Camille et Paul Claudel, le rêve et la vie, musée Camille Claudel / Lienart, 122 p.,
Le nouveau musée Camille Claudel de Nogent-sur-Seine présente son exposition inaugurale qui est consacrée aux relations de Paul Claudel et de sa soeur. Son premier intérêt est d'en finir avec toutes les idées reçues et tous les clichés qui ont pullulés depuis qu'on a redécouvert l'oeuvre de la soeur aînée du grand écrivain. L'affirmation la plus sotte a été qu'elle avait été un plus grand sculpteur qu'Auguste Rodin. Elle n'a pas eu le temps de développer son oeuvre et qu'en dépit de premiers succès, elle n'est pas sortie d'une forme encore classique bien qu'inspirée par l'esprit de l'Art Nouveau et du symbolisme. La seconde est que l'auteur du Baiser l'avait rendue folle. Or, elle avait rompu avec lui en 1898. Les premiers signes de sa maladie se font jour en 1906 et ont commencé à devenir préoccupants à partir de 1909 (elle n'est internée qu'en 1913). Enfin on a dit que sa famille a tout fait pour la maintenir internée. Là encore, l'on sait que Paul a tout fait pour trouver une solution pour la faire sorti de l'asile. Bref, au-delà du parcours que nous propose le commissaire de l'exposition, Cécile Bertran, le visiteur est dépouillé de ces légendes historiquement crapuleuses qui ont tenté de faire de cette femme un martyr. Camille a fait de beaux bustes de son frère, à commencer par celui où elle le représente enfant (vers 1878). Elle a fait aussi un buste en bronze de lui à l'âge de trente-sept ans (1905). Ils échangent une correspondance nourrie qui montre combien ils étaient attachés l'un à l'autre. Elle est aussi très liée à sa famille : elle a fait un buste en plâtre de sa mère, un fusain de son père et un magnifique pastel de sa soeur cadette Louise, qu'on l'on voit pour la première fois. La présentation des oeuvres et des documents, la manière de mettre en scène son histoire avec ce frère qui a fait une carrière diplomatique lui faisant faire quasiment le tout du monde, font de cette exposition un modèle du genre. Ce n'est ni bavard, ni pléthorique. Mais intense et prenant. Il convient de visiter cette belle exposition et de découvrir ce nouveau musée, d'autant plus que les institutions consacrées à la sculpture ne sont pas légions en province. Le catalogue permet d'approfondir ce qu'on a pu voir et de connaître le travail que Paul Claudel pour la mémoire de sa soeur, comme l'exposition qui lui a été dédiée en 1951. Le texte qu'il a écrit à son propos est remarquable.
François Pinault artiste contemporain, José Alvarez, Albin Michel, 320 p., 23 euros
François Pinault fascine toutes les personnes qui s'intéressent à l'art contemporain car on ne parvient pas à comprendre tout à fait le sens de sa démarche, qui est entourée de bien des mystères. Et ces mystères sont curieusement impénétrables. Dans ce livre passionnant, le remarquable éditeur qu'est José Alvarez (c'est lui qui a créé les Editions du Regard) fait un portrait de cet homme qui se trouve au centre de toutes les attentions dans un univers artistiques qui a bien du mal à trouver ses marques. Il entreprend de faire son portrait ; on s'aperçoit très vite qu'il n'y a pas un individu, mais deux (au moins !). Le premier est un homme d'affaires, dont la réussite a été fulgurante. Depuis ses modestes origines bretonnes, malgré des études qui n'ont pu être menées à leur bonne fin, il est parvenu néanmoins à s'insinuer dans le monde des affaires et y révéler des capacités remarquables, jusqu'à racheter de grandes sociétés prestigieuses (par exemple, Le Printemps) et à créer un petit empire. Il est devenu l'un des hommes les plus riches de France. Le second est un collectionneur. Un collectionneur des plus étranges, car personne n'a jamais pu la voir ! Chaque exposition, que ce soit à Dinard, au palazzo Grassi, au tri postal de Lille (qui était énorme, installée sur trois étages), à la Punta della Dogana à Venise, présentait des artistes différents et des oeuvres différentes. Et en lisant le livre de José Alvarez, on apprend qu'il a acheté des oeuvres d'autres artistes encore qui se trouvent dans sa propriété, de Picasso à Mondrian. Mais le fait le plus marquant pour le petit monde de l'art est qu'il a fait l'acquisition d'une des plus grandes sociétés de vente aux enchères, Christie's. Même les Américains ont été