Affichiste, directeur artistique, photomonteur, photo-graphiste, metteur en page, scénographe, le polonais Roman Cieslewicz (1930-1996) méritait une autre rétrospective, La fabrique des images (au Musée des Arts Décoratifs jusqu'au 23 septembre) abordant les thèmes, et surtout les éléments générateurs, auxquels il fut attaché. Ses travaux de commande pour l'édition, la presse ou la publicité, se nourrissent de ses recherches artistiques, elles-mêmes inspirées par les avant-garde's. Si les arts appliqués privilégient normalement le message et/ou la fonctionnalité dans la création, bridant une liberté d'inspiration artistique que l'on imagine totale, il existe une zone intermédiaire entre arts et arts appliqués, qui faisait dire à Cieslewicz que, dans la définition que donne le Larousse du mot « affiche » (« feuille imprimée, souvent illustrée, portant un avis officiel, publicitaire, etc... placardée dans un lieu public »), sans la moindre hésitation il se situait dans le « etc... » ! Soit un « plus » ouvert.
Ce parcours rétrospectif, agréable jeu de piste pour l'historien d'art, révèle sans difficultés de nombreuses influences. Roman Cieslewicz lui-même revendiquait l'héritage formel du constructivisme, russe et polonais (notamment le groupe Blok), du typographe et affichiste au Bauhaus, Herbert Bayer, et de John Heartfield. Mais on serait aussi en droit de reconnaître ici la marque de la tradition fantastique polonaise, ou du romantisme noir, là celle du surréalisme, et ici encore celle du Pop art... Qu'importe ? Toutes ces influences se fondent dans le thème, l'idée. Le message percutant s'impose (il a fait sien le principe selon quoi une image qui ne choque pas ne vaut rien). Et ce message graphique est, à l'évidence, en prise directe avec son temps. Alors les crises, les guerres, l'actualité passent bruyamment dans ses affiches, éludant quelque peu le repérage stylistique. Et pour mémoire, cette terrible image, dénonçant la guerre comme « toujours sale », et inspirée des « gueules cassées » de 14-18...
Images... Il y a le réel et il y a les images. À la différence du premier, les secondes sont fixes et impénétrables. Même certaines peuvent ensorceler. « Image » anagramme de « magie ». Roman Cieslewicz, un collectionneur passionné d'images : conçues par thèmes, il avait quelques 350 boîtes d'images découpées, essentiellement dans la presse. L'exposition nous montre, dans des vitrines, le contenu de certaines de ses boîtes, l'une consacrée au « noir » ou à « la main » ou au « rouge » ou à « l'oeil ». Tout un couloir est réservé à de petites images collées sur des feuilles, mais cette fois hors thématiques. L'éclectisme passionné de l'artiste se manifeste dans ces banques d'images : un trésor pour lui, méprisé par beaucoup. Quand on lui demande pourquoi il ne crée pas ses propres documents pour réaliser ses montages, il répond qu'il préfère fouiller dans les poubelles. Secouer la fixité de ces images en les cisaillant, détournant, associant, coloriant : leur offrir en plus une seconde vie.
Collages... Roman Cieslewicz le répète : « mon outil de travail, c'est ciseaux, colle, papier ». Bien entendu, l'on ne peut s'empêcher de penser à l'un des génies dans cet art du collage : Max Ernst. Et d'ailleurs Cieslewicz avait recopié son humoristique apophtegme : « c'est la plume qui fait le plumage mais ce n'est pas la colle qui fait le collage ». Il faut bien maîtriser les figures de rhétorique de cet art, hâtivement jugé facile, et avoir un sens aiguisé du télescopage, plus ou moins surréaliste, pour réussir des images surprenantes qui à la fois malmènent les stéréotypes, et ne donnent pas la déplaisante impression d'être arbitraires, contingentes. La série des couvertures qu'il a réalisées pour le magazine d'art « Opus », par exemple, frappe le visiteur par l'efficacité tonique de ses collages. Mais Cieslewicz creuse le sillon, réalisant des collages répétitifs, puis des collages centrés d'une redoutable symétrie. Dans un film présenté, l'on entend Topor parler excellemment des collages de Cieslewicz...
Passages... Le graphiste polonais - qui est venu s'installer en France dès 1963 et obtient la nationalité française huit ans plus tard - reste sans doute un artiste des passages. Passage de l'art de recherche à l'art appliqué, passage de la rigueur formelle à la vigueur de contenu (exemples : sa plaquette en hommage à Che Guevara pour le magazine Jeune Afrique, ou bien son affiche pour « Amnesty International » de 1975), passage du surréalisme au « pop-constructiviste », passage de cette grande école polonaise de l'affiche, de la fin des années 50, à un dépouillement quasi abstrait, où des générateurs comme le cercle et les verticales vont commander ses créations. Passage enfin attendu, presque obligatoire chez cet homme au carrefour d'influences, que celui, pédagogique, qui le fera enseigner d'abord à l'École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, et ensuite à l'ESAG Penninghen jusqu'à la fin de sa vie. Combien alors d'affichistes enthousiastes pour un art en déclin ?
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