L'Expressionnisme, Itzhak Goldberg, Citadelles & Mazenod, 416 p., 189 euro.
C'est un livre qui était attendu. Bien sûr, depuis les années soixante, des chercheurs comme Jean-Michel Palmier ou Lionel Richard (pour ne parler que de la France) ont publié des ouvrages remarquables sur la question. Il y a eu aussi de grandes expositions qui nous ont permis de redécouvrir (et, pour beaucoup, de découvrir), ces mouvements essentiellement d'Europe centrale et du Nord de l'Europe. Mais il manquait un grand livre qui puisse prendre du recul et faire la somme de ce qu'on a rassemblé sous le terme d' « expressionnisme ». Avant de parler du coeur de la question, je voulais dire à Itzhak Golberg que je suis ravi qu'il ait commencé son livre avec une reproduction du Cri d'Edvard Munch. Ici, on a l'habitude d'occulter cet immense peintre qui a été le grand précurseur de l'expressionnisme (et aussi du fauvisme, soit dit en passant !). En plus, il a placé en face des citations d'une grande pertinence et non pour se donner un ton savant. C'est un excellent début et la suite ne le dément pas. Il évoque avec beaucoup de précision la création du groupe Die Brücke à Dresde, avec Karl Schmidt-Rottluff, Max Pechstein, Ernst Ludwig Kirchner, Emile Nolde et Fritz Bleyl. Il y explique pourquoi ces jeunes étudiants en architecture ont commencé par faire beaucoup de gravure sur bois, technique qui s'est révélée un excellent moyen de rendre tangible la nature et la nouveauté de leur art. L'aventure de l'expressionnisme est essentiellement germanique. Le second groupe qui a pu se revendiquer de cet esprit est un groupe créé à Munich autour de la figure « paternelle » de Vassili Kandinsky. Il est à souligner que tous les membres de ce cercle d'artistes aux idées avant-gardistes ne vont pas tous dans ce sens : par exemple, le dessinateur tchèque Alfred Kubin est loin de pouvoir être rangé dans cette catégorie. Mais pour l'essentiel, les artistes s'inscrivent dans ce mouvement, comme Alexej Jawlenski, Auguste Macke, Franz Marc, Gabriele Münter, Marianne von Werefkin, etc. Der Blaue Reiter (Le Cavalier bleu) est fondé en 1912 et a trouvé alors son épicentre à Murnau. L'expressionnisme fait ensuite bien des émules, comme Otto Dix et Max Beckmann. Un genre cinématographique en est issu, dont Fritz Lang a été l'un des plus grands représentants avec Robert Wiene et Paul Wegener. Il y a eu aussi une architecture de ce genre avec Eric Mendelsohn. Et aussi une littérature qui en dérive (citons Yvan Goll, Gottfried Benn, Georg Trakl, entre autres). Itzhak Goldberg consacre une place importante à la peinture autrichienne, surtout en mettant en valeur les oeuvres d'Egon Schiele et d'Oskar Kokoschka. Il passe ensuite aux expériences plastiques proches de cet esprit dans le reste de l'Europe, en France d'abord (où, faut-il le souligner, bien des artistes ont refusé la main tendue des membres de Die Brjke, sauf Kees Van Dongen qui s'est rapproché d'eux - il faut dire qu'à l'époque les relations entre la France et l'Allemagne étaient plus que délicates. On constate l'existence de peintres de premier plan qui se sont rapprochés de cette manière d'envisager l'art ; Rouault, Van Dongen, Vlaminck, Soutine. La Belgique a connu aussi un fort courant expressionniste avec Constant Permeke et Gustave de Smet. L'auteur ne s'attarde pas sur la Bohème et c'est dommage, car le groupe Osma (né en 1906), puis le groupe cubiste (sorti d'Osma) emmené par Bohumal Kubisha ont voulu une synthèse percutante entre cubisme et expressionnisme. Il ne fait pas état non plus des artistes néerlandais qui n'ont pourtant pas démérité en la matière. Mais on pourrait à l'infini discuter sur certains oublis, comme on pourrait épiloguer sans fin sur la « descendance expressionniste », en particulier sur ce qui a été appelé Abstract Expressionism aux Etats-Unis et sur les peintres allemands qui ont repris le flambeau (Kiefer, Baselitz, Immendorff, Lüpertz, etc). Je ne regrette au fond qu'une chose, qu'il n'ait pas pris en compte les recherches menées par Sergio Birga au début des années soixante, et dont on a pu voir plusieurs tableaux dans sa récente exposition à la galerie Saphir de Paris ; il a fait pourtant figure de précurseur dans ce retour aux sources. Mais je ne fais là aucun reproche à l'auteur : je veux plutôt souligner le rôle précurseur de cet artiste d'origine florentine). Tout cela étant précisé, l'ouvrage de Itzhak Goldberg mérite bien des éloges. C'est très bien fait, construit avec rigueur et simplicité, avec la ferme volonté de faire comprendre non seulement l'histoire de ces artistes, mais aussi celle des idées et de l'esthétique qu'ils ont voulu introduire. Quiconque s'intéresse aux avant-gardes du siècle dernier ne peut se passer de son travail et de cet bel ouvrage.
