnel qui continue à nous ravir.




Lettre à un jeune partisan, Jean Paulhan, postface de Jean-Claude Zylberstein, Allia, 44 p., 6,20 euros

Etrange pamphlet que celui de que Jean Paulhan a écrit en 1956 ! Le partisan dont parle l'écrivain est l'homme de parti et non le résistant qu'il a été pendant les années de l'Occupation. A l'époque où il rédige, il a repris depuis quelques années la direction de la NRF (devenue Nouvelle, sans doute à cause de sa direction par Pierre Drieu La Rochelle pendant la période noire de Vichy). Après la Libération il a collaboré aux Temps Modernes de Sartre, mais comme l'avait déjà montré en 1952 sa Lettre aux directeurs de la résistance, où il a condamné le trop de « vertu » dans le sens latin, des épurateurs, il n'arrive pas à adhérer aux orientations politiques de ses amis. Il a d'ailleurs réédité Céline chez Gallimard sans aucune timidité. Ici, il ne condamne personne en particulier, ni la gauche ni la droite, qu'il renvoie dos à dos, mais plutôt le jeu politique des partis (il y a une partie très drôle avec ce personnage qui veut tout repeindre en vert !). Il éprouvait une profonde déception de ce qui était sorti de ce grand élan de la résistance et constatait amèrement que tout était redevenu comme avant. Mais cela va un peu plus loin que cela : il voit une sorte de tyrannie sous-jacente à toute prise de position militante dans la société de son temps. C'est à la fois un précis de haute déception et aussi un manuel à l'usage de tous ceux qui s'occuperait de politique, sans doute dans l'espoir que la société soit gouvernée dans d'autres termes, sans cependant nous dire lesquels ; la postface de Jean-Claude Zylberstein est instructive car elle témoigne de l'impact qu'a pu avoir ce livre sur de jeunes esprits.




Les Venimeux, Jean-Marie Touratier, Galilée, 122 p., 16 euros

Le dispositif est simple : Jean-Marie Touratier raconte en parallèle l'histoire de deux familles allemandes juste avant la guerre et pendant le conflit. La première se veut aryenne et adhère sans réserve aux thèses raciales du régime nazi ; la seconde est juive et on la voit tenter désespérément de survivre depuis la Nuit de Cristal de 1938. L'auteur s'attache plus spécifiquement au destin de deux personnages qui vont participer à l'extermination des juifs dans les régions conquises de l'est : Daniel et son père Markus ; Ils envoient à leurs proches des photographies de ces massacres (cela a bel et bien existé, il y a même eu des films, cela a été interdit par la suite. Ils sont convaincus d'accomplir leur devoir et n'éprouvent aucun remord à participer à ces actions terribles (qui sont le fait autant des SS que des soldats de la Wehrmacht) et en tirant même une grande fierté. Quant aux Epstein, leur vie ne fait que se dégrader jusqu'au moment où ils sont arrêtés et envoyés dans des ghettos puis dans des camps d'extermination dans des conditions effroyables. C'est surtout le sort tragique de la jeune Sarah auquel s'attache l'auteur. Cela pourrait être une simple démonstration en vue d'une mise en accusation d'un système abominable. Mais ces récits croisés ne se limitent pas à une simple dénonciation de la terrible période hitlérienne. C'est aussi un beau texte, écrit avec art et beaucoup de finesse. Jean-Marie Touratier est littéralement hanté par ce moment tragique de l'histoire du XXe siècle et tien à nous apporter certaines clefs pour le comprendre, mais n'en demeure pas moins écrivain jusqu'au fond de l'âme. Et il a su exprimer ce qu'il éprouve par rapport à ces événements dans une très belle veine littéraire.