surpris de cette démarche. L'auteur explique très bien le besoin impérieux qu'il a ressenti de présenter ses prises de guerre. Cela a commencé sur l'emplacement des anciennes usines Renault sur l'Ile Séguin (avec pour architecte Tadao Ando) et qui a tourné court dans un climat délétère et opaque. Le plus grand collectionneur d'art français est devenu tout d'un coup le plus grand collectionneur d'art italien (c'est lui qui l'avait déclaré à l'époque quand il a choisi Venise comme base arrière). Plus question d'acheter : on s'arrange avec la municipalité pour un contrat de 99 ans. Des conditions sont avancées, comme celle de faire régulièrement de grandes expositions culturelles. Il n'y en a jamais eu qu'une, à ma connaissance, sur la Rome antique. Le drapeau breton flotte sur le peu gracieux palais Grassi où n'entrent que très peu de visiteurs ! la Punta della Dogana lui est cédé pour une période bien plus courte (trente ans) et à condition que des travaux de restauration soient entrepris. Quand on a terminé ce livre, qui nous apprend mille choses, le mystère n'est toujours pas éclairci ! Depuis longtemps je l'interroge sur la nature de la collection de François Pinault et me demande s'il ne s'agit pas en réalité d'un trust constitué avec d'autres grands collectionneurs dans le monde ; Pure conjecture, car il n'y a pas l'ombre d'une preuve. Sinon une : comment un si petit milliardaire a-t-il pu acheter un nombre aussi étourdissant d'oeuvres ? Pourquoi personne ne sait vraiment de quoi elle est composée ? Le livre de José Alvarez ouvre des portes et pose bien des questions. Mais qui y répondra un jour ? L'inauguration du musée Pinault à l'ancienne Chambre de Commerce de Paris théoriquement à la fin de cette année n'apportera certainement pas de vraies réponses. Mais peut-être quelqu'un aura-t-il le courage de faire une enquête en profondeur sur cette très bizarre manière de collectionner !
Le Daguerréotype, François Arago, Allia, 96 p., 6, 50 euros
Avant de parler de ce livre fondamental, il convient de dire deux mots sur la grande figure qu'a été François Arago (1786-1853). Natif du Rousillon, il a fait ses études à Perpignan et est ensuite entré à l'Ecole polytechnique. Il s'est intéressé à l'astronomie et a fait sa carrière à l'observatoire de Paris, pour finir par en devenir le directeur. Mais il s'est aussi intéressé à la géométrie analytique, qu'il a enseigné à l'Ecole polytechnique, où il est devenu professeur grâce à Monge. Il fait partir de 181o des recherches sur la vitesse de la lumière, qui, pour les spécialistes, annoncent la théorie de la relativité. D'où son intérêt poussé pour l'invention de la photographie. Mais il poursuit en parallèle une carrière politique : il est élu conseiller de la seine en 183o et participe aux Trois Glorieuses comme colonel de la Garde Nationale. Il est élu député un an plus tard. Après la révolution de 1848, il est nommé ministre de la Guerre, de la Marine et des Colonies ; il joue alors un rôle de premier plan pour l'abolition de l'esclavage. Il se refuse de se rallier à Louis Napoléon Bonaparte. J'apporte cette précision car l'importance qu'il a pu avoir dans le monde politique lui permet de faire voter une loi attribuant une pension annuelle à Daguerre et à son associé, Isidore Niépce fils, en 1839. Il le raconte en détail dans ce petit livre où il raconte l'histoire de la naissance de la photographie, partant de l'invention de la chambre obscure qu'il attribue au Napolitain Gianbattista Porta (ce qui est erroné) et aux recherches des alchimiste sur l'argent corné (ce qui est exact) ; il expose avec une grande clarté comment de ces spéculations on est parvenu à l'idée de projeter de la lumière sur une surface enduite de cette substance. Il expose les travaux précurseurs de Charles, puis ceux de Niépce et les corrige en réduisant considérablement le temps de l'exposition. Leur association a permis des résultats plus que satisfaisants, ouvrant des voies autant pour la science, que pour l'art et même pour la vie sociale avec les portraits. Ce livre devrait être le bréviaire de tous les photographes, qui y trouveront les fondements techniques et théoriques de leur activité. C'est non seulement une leçon magistrale, mais aussi l'expression d'un esprit qui a perçu tout ce que cette invention pouvait apporter à l'humanité.