Ar(t)bres & art contemporain, Martine Francillon, préface de Jack Lang & de Claude Mollard, La Manufacture de l'image, 256 p., 38 euro.
Nous pouvons regarder cet impressionnant et riche catalogue comme une sorte de dictionnaire thématique sur un seul et même objet : l'arbre. Je n'ai qu'un seul regret en voyant cette vaste nomenclature : l'absence d' Etienne Martin. Bien sûr, il a disparu il y a déjà pas mal de temps, mais peut tout de même être regardé comme un artiste contemporain. Toute son oeuvre a été bâtie sur l'utilisation du bois et de la représentation arboricole. Niels Udo est bien présent. Une autre absence de taille, celle de Giuseppe Penone. Ça c'est encore plus étrange, car il y a des artistes de l'arte povera présents dans cette exposition. Et puis il y a aussi un grand ancêtre, Lucien Clergue, qui a ici toute sa place. A part cela, l'ensemble est vraiment intéressant. On voit de quelle façon les artistes ont abordé ce sujet par des biais très différents, que ce soit par la sculpture ou la peinture, la photographie, l'installation. Nous trouvons dans ce fort volume des personnages éminents de la création actuelle, Claudio Parmiggiani, Pierre Alechinsky, Gloria Friedmann, Jacques Villeglé, Jaume Plensa, Anthony Gormey, quelques artistes à la mode (heureusement fort peu, comme Fabrice Hyber ou Maurizio Cattelan), des architectes connus comme Jean Nouvel, Renzo Piano, Kengo Kuma ou Mario Botta, et puis de nouvelles figures, dont je ne citerai que la seule Esther Ségal, qui est sans nul doute l'une des artistes montantes les plus intéressantes. A côté d'elle, on peut faire d'autres découvertes intéressantes. Comme toute exposition thématique, celle-ci offre des oeuvres superbes et emblématiques, d'autres plus contestables. Mais ce qui compte c'est que l'auteur a su faire un choix permettant de déployer un vaste panorama de modes d'expression et de manières de traiter un sujet assez simple et familier, qui a traversé toute l'histoire de notre peinture. Mais, il est vrai, dois-je ajouter aussitôt, que l'arbre a rarement été un thème en soi. Les sous-bois de Gustave Courbet ou les clairières de Camille Corot n'étaient pas une apologie de l'arbre, mais plutôt de la forêt. Et, au-delà de la forêt, de la Nature. Cela est encore vrai chez les impressionnistes et au-delà. Cet ouvrage est bien conçu et permet vraiment de découvrir les oeuvres retenues et d'avoir des commentaires permettant d'en comprendre l'esprit. Donc voilà de quoi satisfaire la curiosité des amoureux de l'art.
Dior, Françoise Giroud, photographies de Sacha van Dorssen, Editions du Regard, 320 p., 24,50 euro.
