L'exposition Hugo à la Une (jusqu'au 6 janvier 2019 à la Maison de Victor Hugo, commissaire d'exposition Vincent Gille) procure au moins trois plaisirs : le premier sans doute est de retrouver la figure éblouissante du génie, le second d'apprécier la gaillarde santé, en dépit de la censure, de la presse satirique d'alors, le troisième est de mesurer combien l'art de la caricature a bien évolué depuis ce temps-là. Publiées entre 1830 et 1885, quelques cent quatre-vingt caricatures, visant l'artiste mais surtout l'homme politique Hugo, nous plongent dans un temps où, l'image étant rare (pas de photo de presse ni d'autre medium iconique de masse), elle gardait plus de valeur et produisait plus d'effets. Résumant l'actualité, l'image satirique célébrait parfois les uns, chargeait surtout les autres, recourait au symbole et à l'allégorie. Elle se mettait au service d'une ligne politique, bien sûr, mais d'abord de la satire, de sa fonction sociale consistant alors à donner une forme comique et joyeuse aux antagonismes idéologiques. Qu'ils soient républicains, comme Le Charivari, La Lune, Le Grelot, etc. ou monarchistes comme Le Triboulet, Le Caricaturiste, etc., les journaux satiriques faisaient appel à de talentueux dessinateurs (Daumier bien sûr, mais aussi Cham, Grandville, Doré, Nadar, Lepetit, Roubaud, Gill, etc.) qui théâtralisaient l'actualité par le grotesque, ridiculisaient les puissants, et s'attiraient immanquablement les foudres de la censure... Cette censure était alors si constante - tous les gouvernements du XIXe siècle y eurent recours -, si familière, qu'on l'avait surnommée « Anastasie » ! L'importune Anastasie ne s'éclipsa en fait que de courtes périodes, mais elle eut ses moments de triomphe en septembre 1835, juin 1848, décembre 1851, février 1852. Victor Hugo - victime lui-même d'Anastasie pour deux pièces de théâtre - n'arrêta jamais de défendre la liberté de la presse, et cohérent, ne protesta jamais contre aucune caricature le visant, si méchante fût-elle. Une loi du 29 juillet 1881 assura enfin la liberté de la presse... Cette loi est toujours en vigueur, mais l'inquiétante et lugubre Anastasie, aux ordres de communautés religieuses ou de groupes de pression, ou bien arborant la parure « bon chic bon genre » du culturellement correct, continue aujourd'hui à sévir à l'encontre d'une presse satirique raréfiée, fragile. Cette exposition nous rend encore plus précieuse la liberté de la presse, de cette presse.
Mais revenons à l'immense Victor Hugo, ce parangon du génie... On a peine à le croire mais, poète, romancier et homme de théâtre prodigieux, dessinateur inspiré, photographe (et même ébéniste) à ses heures, la conscience du romantisme français embrassa également une très belle carrière politique dès 1848. Aussi bien sur la peine de mort que sur la question sociale ou la liberté d'expression ou l'Europe ou encore le féminisme, Victor Hugo se montra un visionnaire très en avance sur son temps. Il a certes évolué d'une position conservatrice (pendant la Restauration il a soutenu Charles X) vers le réformisme, le républicanisme, allant même jusqu'à une défense courageuse des Communards devant l'affreuse répression qui s'était abattue sur eux. Ce Pair de France ayant d'abord pris la défense de la monarchie a fini par correspondre avec Louise Michel, déportée, qu'il a soutenue !... Dès lors, le traitement satirique dont il fut l'objet dans les mêmes journaux a varié, et par exemple Le Charivari opposé au Hugo de 1848 devint favorable au Hugo de 1870. Mais les journaux catholiques, conservateurs lui ont été durablement hostiles...
Sur le fond jaune, puis vert, puis bleu et enfin rouge des murs, par les multiples journaux encadrés et leur sarcastique « une », pointant les différentes attitudes et positions de Victor Hugo, le parcours chronologique proposé par cette exposition raconte l'histoire tumultueuse d'un engagement allant de la droite à la gauche extrême de l'échiquier politique. L'épisode saillant, et le plus connu, demeure la farouche opposition (allant jusqu'à un long exil) à Louis-Napoléon Bonaparte, quand ce dernier, par le coup d'État du 2 décembre 1851, conserve un pouvoir illégitime et finit, certes plébiscité, par devenir Napoléon III. Alors le grand refus de l'artiste se confond avec le rejet de l'état des choses imposé, et le politique rejoint le poétique : « Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là ! » (in « Les Châtiments »).
Concernant les caricatures, ce qu'elles dénoncent ici est loin d'être toujours justifié... Quand le romantisme novateur du poète n'est pas compris, et qu'on place... « Hugoth » (sic !) dans une Galerie des fous contemporains par exemple, le dessinateur et le journal qui le publie se font juste les défenseurs des béotiens, de leur esprit réactionnaire, étroit. Lorsque certains propos du poète politicien, isolés de leur contextes, sont détournés de leur sens, c'est la mauvaise foi qui grimace, plus que les petits dessins.
Dessins bien léchés au demeurant et hachures bien sages : au niveau de la qualité graphique d'ensemble et sauf exceptions remarquables, une certaine pauvreté inventive de la caricature (souvent une grosse tête et un corps minuscule) et du dessin humoristique d'alors, comparés à ceux d'aujourd'hui, témoigne de ce que l'art moderne a beaucoup libéré le trait et l'audace formelle des caricaturistes contemporains... Certes, mais aujourd'hui la presse satirique est réduite à bien peu de choses ! Et aujourd'hui les caricaturistes ne peuvent plus s'en prendre ou tresser des couronnes à un génie de l'ampleur du « Père Hugo », que plus de trois millions de Français vinrent lors de ses funérailles saluer...
|