Mirò, Agnès de la Beaumelle, « carnet d'expo », « Découvertes », Gallimard - Rmn - Grand Palais, 64 p., 9,20 euros
Joan Mirò a sans doute été l'un des plus grands peintres surréalistes. Il l'a été très tôt, quand il était encore figuratif pendant les années 1920, l'époque où il a peint La Fermière (1922-1923) ou La Ferme (1921-1922). Peu après, il commence sa transition vers une manière de peindre beaucoup plus abstraites, où ne subsistent plus que des figures élémentaires très stylisées. Il faut noter que cette période que je qualifie un peu légèrement de transitoire a peut-être, moon goût, été la plus inventive de toutes. Des oeuvres telles que Tête de paysan catalan (1925) est une réussite : elle montre de quelle façon il a pu assimiler l'esprit du futurisme tout en demeurer fidèle à lui-même, là où d'autres se sont perdus) ; Peinture-poème (1925) reproduite dans ce petit livre d'initiation montre qu'il s'est vraiment engagé dans la recherche préconisée par André Breton, mais en employant sa propre grammaire plastique. Et il faudrait aussi évoquer ses créations en trois dimensions comme L'Objet du couchant (1936), qui annonce les sculptures qu'il réalisera bien plus tard. Le cycle des compostions cosmiques de l'immédiate après-guerre (comme Les Constellations) a sans doute été une des plus intéressantes de sa longue et prodigue carrière. Si un tel petit ouvrage ne saurait dire tout de ce qu'a été l'aventure esthétique de cet artiste qui travaillait avec acharnement, tout comme Picasso, il permet en tout cas d'en faire la découverte grâce aux commentaires avisés de l'auteur et les reproductions qui donne une idée excellente de son long parcours ludique.
Sheet Music, Johannes Kreidler, Allia, 176 p., 12 euros
Il y a déjà longtemps que la partition musicale est devenue l'objet d'une métamorphose, devenant une oeuvre plastique en soi. Les grandes révolutions qui ont eu lieu dans ce domaine ont entrainé, en toute logique, une autre façon de concevoir les partitions. Et ces transformations draconiennes de cette écriture ont donné l'idée aux compositeurs de faire de leurs pages codifiées selon de nouveaux critères en aire de jeu artistiques. Plusieurs expositions ont été déjà consacrées à ce sujet. De plus, le développement des poésies concrètes, sonores, visuelles a favorisé des croisements plus ou moins singuliers. Je ne sais pas à quelle époque l'auteur a réalisées ces compositions savoureuses, qui ne sont pas à entendre, mais à regarder. Il est à noter qu'il a choisi de conserver la base de la notation traditionnelle, mais pour y faire des gammes assez saugrenues. Chaque planche raconte une histoire, qui n'est pas réservée aux seuls mélomanes. A la fin du livre, on trouvera d'ailleurs non une table, mais une sorte de glossaire des associations visuelles qu'il a pu imaginer. C'est déroutant au début, et puis on se plaît à suivre l'auteur dans ses pérégrinations graphiques. C'est un album délicieux, où l'auteur a su jouer avec un langage qui n'avait pas évolué depuis longtemps et qui permet aujourd'hui d'en jouer à loisir, que ce soir au sein de la création contemporaines ou que ce soir, comme ici, d'une manière purement graphique. Cet « art music « est une belle réussite !
