Comédie de moeurs, farcesque ou de vaudeville : le riche genre théâtral de la comédie peut déclencher le rire par l'observation caustique de la réalité, ou par la transgression de ses normes sociales, ou encore par une échappée folle, maniaque hors de ses limites.
La comédie de moeurs décrit, plaisamment et avec une fin heureuse, les dysfonctions dans les rapports humains, permettant, par une prise de distance et le rire, une correction éventuelle de ces dysfonctions. La comédie corrige les moeurs en riant : c'est la célèbre devise Castigat ridendo mores. Jusqu'au 28 juin, au Théâtre Le Guichet Montparnasse et dans une mise en scène enlevée de Dominique Martinelli, la malicieuse comédie de l'américain Neil Simon, Pieds nus dans le parc, traite de l'incompréhension dans le couple, de l'idéal amoureux confronté aux tracas d'un quotidien prosaïque, et de ce que l'auteur perçoit sans doute comme une différence profonde entre beaucoup de femmes et d'hommes... Rien que ça ! Si la rupture et la haine parachèvent l'ensemble, il n'y a vraiment pas de quoi se réjouir. Et pourtant... En imaginant des situations cocasses, des personnages secondaires (la mère, un voisin) détournant du conflit central, une fin heureuse avec une morale implicite (chacun doit tenir compte de l'autre, dans son altérité), l'auteur parvient à transformer une mésentente douloureuse (entre une hystérique et un obsessionnel, pointerait un psychanalyste) en un divertissement qui suggère quelques vérités... Pas mal d'hommes sérieux craquent devant d'enthousiastes femmes-enfants, sans imaginer ce qu'elles font vivre au jour le jour, et sans comprendre qu'elles sont leur propre part d'enfance, refoulée puis cristallisée sur l'autre. Les comédiens font très bien passer à la fois l'analyse psychologique et le comique de la pièce. Et la petitesse du lieu où se déroule l'action sied à merveille à l'exiguïté de ce théâtre.
Jusqu'au 22 avril dernier au Théâtre du Rond-Point, habitué aux audaces en tous genres, un spectacle « réservé aux adultes » (il n'y en a plus beaucoup !) de et mis en scène par Pierre Guillois : Opéraporno. Les interdits liés à la sexualité s'étant depuis les années 70 érodés, leur transgression, générée par un comique licencieux, a perdu de son efficacité. Il faut donc prospecter, forer plus loin et plus profond, pour que jaillissent dans la salle les rires incontrôlables... Scabreuse, outrancière, incongrue, scatologique, cette comédie foule aux pieds la famille, la moindre décence et les derniers tabous qui restent, avec une joie iconoclaste cueillant même les spectateurs avertis, blasés. Le rire naît-il là des ultimes transgressions, ou alors des vertiges de l'excès ? Certes, les gags, les jeux de mots, et cette parodie « trash » d'opérette contribuent pour une bonne part au comique du spectacle, mais surtout, l'on s'attend tellement peu à rencontrer les derniers avatars du Professeur Choron (du magazine anarchisant disparu « Hara-Kiri »), des Monty Python, de Mel Brooks, tous tombés sur la scène d'un théâtre, que l'on perd dans le même temps ses balises et ses défenses... On se dit : ils ne vont pas oser, tout de même, là, au théâtre !... Mais si, entraînés par les compositions musicales et le piano endiablés de Nicolas Ducloux, par la paillarde énormité de ces situations, les comédiens en verve convertissent le genre porno dans la grande tradition farcesque, à moins que ce ne soit exactement l'inverse. Et ce faisant, ils portent la subversion au coeur de la comédie, avec tout de même risque de heurter - sans la moindre complaisance voyeuriste pourtant - un certain nombre de spectateurs. Le succès du spectacle vient autant de son audace que d'un mélange des genres (farce et opérette) ; mais il convient également de le contextualiser. L'étouffant climat de puritanisme religieux coexistant avec une pornographie formatée, qu'actuellement nous endurons, nécessite un brassage d'air, des tempêtes libératrices. Opéraporno est sans doute le nom donné à l'une d'entre elles.
Georges Feydeau, immense créateur dans le vaudeville, méticuleux fabriquant d'horlogeries prévues pour se détraquer complètement... Georges Feydeau - risquons cet oxymore - est le grand ordonnateur du désordre. Ce désordre est une fête (étymologie de « comédie» : du grec « komedia», de «komos » = fête dorienne), il est aussi une folie explosive, maniaque. Feydeau est mort fou, et pas seulement de la syphilis. Dans On purge bébé, pièce courte écrite tardivement, le comique, pour une part, tient à la menace permanente que l'intime, le viscéral polluent la représentation sociale de soi. Que la tenue négligée de madame Follavoine, ses eaux de toilette sales, les problèmes de constipation et la purge de son fils chéri, Toto, ou l'entérite de monsieur Chouilloux ne submergent complètement les codes bourgeois ; d'autant plus qu'une affaire de choix de pots de chambre pour l'armée française ridiculise quelque peu déjà le patriotisme... Mais pour une autre part, le comique tient à ce que, par un enchaînement précis de circonstances, il va se trouver que monsieur Follavoine et monsieur Chouilloux, devant régler des affaires ensemble, vont se ruer aux toilettes après avoir, eux et non Toto, bu la fameuse purge. La brutale révélation d'un cocuage vient ajouter à la confusion d'ensemble. Quelle folie !... La mise en scène de Frédéric Jessua, le jeu des comédiens n'ont nul besoin de surligner tel ou tel effet pour que ce vaudeville n'accouche de sa démence. La pièce (dys)fonctionne à merveille. Toto et Feydeau, maîtres du désordre, rigolent bien. Et le public itou...
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