Le musée Jacquemart-André présente (jusqu'au 10 juillet) une richissime exposition intitulée « De Zurbaràn à Rothko » sous-titrée Collection Alicia Koplowitz-Grupo Omegacapital. Il y a de tout, depuis une Tête romaine du Doryphore, d'après un original de l'époque classique par Polyclète jusqu'à une toile Sans titre IV de 1956 par Willem De Kooning. Quel rapport entre ces oeuvres ? Absolument aucun, sinon qu'elles appartiennent toutes deux , ainsi que beaucoup d'autres de toutes les époques et de tous les styles à Alicia Koplowitz, comparée dans le catalogue à une impératrice de Russie, la Grande Catherine, et naturellement à l'ancienne maîtresse des lieux, Nélie Jacquemart, par M. Jean-Pierre Babelon, membre de l'Institut et président de la Fondation Jacquemart-André. Madame Koplowitz nous confie qu'elle a « senti depuis toute petite une très grande attirance pour l'art ». On ne peut que s'émerveiller devant le cas d'une personne attirée par l'art qui a les moyens de se procurer tout ce qu'il y a de plus beau et de plus cher sur le marché depuis l'enfance. Qui est donc cette collectionneuse célèbre en Espagne, mais peu connue de ce côté-ci des Pyrénées ?
Alicia doit sa fortune à son père, Ernesto Koplowitz, né juif allemand de Haute-Silésie à la veille de la Grande Guerre, mais devenu polonais en 1919 quand l'Allemagne vaincue dut céder cette région à la Pologne. Après bien des tribulations suscitées par la montée du nazisme, il se fixa en 1940 en Espagne franquiste, trouva un emploi dans la filiale locale du groupe allemand AEG (avouez qu'il fallait le faire !) et épousa en 1950 Esther Romero de Josey y Armentas, fille d'un aristocrate cubain fortuné. Grâce à l'argent du beau-père, il reprit en 1952 une entreprise de construction qu'il fit prospérer sous le nom de Construcciones y Contratas (Conycon). Habile à se faire des relations dans les milieux d'affaires proches de Franco, il décrocha notamment l'énorme marché de l'assainissement des égouts de Madrid. En dix ans, il avait fait de Conycon l'une des plus importantes entreprises de travaux publics d'Espagne. C'est alors qu'il se tua dans une chute de cheval en 1952, faisant de ses deux filles, Esther et Alicia (cette dernière avait huit ans) des milliardaires en dollars. Un ami proche, Ramon Areces, s'érigea en protecteur de la famille, géra l'entreprise et maria les deux filles à deux cousins à lui, les frères Cortina.
Alicia avait dix-huit ans quand elle épousa Alberto Cortina, le laissant faire prospérer ses intérêts, jusqu'à ce que la liaison de son mari avec Marta Chavarri, marquise de Cubas, révélée par le magazine Diez Minutos la conduise au divorce, au renvoi d'Alberto moyennant une confortable indemnité, et à la création en 1988 de sa propre structure chargée de gérer sa fortune personnelle, évaluée à deux milliards de dollars : Grupo Omegacapital. Elle est demeurée co-présidente de la société familiale jusqu'à octobre 1996, date à laquelle elle a vendu ses parts à sa soeur pour 900 millions d'euros. Depuis, Alicia Klopowitz, qui porte volontiers le titre de marquise de Bellavista venu de sa mère, ne s'est pas remariée. La presse people lui attribue une relation avec le duc de Huescar. Elle ne se mêle pas trop des opérations financières de sa société (ses initiatives en ce domaine n'ont pas toujours été couronnées de succès, par exemple quand elle a confié 6 millions de dollars au célèbre Madoff...). Il lui est visiblement plus agréable d'enrichir sa magnifique collection hétéroclite dont tout ce que peuvent dire les auteurs du catalogue, c'est qu'elle « reflète une même sensibilité artistique » et qu'elle « témoigne d'un goût subtil et profond pour l'art ». Les magazines d'art qui reçoivent de la publicité pour l'exposition ne disent pas le contraire, évidemment.
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