Comment peindre abstrait ? Une explication simple. Méthode Sailer-Mose, Allia, 96 p., 14 euros
C'est là un ouvrage qui est vraiment un divertissement qui saura conquérir les amateurs d'art, et même ceux qui le sont moins. Il faut d'abord savoir qui sont les auteurs. Anton Sailer (1903-1987) est un historien d'art connu pour ses études sur les décors de lanternes chinoises. Qui a longtemps collaboré à la revue Die Kunst und das schöne Heim. Il s'est très tôt engagé en faveur de l'art abstrait. Il ne s'agit donc pas d'un de ces esprits réactionnaires qui ont combattu les nouvelles formes d'expression picturales. Moïse Depont (1917-2oo3) est un dessinateur qui a connu une certaine renommée ; leur collaboration pour ce livre a donner ce nom : Sailer-mose. L'éditeur, Lothar Günther Bucheim, a été le fondateur d'une galerie d'art où il a présenté les grands noms de l'art de l'entre-deux-guerres. Il est devenu ensuite éditeur en Bavière. Il ne s'agissait pas pour les trois hommes de s'en prendre aux artistes abstraits, mais plutôt de créer un ouvrage qui reprend tous les poncifs sur la question pour en rire et en régaler les lecteurs. Il faut reconnaître que c'est vraiment drôle. On y décrit les techniques pour être un bon artiste informel ou tachiste, comme le ventilationnisme ou l'auto-peojectionnisme, on y découvre les techniques les plus échevelées pour parvenir à obtenir une composition originale, comme le férisme par exemple (l'utilisation d'un fer à repasser) ou le claquisme (utilisation d'un marteau pour frapper les tubes de couleurs). Bref, c'est un ouvrage qui est fondé sur le pur divertissement et aussi sur l'idée que l'art abstrait serait une pure plaisanterie. Les textes « techniques » et les textes qui les accompagnent sont d'un humour efficace. Les Editions Allia ont fait là une belle découverte - celle d'un livre paru en 1958 et bien vite réédité.
Gloire incertaine, Joan Sales, traduit du catalan par Marie Bouhigas et Bernard Lesfarges, Jacqueline Chambon, 528 p., 23,80 euros
Le nom de Joan Sales ( 1912- 1983) m'était tout à fait inconnu. Il y a une bonne raison à cela : cet écrivain n'a en réalité écrit qu'un seul ouvrage, Incertà Gloria. Celui-ci a paru en 1956. Il connu dix rééditions, jusqu'à sa forme définitive, publiée en 1971 (en 1982, quand le livre est traduit en français la première fois, plusieurs parties inédites avaient été rajoutées, et l'auteur a publié à part la dernière partie du roman sous le titre de El vent de la nit). Deux raisons au moins ont motivé ses réécritures successives. La première est pragmatique : ne pas être interdit par le régime franquiste. La seconde est sans doute d'une toute autre portée : l'auteur n'a pas cessé de vouloir enrichir son texte et a lui donné une profondeur sans cesse plus grande. Si l'intrigue se déroule pendant la guerre civile, sur le front de Catalogne et d'Aragon, il ne raconte pas les aléas militaires et politiques de cette période tragique, ou du moins, ce n'est pas le centre de son oeuvre considérable. De grands auteurs ont relaté cette guerre, de Malraux à Bernanos, en passant par Orwell et Hemingway. Il a d'abord désiré parler de ces destins qui se sont croisés au cours de ces événements qui ont bouleversé la vie de tous les Espagnols. C'est tout l'inverse des livres qui ont eu l'Histoire comme leitmotiv. Il n'y a pas un héros, un narrateur unique, mais plusieurs, de l'avocat Lluis de Brocà à son ami Juli Soleràs en passant par sa compagne, Trini Mimany, qui est restée à Barcelone avec leur fils, en passant pas beaucoup d'autres, comme la figure noire d'Olivel de la Virgen. Ce n'est donc pas une vision de