L'UNESCO vient de présenter, dans les vastes espaces des salles Miro, une rétrospective Braun-Vega : pourquoi a-t-elle duré si peu de temps ? (16-20 avril) C'était l'occasion de prendre la véritable dimension du peintre péruvien souvent mal compris en France, le pays où il a pourtant choisi de vivre. Le commissaire, Christian Noorbergen, note que « Herman Braun-Vega prend d'admirables distances avec les surfaces de l'ego. Il plonge au profond de l'acte créatif, en faisant mémoire vive de ce qui l'a construit. » Ce qui l'a construit, c'est l'histoire de la peinture. Braun-Vega a toute sa vie interrogé les maîtres : chez Rembrandt et Vélasquez, Ingres et La Tour, Manet et Monet, Cézanne et Picasso, il se saisit de langages dont il ose nourrir sa propre peinture, avec un immense respect qui n'exclut pas une bonne dose d'affectueuse impertinence, et beaucoup de liberté dans l'emprunt des termes.
Un langage, mais des styles. La peinture d'Herman Braun-Vega aborde de front le problème de l'autonomie de l'oeuvre, dès lors qu'elle procède d'insertions de matières et manières apparemment hétérogènes. A ceux qui s'étonneront de voir l'écorché du professeur Tulp muni d'un pied à la Picasso, on pourra répondre que les plus beaux reliquaires médiévaux incorporent souvent des pierres antiques ( La leçon... à la campagne d'après Rembrandt, 1984, acrylique sur toile) La juxtaposition des styles fut la règle dans le passé, a observé Meyer Schapiro, « on épouvait pas le besoin de restaurer un ouvrage endommagé ou de compléter un ouvrage inachevé dans le style d'origine. » L'idéal rigoureux de la cohérence est essentiellement moderne. Il fallait être Picasso hier et Braun-Vega aujourd'hui pour oser bousculer cet impératif catégorique.
Mais Braun-Vega ne renoue pas avec le langage pictural de ses anciens pour le subvertir : s'il casse des images célèbres, s'il opère en elles des déplacements de sens insolites, c'est pour affirmer et témoigner, non pour nier. Affirmer, premièrement, que les peintres appartiennent à une même famille. Braun-Vega a réalisé en 1983 un tableau-manifeste (Caramba) dans lequel on reconnaissait sept peintres familièrement groupés autour de lui (Cézanne, Picasso, Goya, Rembrandt, Vélasquez, Ingres et Matisse...) Témoigner, deuxièmement, de ce que la peinture n'est pas innocente, qu'elle est toujours située socialement et politiquement, et que le « message » du peintre dépasse singulièrement - qu'il le veuille ou non - le jeu des formes et des couleurs qu'il déploie sur la toile. L'art, prétexte de l'art ? Comme toujours certes ! Mais on aura compris que Braun-Vega, s'il a choisi de faire du prétexte lui-même une condition nécessaire de son travail, montre que cette condition nécessaire n'est pas suffisante : la réalité du monde est toujours présente dans son oeuvre, avec ses beautés et ses contrastes, en l'occurrence souvent de terribles contradictions. Ces dernières ne peuvent être surmontées que par le mystérieux pouvoir de la peinture. C'est ce qui apparaissait dans cette superbe et trop rapide exposition.
www.braun-vega.com
|