Proust et la stratégie militaire, Luc Fraisse, Hermann, 482 p., 39 euros

Ce sujet peut paraître étrange quand il s'agit de marcel Proust. Mais il suivait l'actualité politique avec attention et cela se note dans A la recherche du temps perdu. Mais je dois reconnaître que la question militaire ne m'a pas sautée aux yeux. Il est normal qu'il se soit senti concerné per une guerre à laquelle il n' pu participer étant donné son état de santé. Et puis cette guerre a pris une dimension imprévue et s'est développée au-delà même de l'Europe. Proust, nous explique l'auteur, ne s'est pas beaucoup passionné par la littérature générée par le conflit. Il lit quelques ouvrages, dont le recueil de poésie de son ami Robert de Montesquiou. Il préfère la lecture des journaux, donc des informations sur la situation sur le front. Et il les lit avec assiduité, ayant un oeil critique sur les auteurs de ces comptes rendus. Ce que Luc Fraisse nous révèle de plus intéressant, ce n'est pas tant l'attention qu'il porte à l'évolution des combats, mais sur la stratégie militaire. So, grand livre est émaillé de réflexions sur cette question qui paraît le passionner. On se serait attendu à tout, mais pas à ça, d'où le grand intérêt de cette recherche. Il se sert surtout d'un personnage, Robert de Saint-Loup, qui lui permet de traiter ces questions. Bien sûr, la stratégie a été présente dans la littérature -, il suffit de penser aux Liaisons dangereuses. Mais son auteur était un militaire de carrière ! Ce n'est pas vraiment le cas de Proust ! Mais, comme Choderlos de Laclos, il associe les principes de la stratégie sur les champs de bataille a ceux de l'amour, bien que ce soit dans une optique tout à fait différente. Impossible ici d'entrer dans le détail de cette énorme étude (un peu trop longue sans doute, mais il doit s'agir d'une thèse). Mais sachez que les amoureux de Proust y trouveront leur bonheur car il révèle un aspect inconnu et de sa personnalité et de sa conception de la relation amoureuse dans son chef-d'oeuvre. De plus, l'ouvrage est accompagné de précieuses notices et de nombreuses citations de l'écrivain, qui nous éclairent vraiment sur cette question.




La Dernière rue de Paris, enquête sur la rue des Martyrs, Elaine Sciolino, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Philippe Thureau-Dangin, Exils, 24o p., 2o euros

Cela fait quelques décennies que l'on écrit plus sur Paris. C'est vrai que la ville a beaucoup perdu de son pittoresque et l'affluence touristique lui a été nuisible. Mais Elaine Sciolino prouve qu'il est encore possible de parler d'un quartier en ne s'appuyant pas seulement ce que l'histoire nous murmure l'oreille. Sa vision de la rue des Martyrs est remarquable car elle a été capable de nous entretenir de ses commerces, qui ont su résister la modernité envahissante, du bistrot jusqu' la charcuterie, de la vieille poissonnerie à la fromagerie et à l'épicerie. Elle y évoque la vie qu'on y a mené il n'y a pas si longtemps, au tournant du siècle. Et elle évoque aussi les hommes et les femmes qui ont donné une âme forte et touchante à ces négoces qui fleurent encore la vieille France, celle qu'a défendu Jacques Tati dans Mon oncle. A ce présent, elle associé son passé, à commencer par la fin du premier évêque de Paris, saint Denis Céphalophore, qui aurait vécu entre le Ier et le IIIe siècle. Il aurait été exécuté en ce lieu avec deux disciples, Éleuthère et Rustique, dans cette rue : il aurait ramassé sa tête tranchée et serait allée jusqu'à l'endroit précis où se dresse aujourd'hui la basilique qui porte son nom et qui abrite les tombeaux des rois. Le petit sanctuaire du martyrium a eu un autre grand rôle dans l'histoire du catholicisme : ce serait là que saint Ignace de Loyola, venu parfaire ses connaissances l'université, aurait fait le serment de fonder un nouvel ordre : les jésuites. Théodore Géricault y a eu un atelier et non loin, Delacroix avait établi le sien. La brasserie des Martyrs a été un des hauts lieux de rencontre des artistes, des écrivains, des journalistes et aussi des hommes politiques sous la IIIe République. Ce livre fourmille d'histoires croisées entre les siècles révolus et la rue telle qu'elle demeure encore de nos jours. Ce livre se lit avec ravissement.