l'histoire que nous délivre Joan Sales, mais plusieurs, qui s'enchevêtrent et où l'on découvre des figures des deux camps. Aucune d'entre elles n'incarne une vérité, une attitude, un idéal, mais plutôt les mille situations engendrées par un tel conflit. Son ambition, immense, a été de vouloir reconstituer l'état d'esprit d'une époque de crise, de larmes et de sang, mais aussi d'espoirs fous et d'utopies à portée de main. Par conséquent, rien d'épique, ni rien d'héroïque dans ces pages. Ce sont là des êtres qui poursuivent leurs parcours au beau milieu d'une tragédie dont on ne perçoit pas la réalité si ce n'est pas des détails révélateurs. Le doute, l'ambiguïté, les crises de conscience, les revirements intérieurs, tout cela est la matière première du roman. L'auteur lui-même a été la manifestation de tant de contradictions : catholique fervent, il avait adhéré en 1932 au Partit Socialista Unificat di Catalunya d'obédience communiste. Connu comme un directeur de revue en exil en Amérique latine, puis comme éditeur de retour à Barcelone, Joan Sales est un très grand romancier, qui a laissé le livre le plus beau sur cette guerre abominable. Il a refusé de composer un livre à la gloire des combattants républicains. Mais il a fait mieux : il leur a rendu un hommage vibrant en parlant de la terre et des hommes qui ont le décor et les protagonistes de ces années terribles. On ne peut que succomber au charme envoutant de Gloire incertaine. Une belle redécouverte !
Canzoniere, Pétrarque, traduit de l'italien et préfacé par René de Ceccatty, « Poésie », Gallimard, 56o p., 12 euros
Francesco Petrarca (né Arezzo en 13o4-1374) n'a pas été qu'un grand poète, l'un des plus importants parmi ceux qui ont introduit il dolce stile nuovo. Il a joué un rôle déterminant dans différents domaines. D'abord dans celui de la connaissance des oeuvres latines en exhumant des écrits de Cicéron, de Properce et de Quintilien. Ensuite dans le domaine ecclésiastique, en menant campagne contre la Nouvelle Babylone qu'était Avignon où avait transporté le trône de saint Pierre. Mais le plus important mon sens a été son combat théorique contre la pensée d'Aristote, pour diffuser le néoplatonisme qui sera associé la grande Renaissance italienne (seules Venise et Padoue lui résisteront un certain temps). Le Canzoniere n'est reste pas moins son chef-d'oeuvre et René de Cecatty a très bien su en restituer toute la subtilité en français. Bien sûr, il est dommage que nous n'ayons pas une édition bilingue, mais cela aurait été impossible étant donné l'importance du volume. Il est à noter que cette oeuvre poétique est écrite en « langue vulgaire», c'est-à-dire en italien, comme l'avait proposé Dante contre l'usage du latin. Il s'éloigne de l'amours courtois médiéval, mais ne renonce pas à donner à ses poésie une dimension religieuse : il cultive l'ambiguïté entre amour profane et amour sacré, mais dans une perspective issue du platonisme. C'est là l'ouvrage de toute une vie (366 poèmes) et il adopté diverses formes, allant du madrigal la ballade, du sonnet la chanson. Une partie de son projet repose sur son amour pour Laure de Sade et sur sa mort prématurée. Mais ce serait une grossière erreur de croire que toute cette entreprise ne repose que sur ses sentiments personnels ; Laure est un peu la Beatrice de Dante, qui a ici une autre fonction, mais qui lui sert néanmoins de guide dans sa vie spirituel. On s'émerveillera de constater que ces vers peuvent encore nous toucher et être si proches de notre sensibilité si l'on fait abstraction de ses présupposés religieux et philosophiques. Et l'on s'émerveillera tout court.
