Cela se passe à l'espace d'art actuel « Le Radar » à Bayeux qui fête ses dix ans avec une remarquable exposition intitulée Deux temps/Trois mouvements (jusqu'au 4 juin). Sa présidente, Manuela Tetrel, souhaite notamment expérimenter avec les artistes en les invitant à s'approprier l'espace du Radar (trois niveaux d'une ancienne école en centre-ville) et de présenter « l'art en action ». Trois plasticiens ont répondu à l'appel de la commissaire, Justine Richard : Claude Cattelain, Natalia Jaime-Cortez et Réjane Lhôte. Tous trois renouvellent avec intelligence et sensibilité la pratique de la peinture, tous trois me semblent faire parfaitement écho aux réflexions de l'artiste Soizic Stokvis et de la philosophe Christine Buci-Glucksmann qui, en mars 2015, ont théorisé « l'esthétique des châteaux de sable » à propos de nouvelles pratiques de peinture hors tableau qui induisent le développement d'installations et d'interventions in situ. L'un des pionniers les plus connus de cette nouvelle peinture est Max Charvolen (né en 1946), plasticien mais aussi architecte ayant terminé sa formation dans l'agence d'Oscar Niemeyer à Rio, qui concrétise aujourd'hui son expérience de dialogue du corps avec l'espace aboutissant à une « figuration sans ressemblance » donnant une seconde peau au bâti se faisant volume mémorisant le lieu confié à l'artiste.
C'est exactement ce que font les trois artistes du Radar. Je m'arrête à la prestation particulièrement significative de la jeune Réjane Lhôte dont les signes accueillent le visiteur sur la paroi de droite de l'espace du rez-de-chaussée avec une émouvante élégance. « Ces signes prennent l'aspect de formes noires très denses, écrit Justine Richard, dont les arêtes tranchantes se heurtent au vide des murs blancs. Ces représentations d'espaces fragmentés sont fragiles, en tension, elles menacent de rompre... » Réjane Lhôte s'intéresse à la charge émotionnelle du lieu qui lui est offert. Son travail traduit en dessin la sensation ressentie face à un espace. Ce dessin incarne le point de convergence et de circulation entre le corps et l'architecture, entre l'intériorisation et le déploiement. Elle a réalisé récemment une installation (LONDON, Office : in situ) par laquelle elle investissait une pièce mansardée et rejouait ses perspectives. Elle parvenait à une variation autour d'un volume qui avait été plié, déplié et replié. A cette occasion, comme au Radar, sa démarche était très comparable à celle de Charvolen au château de Kerguéhennec en 2015.
Avec Réjane Lhôte, Claude Cattelain et Natalia Jaime-Cortez, on peut dire que la peinture hors tableau parvient actuellement à son accomplissement. Il est intéressant de noter que cela est montré dans une ville de 14.000 habitants, prestigieuse certes sur le plan du patrimoine, mais qui malgré ses dimensions réduites a la volonté de prendre une part active à la vie de l'art contemporain. Le maire, Patrick Gomont, s'en félicitait avec raison lors de l'inauguration. Cette réussite tient à la passion désintéressée de volontaires (Manuela Tetrel est bénévole) et aux aides nécessaires de la ville, de la région, du département et de quelques établissements privés comme le Centre Leclerc. A l'heure où tant de lieux culturels sont menacés à cause de l'indifférence, voire l'hostilité de tant de responsables officiels, Le Radar est un exemple à suivre, un exemple trop rare, hélas.
www.le-radar.fr
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