Paul Morand avait jeté son dévolu sur Coco Chanel, Françoise Giroud, sur Dior. Elle a eu mille fois raison. L'art et la mode se sont rapprochés de très près avec Fortuny et son superbe plissé qui l'a rendu célèbre. Puis il y a eu quelques autres grands créateurs, comme Paul Poiret. Mais jamais il ne s'et pris pour un artiste. Pas plus que Dior, qui, pourtant, en était un dans son domaine. Il a reçu l'Oscar de la Mode à Hollywood à sa plus grande surprise. Françoise Giroud fait à la fois le portrait de l'homme et du dessinateur de mode, mais aussi son histoire. C'est une sorte de reportage qui ne vise pas l'exhaustivité, mais cherche plutôt à faire valoir les traits les plus marquants de sa personnalité et de sa recherche. Moins schématique que Morand, qui aimait la vitesse, même dans l'écriture, elle se place dans la posture de l'observatrice, qui note tout et retient l'essentiel. Christian Dior incarne le style, la classe, l'universalité de la mode française pendant les années cinquante. Il habille les grandes vedettes du cinéma et les princesses, en fait, toutes ces aristocrates assez fortunées pour s'habiller chez lui. Bien qu'il ait métamorphosé le vêtement féminin de l'après-guerre, il y avait chez lui un goût assez conservateur, ce qui est presque un paradoxe. Ce n'était en tout cas pas un révolutionnaire, mais un avant-gardiste. C'est cette très curieuse association d'invention et de retenue, d'audace et de classicisme, qui a fait de lui ce grand personnage. Il y avait beaucoup de nostalgie dans ses créations, car on y retrouvait des échos des décennies précédentes, mais pas de volonté d'un retour en arrière. Non, il était moderne, dans le luxe, l'ostentation même, mais aussi dans une certaine sobriété quand elle était indispensable. Et même si l'on pouvait deviner dans ses merveilleuses robes quelque réminiscence du XIXe siècle dans ce qu'il avait de plus élégant et de plus fastueux, cela ne pouvait se révéler que par une totale transmutation. Il a incarné les derniers feux de cette manière de s'habiller qui ne s'adressait qu'aux grands et aux puissants de ce monde. Après lui, une page sera définitivement tournée. Cet album est une joie quand on le feuillette, s'attardant de page en page, sur tel ou tel modèle. Et Françoise Giroud a très bien mené son enquête, parvenant à nous faire comprendre comment il travaillait, comment il pensait, et comment il se projetait dans ce monde à son crépuscule.
Entretiens avec Jacques Chancel, La table Ronde, France Inter, INA, 184 p., 20 euro.
Jacques Chancel a eu une place de premier plan dans le panorama audiovisuel français et ses entretiens ont été très suivis par nos compatriotes. Les six dialogues qui sont réunis dans ce volume concernent six metteurs en scène qui ont incarné le renouvellement du cinéma de notre pays à partir des années soixante. Il ne s'agit d'ailleurs pas seulement de la Nouvelle Vague qui voulait faire table rase du cinéma tel que l'avaient vu Duvivier, Michel Carné ou Claude Autant-Lara. François Truffaut et Louis Malle appartiennent à cette génération iconoclaste. Ils sont issus des coups de boutoir portés à l'ancien cinéma, celui de l'après-guerre, par les collaborateurs des Cahiers du cinéma. Claude Chabrol se trouvait aux marges de ce groupe de jeunes réalisateurs qui ont eu volonté de renverser les idoles -, leurs précurseurs. Mais Jean-Pierre Melville et Claude Lelouch ont aussi participé à cette métamorphose, pour le bien et pour le mal. Ces entretiens ont été faits entre 1969 et 1982. Ils sont précieux pour tous les passionnés de cinéma, car l'habile journaliste savait très bien faire parler ses interlocuteurs, souvent leur faisant dire ce qu'ils n'auraient pas souhaité dévoiler en public. L'entretien avec Truffaut est particulièrement révélateur, car ce dernier nous révèle les idéaux qui ont animé ces metteurs en scène qui se voulaient porteurs d'une révolution qui, hélas, n'a pas été fertile en dehors d'eux. Il n'ont pas su imposer une nouvelle tradition remplaçant la précédente qui était malgré tout d'une grande qualité. D'une certaine façon, et bien entendu d'une manière involontaire, ils ont fait chuter le cinéma français qui, après eux, a versé très souvent dans la banalité. Lelouch, qui ne fait pas partie de cette petite coterie a sans doute été le principal responsable de cette situation, car il a tout de suite eu un grand succès populaire. Et Melville, avec ses films policiers, a aussi su modifier un genre avec un certain talent. Ce livre revêt donc une certaine importance, non parce qu'il engendre un sentiment de nostalgie pour cette époque, mais parce qu'il fait comprendre comment le Septième Art en France a recherché d'autres moyens d'expression.
Empaillé, Mario Bellatin, traduit de l'espagnol (Mexique) par Chloé Samaniego, Editions de la Différence, 96 p., 13 euro.