Le Grand Paris, Aurélien Bellanger, Folio, 528 p., 8,3o euros
Voici un roman qui peut surprendre. Il est écrit comme une autobiographie, avec le ton et le style d'un essai. Il est bien écrit, mais sans fantaisie et, en tout cas rien, qui le rapprocherait d'une oeuvre d'imagination. Le lecteur suit l'histoire d'un homme, Alexandre Belgrand, dont on découvre l'enfance, l'histoire du père en Algérie, qui a participé au projet des « Mille villages », qui a choisi d'épouser la politique du président De Gaulle plutôt que la cause perdue de l'OAS. Lui-même va hésiter entre plusieurs orientations possibles. Il va s'intéresser aux anciennes fortifications. Une rencontre va être décisive alors, celle d'un professeur, émule de Foucault, dont il apprendra les mystères de Paris. Ces mystères sont loin, très loin de ceux d'Eugène Sue, mais plutôt du côté de l'urbanisme (de son histoire et de son présent, mais aussi de son hypothétique futur) et surtout de l'expansion de la petite et de la grande couronne qui a donné naissance ce terme étrange : le Grand Paris, comme il y a le Grand Londres. Ses enquêtes assidues se développent et s'approfondissent et il commence devenir un spécialiste de la question. Et il se rapproche des hautes sphères du pouvoir (Où règne celui qu'on appelle le Prince). Impossible de tout raconter. Il v parle des grands projets depuis celui des halles jusqu'au CNIT en passant par de grandes réalisations en banlieue. Il parle de Guy Debord et des situationnistes, de Mai 68 et de ses conséquences, de toute l'actualité brûlante de la période qu'il traverse, des arcanes de la politique. Et cela va de soi, les idées sous-tendant la grand Paris, qui semble oublier la Seine Saint-Denis ! Bref on a bien l'impression de lire les souvenirs d'un énarque. Malgré tout le livre ne manque pas d'intérêt, loin s'en faut, même s'il est dépourvu de toute fantaisie.
Boulevard des Maréchaux, Denis Tilinac, « La petite vermillon », La Table Ronde, 128 p., 6,40 euros
L'idée qui a présidé à la composition de ce livre est superbe : faire le tour du boulevard des Maréchaux, en décrivant les lieux et les habitants, tout en rappelant l'histoire des ces militaires, certains encore illustres, d'autres complètement oubliés. Mais l'auteur a bien traité certaines portions de cette grand artère annulaire qui sépare paris de la banlieue (ce qui n'est que symbolique, car, quand on la traverse, on est encore à paris !). Soult est traité dans le détail, murât n'est pas non plus négligé, mais d'autres n'ont même pas droit à deux lignes ! C'est vraiment dommage car on aurait aimé qui ont été ces officiers de la mythique Grande Armée ! Pareil pour les quartiers, les uns sont relatés avec maints détails, d'autres sont presque passés sous silence ; c'est un livre qui a malheureusement été écrit un peu par-dessus la jambe et donne l'envie de l'écrire autrement et surtout de manière plus complète ! Je suis absolument persuadé que sous peu quelqu'un fauchera cette idée pour la reprendre à son compte et la porter à d'autres développements ! Et l'auteur ne pourra s'en prendre qu'à lui-même car il n'a pas été au bout de ses ambitions.
