Le prieuré de Saint-Cosme, à La Riche près de Tours a été réaménagé à la suite de fouilles archéologiques entre 2009 et 2013. C'est dans ce bel ensemble architectural que Ronsard (1524-1585), qui avait voué sa vie à la poésie sans prononcer de voeux monastiques, fut prieur pendant les vingt dernières années de sa vie. Le magnifique réfectoire, en particulier, qui avait été très endommagé par les bombardements de 1944, a été restauré. C'est là que le Conseil Départemental d'Indre et Loire et la galerie Capazza présentent actuellement une exposition dédiée à Franta sous le titre D'homme à hommes (jusqu'au 16 septembre). Dès l'entrée, une toile empoigne le visiteur. Réflexion représente un homme de race noire assis, nu, le coude gauche appuyé sur la cuisse, qui se prend la tête d'une main. Tout indique que sa méditation est douloureuse. Ce tableau à l'acrylique sur toile de 1 m 62 par 1 m 46 a été terminé en 2018. Il donne sans doute le dernier état de la pensée d'un peintre jamais las de témoigner de la condition humaine.
Un parcours a été conçu par les organisateurs de l'exposition, qui commence par une version de Témoin, le triptyque sur le thème de l'univers concentrationnaire maintenant au musée d'Art contemporain de Nagoya (Japon). C'est à propos de cette oeuvre bouleversante que la grande critique Dore Ashton avait écrit à Franta en 1995 : « J'ai toujours gardé à l'esprit la déclaration d'Adorno : faire de la poésie sur l'holocauste serait barbare ! Et pourtant ces sentiments profonds d'agression et de violence doivent trouver leur chemin vers l'expression. En regardant ton travail, j'ai été émue par ta façon d'être si profondément touché. Si un artiste peut accomplir cela, il aura accompli quelque chose d'inestimable dans un effort de civilité envers l'existence humaine. »
Bien sûr, d'autres oeuvres décrivent avec bonté l'épanouissement de la vie : la touchante Maternité (pastel sur papier) par exemple. Mais il n'empêche : la dominante de l'exposition est l'intégration par le peintre de la présence du mal dans le monde, avec en particulier la grande Barricade (2 x 2 mètres, huile sur toile). Devant un tableau de Franta, nous répondons une fois de plus à un double appel : il sollicite en effet la réflexion (c'est le titre de la première oeuvre), parce que sa cohérence justifie une connaissance objective, et le sentiment, parce qu'il ne se laisse pas épuiser par cette connaissance et qu'il provoque une émotion. Il n'a bien entendu atteint à sa subjectivité expressive qu'à travers la rigueur et la sûreté de son être objectif. Nous ne saurons pas « au nom de qui ? » ni « au nom de quoi ? » l'inacceptable. Mais c'est bien grâce à ceux qui, comme Franta, posent la question plus fortement que nous n'éprouvons pas, devant le monde mauvais, un sentiment de haine, mais un sentiment ontologique. L'inacceptable, à travers son art, nous invite à renouer avec le sens des êtres et de leur existence. L'oeuvre picturale de Franta s'inscrit de la sorte dans la lignée des penseurs les plus lucides des XX° et XXI° siècles, à commencer par Albert Camus indiquant froidement au début de L'Homme révolté que « le propos de cet essai est d'accepter la réalité du moment qui est le crime logique... »
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