Le peintre Frédéric Brandon vit et travaille à Montreuil. Sa station de métro est Robespierre sur la ligne numéro 9. Cette ligne comprend 40 stations, dont une désaffectée, depuis le sud-ouest de Paris (Pont de Sèvres) jusqu'à l'est (Mairie de Montreuil). On sait que Frédéric Brandon a multiplié les séries de tableaux depuis cinquante ans, qui viennent d'être récapitulées pendant toute une année à la galerie Hélène Nougaro, c'était déjà un marathon. Il y a sept ans, il a imaginé une nouvelle série en forme de défi, d'aventure exceptionnelle, de marathon d'une autre sorte, série dans laquelle il s'est lancé avec opiniâtreté et jubilation : quarante triptyques de 80 x 240 cm (techniques mixtes, peintures acryliques, fusain, pastel et impressions pigmentaires) en ont résulté, que présente aujourd'hui la mairie du 9eme arrondissement (salons Aguado, 6 rue Drouot). Il faut y aller voir : Brandon y déploie toutes les facettes de son talent d'observateur de la vie quotidienne et d'artiste inlassablement amoureux de la peinture.
Un observateur de la vie quotidienne : cela commence dès le premier numéro, Mairie de Montreuil, qui est un terminus (le panneau central représente une rame vide). A gauche, un infirme en chaise roulante attend sans doute de l'aide sur le quai, un gobelet à la main. A droite, un SDF encombré de sacs prend la direction Pont de Sèvres : à quoi bon quitter l'hospitalité du métro ? Un autre SDF dort sur la banquette de Croix de Chavaux où Brandon a remarqué une jeune femme noire avec une poussette sans enfant. A Buzenval un jeune fait la manche, stoïquement assis par terre. A Nation la foule s'épaissit. A Charonne, Brandon se souvient de la tristement célèbre charge ordonnée par le préfet Papon : à gauche une grille fermée ; à droite des fleurs sous la plaque commémorative. A Strasbourg Saint-Denis, Brandon propose, à gauche, son autoportrait méditant (peut-être avec mélancolie) à la question de Ben reproduite au centre : « tout est art ? ». A droite, un nouveau SDF couché semble dire qu'il s'en moque. Et ainsi de suite, en observant que plus on va vers l'ouest, plus les voyageurs sont chics, comme en témoignent les deux jolies filles à La Muette : elles encadrent un portrait de Picasso sur une affiche dans la station vide, au centre.
Le clin d'oeil à Picasso n'est pas le seul emprunt à l'histoire de l'art dont les images abondent sur la ligne 9 : pas seulement à Michel-Ange (deux beaux dessins et sa Piétà pour un maître qui a deux stations !). Brandon reproduit à sa manière et avec affection le portrait d'Henri Georges Régnault, fort bon peintre orientaliste mort pour la France à la bataille de Buzenval contre les Prussiens en janvier 1871. Pour la station Saint Philippe du Roule, Brandon ne pouvait laisser passer le fait que l'église de ce nom abrite une belle fresque de Théodore Chassériau : une Descente de Croix qu'il introduit donc sur le quai, avec l'approbation de Paul Cézanne qu'il place dans le panneau de gauche. Brandon a de l'humour, des idées pas vraiment à droite si l'on en juge par ses portraits de Robespierre, de Che Guevara ou de Voltaire surgissant ça et là, et surtout une indéfectible amitié pour les peintres. Tous les peintres, et pas seulement son ami disparu Gérard Thalmann qu'il salue à Chaussée d'Antin. Après avoir vu cette exposition, vous ne prendrez plus le métro avec le même regard.
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