La Cerise, Alphonse Boudard, « La petite vermillon», La Table Ronde, 478 p., 9, 60 euros
Le Café des pauvres, Alphonse Boudard, « La petite vermillon», La Table Ronde, 336 p., 8,90 euros
Le premier roman d'Alphonse Boudard (1925-2000), La Métamorphose des cloportes, a fait sensation : paru en 1962, il connaît un très grand succès ; Pierre Granier-Deferre l'adapte au cinéma trois ans plus tard. Ce n'est ni Cendrars, ni Céline, mais il a un goût très prononcé pour la langue verte et sait raconter une histoire avec une verve et un humour tel que ses romans sont irrésistibles ; et pourtant, il a quelque chose de surannée ; il parle une langue qui est en train de disparaître des faubourgs, et n'existe plus guère que dans les films avec le vieux Gabin. Il est un peu le Jacques Tati de la littérature, dans un genre et une optique qui n'ont pas grand chose à voir. Mais il faut reconnaître que même aujourd'hui, ses livres ont du chien. La Cerise (1963), dont le titre rappelle une expression populaire qui signifie la « poisse », la « guigne «, évoque l'univers carcéral avec tout ce qu'il comporte d'effrayant et d'écrasant pour les condamnés ; et pourtant, il sait rendre cet univers presque surréel et drôle car il a le don pour métamorphoser un drame en une sorte d'épopée argotique. Il manie si bien la langue, sait tellement tourné ses phrases dans la langue des mauvais garçons et des vieux bistros encrassés de la périphérie qu'il parvient avec une densité » peu commune à restituer l'atmosphère du vieux Paris, celui de Belleville et de Menilmuche. Boudard est un nostalgique, profondément attaché à ce monde qui a sombré inéluctablement dans le passé d'avant 40. Mais pour en préserver la beauté souvent peu décorative, il a le mot pour rire et la formule qui fait éclater de rire. Et c'est de la grande littérature qu'on aurait honte à qualifier de la sorte. Et pourtant i Le café des pauvres, qui a paru en 1983 raconte le retour à la vie civile d'un soldat de la dernière guerre, qui se rend chez sa marraine de guerre, Odette, secrétaire dans un établissement d'appareils orthopédiques. Tout un poème ! Mais il va vite se lasser de sa marraine et va faire d'autres trouvailles sur son chemin, plus divertissantes, plus affriolantes sans doute, mais pas toujours des plus honnêtes (façon de parler). De la charcutière avenante à la militante révolutionnaire, il connaît des aventures plutôt cocasses et même grotesques ! Il y a dans ces pages qui sont un délice pour les muscles zygomatiques, une sorte de mélancolie qui sous-tend l'histoire de ce pauvre bougre qui croit sa chance (sans trop y croire) et qui, sans faire la faim, mange plus de pain noir que de pain blanc. C'est se délecter malgré cet arrière-plan qui sent l'amertume !
Troisième Personne, Valérie Mréjen, Folio, 112 p., 6,3o euros
Voilà l'exemple type de la nouvelle littérature française, celle qui est bien formatée, bien architecturée, bien ajustée pour l'édition actuelle. Le sujet ? Insignifiant (là, il s'agit de l'arrivée d'un enfant da ns un couple et les transformations qui se font jour dans l'espace pour installer l'intrus !). c'est bien fait, on a l'impression que l'auteur a tout tracé avec une règle millimétrée, que tout est calculé avec soin, avec la plus grande économie de mort et une certaine dose de modernité dans l'expression ; mais que lit-on vraiment ? Pas grand chose vrai dire ! Cette fiction vaguement inspirée par Georges Pérec, a été publiée par P.O.L. l'année dernière. Ce choix peut déjà surprendre. Et de là à la rééditer ! Il faut s'interroger sérieusement sur cette situation un peu surprenante qui donne la primauté aux artisans astucieux de l'écriture. Ils n'ont rien à dire ? Peu importe, du moment qu'ils savent mettre article, substantif, verbe et complément dans le bon ordre.
Fables, Phédre, traduit du latin et préfacé par Estelle Debouy, édition bilingue, illustrée par Granville, « Petite bibliothèque », Rivages, 272 p., 8,5o euros
Phèdre a été le disciple d'Esiode, j'en ai parlé la semaine dernière et le principal inspirateur de Jean de La Fontaine. Je vous en ai parlé la semaine dernière. Mais j'avais oublié de vous donner le nom de l'éditeur. Voilà une omission qui est réparée !
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