Textes à conquérir, Max Fullenbaum, Les Editions du Littéraire, s. p., 13 euros

Pas de ponctuation, pas de majuscules, une narration qui se devine par le tressage des séquences enchevêtrés à mesure que progresse la lecture. L'auteur va bien plus loin que Samuel Beckett et que Nathalie Sarraute et l'on retrouve dans ses pages l'esprit de la littérature d'avant-garde des années 1970-1980. Illisible ? Non pas. On finit non pas trouver un ou plusieurs fils d'Ariane, mais des récurrences permettant de discerner des sujets qui hantent l'auteur et nourrissent sa fiction : la mort (son héros - son narrateur - pense qu'il est mort avant de naître, fournissant une autre interprétation de l'homme qui commence son chemin vers sa fin en naissant), le père dont on ne perçoit pas les contours, mais dont la présence est obsédante, la guerre aussi (avec les bombardiers à la fin), qui a aussi laissé une empreinte profonde. Bien sûr, on ne parviendra pas reconstituer ce qui serait la structure du récit, mais on est frappé par le phrasé de l'auteur, qui sait nous subjuguer sans nous fournir forcément la clef de l'énigme de son aventure intérieure dans son intégralité.




Katie, Christine Wünnicke, traduit de l'allemand par Stéphane Lux, Jacqueline Chambon, 208 p., 20,50 euros

C'est un bien curieux roman que nous invite à découvrir l'éditrice Jacqueline Chambon. Le premier chapitre nous offre une première clef pour en comprendre le déroulement. Nous assistons aux derniers moments du grand savant Michael Faraday en 1867. Cet illustre scientifique a été physicien a été chimiste et s'est concentré surtout sur la question de l'électricité et de l'électromagnétisme. Il a établi ce qu'on appelle la « constante de Faraday ». Sir William Crookes (1832-1919) s'est d'abord intéressé à la spectroscopie, puis découvre un nouvel élément chimique, le thallium. Il invente ensuite le radiomètre et découvre les rayons cathodiques, un apport fondamental qui sera utilisé pour la radiographie (rayons X) et plus tard pour la télévision. Parmi ses innombrables travaux, il identifie l'hélium et commence à étudier la radioactivité en 1903. Mais il s'est aussi intéressé de près à des phénomènes qu'on ne savait pas expliquer, comme les facultés supposées des médiums. Ce que nous raconte l'auteur est vrai car il a bien étudié le cas singulier de Florence Cook. L'auteur nous relate cette rencontre peu ordinaire et tout ce qu'elle implique, c'est-à-dire la déroutante proximité des sciences exactes et des sciences dites occultes à la fin du XIXe siècle. Malgré quelques longueurs, l'ouvrage est assez fascinant, car le démon de l'étrange est ici omniprésent et affecte l'existence de tous les protagonistes. L'auteur décrit très bien les relations que ce grand savant a pu avoir avec des sujets qu'on disait alors posséder des pouvoirs paranormaux. C'est une fiction qui se change en une sorte de récit fantastique à cause des recherches entreprises et du caractère énigmatique d'une personnalité telle que celle que Florence Cook. Mais sir Crookes apparaît lui aussi comme un personnage fascinant, pour le moins bizarre !




Bleu fauve, Zéno Bianu, Le Castor astral, 128 p., 14 euros

Les qualités de l'écriture de Zéno Bianu ne sont plus à démontrer. Il s'est imposé dans l'univers de la poésie déchiré entre des postures néoclassiques et des excès néo-avant-gardistes. Il ne tombe ni dans l'une ni dans l'autre. Dans ce volume, il rend hommage à des figures qui ont partie liée avec cette couleur, comme Yves Klein, mais aussi des amis disparus ou des figures tutélaires comme Antonin Artaud ou Victor Segalen. Il envisage la couleur bleue comme le paradigme de l'univers et, plus encore, du grand tout où nous évoluons. Il n'est pas un texte ici où le bleu n'apparaisse pas sous différentes formes, comme expressions idiomatiques (plus ou moins truquées) ou comme citations revisitées. Chaque personnage évoqué, chaque lieu, ou même le jazz et bien entendu la peinture ont donc un lien fort avec cette couleur qui ne se définit pas, mais semble préexister à la Terre et à l'homme. Il y a une partie de ces pièces poétiques qui sont élégiaques, d'autres, une exaltation vibrante de l'expérience de l'auteur. Il suffit de lire « Le Premier bleu », qui est la célébration de ce bleu primordial, non pas d'un seul point de vue physique, mais aussi métaphysique. On ne peut qu'être charmé par ce petit recueil, qui comporte des parties vraiment prenantes, comme celles consacrées au jazz. Zéno Bianu sait encore nous charmer, sans tomber dans les pièges d'un art poétique qui jouerait sur les sentiments élémentaires. Il sait toucher parfaitement le coeur du lecteur, mais aussi lui donner à penser le monde et l'être, en toute simplicité, sans effets rhétoriques et sans grandes envolées mystiques.




Histoire des dictionnaires de littérature française, Giovanni Dotoli, Hermann, 14o p., 2o euros

Le titre est plus qu'alléchant. Le sujet est merveilleux. L'auteur nous apprend que le premier ouvrage de ce genre a été écrit par François Grudé sieur de La Croix du Maine (1552-1592) et publié en 1584. Ce même livre a été repris et augmenté l'année suivante par Antoine De Verdier seigneur de Vauprivas (1544-16oo) chez un éditeur lyonnais. On découvre ensuite quelles ont été les grandes réalisations dans ce domaine jusqu'à la seconde moitié du XVIIIe siècle, mais sans aucune explication. Rien n'est dit sur leur caractère spécifique, sur ce qu'elles apportent de plus ou ce qu'elles retranchent éventuellement. On ignore quels ont été les apports fondamentaux des différents livres par Jacques-Georges de Chauffepié ou Antoine de Léris. Pour Giovanni Dotoli, ce genre arrive à son apogée en 1777 avec les trois tomes du Dictionnaire de littérature dans lequel on trait de tout ce qui a rapport à l'éloquence, à la poésie et aux belles lettres, et dans le quel on enseigne la marche et les règles qu'on doit observer dans tous les ouvrages d'esprit entrepris par l'abbé Antoine Sabatier de Castres. Arrive tout trac par la suite une bibliographie de tout ce qui a été produit pat la suite dans cet ordre d'idée. La deuxième partie de l'ouvrage est encore plus décourageante : c'est une bibliographie moderne des dictionnaires plus ou moins apparentés. Difficile de comprendre les fins recherchées par l'auteur. Après quoi il digresse, entre autre, sur des dictionnaires contemporains comme le Dictionnaire de Montaigne et le Dictionnaire Baudelaire ; et pour comble, tout se termine par une longue, très longue bibliographie ! On a le sentiment d'avoir entre les mains un livre oulipien !
Gérard-Georges Lemaire
06-09-2018
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

visuelimage.com c'est aussi

Afin de pouvoir annoncer vos expositions en cours et à venir dans notre agenda culturel, envoyez nous, votre programme, et tout autre document contenant des informations sur votre actualité à : info@visuelimage.com
ou par la poste :
visuelimage.com 18, quai du Louvre 75001 Paris France

À bientôt.
La rédaction

Si vous désirez vous désinscrire de cette liste de diffusion, renvoyez simplement ce mail en précisant dans l'objet "désinscription".

     


Christophe Cartier au Musée Paul Delouvrier
du 6 au 28 Octobre 2012
Peintures 2007 - 2012
Auteurs: Estelle Pagès et Jean-Luc Chalumeau


Christophe Cartier / Gisèle Didi
D'une main peindre...
Préface de Jean-Pierre Maurel


Christophe Cartier

"Rêves, ou c'est la mort qui vient"
édité aux éditions du manuscrit.com