OEuvre bien difficile à cataloguer ! Est-ce un roman, un récit, une fantasmagorie, un enchaînement de rêves, ou une méditation qui prolonge l'esprit du « monologue intérieur » de Dujardin ? Difficile à dire et j'ajoute sans attendre peu importe. Ce qui compte pour nous (lecteurs) ce n'est pas le genre en soi, mais plutôt ce que cet ouvrage nous apporte. En premier lieu, il nous dérange et, en même temps, ne nous déplaît pas et même, au contraire, nous attire. Pourquoi ? Parce que son point de départ est des plus insolites avec le spectre de cet écrivain qui ne cesse de hanter l'auteur. Ce fantôme envahissant, c'est peut-être lui, qui se raconte, ou alors un autre, qu'il aurait pu être ou qu'il aurait voulu être qui vient hanter ses jours et les nuits et s'immiscer dans toutes ses pensées et dans son écriture. Cette enflure, cette démesure de l'intervention post-mortem d'un auteur bien vivant, la préface de la traductrice nous les rend encore plus difficiles à déchiffrer, car elle fait de Mario Bellatin un romancier impensable, qui aurait écrit une oeuvre immense, dépassant l'entendement humain et la faculté d'un écrivain prolixe, et plus encore (dépassant de loin Alexandre Dumas). Il n'y a pas un fil rouge pour nous aider à nous retrouver dans cette sorte de déambulation langagière qui est parfois (pour rajouter encore un peu plus de piment) décousue ou interrompue. Ce fantôme fantasque et plutôt lutin est une sorte de portrait décomposé de l'écrivain, entre Arcimboldo et Umberto Boccioni. Il ne cesse de faire des blagues de plus ou moins bons goût, de poser des problèmes métaphysiques au narrateur et bien d'autres problèmes, tous plus insolubles les uns que les autres. Il fond l'Un et l'Autre comme dans un haut fourneau et déverse une coulée de mots qui sont parfois pleins de sens, et parfois frôlent les logiques absurdes d'Alice au pays de s merveilles. Mais ce que réalise ici l'écrivain mexicain, c'est une sorte d'autoportrait délirant et qui met en scène tous les problèmes que pose l'écriture par les temps qui courent. C'est d'une drôlerie qui donne froid dans le dos ! Oui, c'est drôle, mais très grave aussi. C'est un questionnement sur le devenir de l'art romanesque qui est passé au crible, rendu grotesque et malgré tout revendiqué.
June, Virginie Bégaudeau, « G », La Musardine, 224 p., 16 euro.
Une nouvelle collection, destinée aux femmes et baptisée « G » vient de faire paraitre son premier titre : June. Il s'agit des aventures d'une jeune femme mariée qui vit aux Etats-Unis et qui y mène une vie plutôt paisible. L'arrivée d'une amie, Elsa, bouleverse tout d'un coup toutes ses certitudes et sa tranquillité d'âme. Celle-ci l'attire irrésistiblement et elle s'embrase comme de l'amadou sous les caresses d'Elsa. Celle-ci veut qu'elles partent ensemble. June doit abandonner son mari et tout le reste. June est comme fascinée par sa compagne et par tout ce qu'elle lui fait découvrir. Puis elle lui annonce qu'elle allait l'emmener dans une demeure (la maison des Carpenter) très spéciale, réservée à quelques initiés. Elle se retrouve au sein d'une communauté de libertins modernes qui est régentée par un homme qui fait figure de maître incontesté des lieux. La jeune femme découvre, non sans une grande inquiétude, que cette maison abrite des pratiques qui sont loin d'être innocentes. Elle se trouve séparée d'Elsa et se retrouve prise dans les mailles du filet et doit se soumettre aux désirs violents d'Adrian. La dépravation n'est pas le seul point commun des membres de cette communauté, mais aussi les relations sadiques. Elle n'a d'autres choix que de soumettre et fait la découverte d'un univers dont la perversion n'a pas de bornes. La mort d'Adrian met un terme à cette expérience angoissante, mais qui lui a tout de même permis d'apprendre beaucoup de choses sur l'infinitude de la jouissance. C'est un roman pas mal écrit et bien mené. Cela nous rappelle bien des choses, à commencer par le château du divin marquis de Sade, mais là, on n'arrive pas à de telles extrêmités !). On lit avec ravissement ce qu'il advient de cette petite oie blanche qui ne se rebelle pas beaucoup dès qu'il s'agit de trouver les profondeurs inconnues et lancinantes du plaisir !
Descartes, l'homme et l'oeuvre, Ferdinand Alquié, « la petite vermillon », La Table Ronde, 256 p., 8,70 euro.
Leçons sur Descartes, Science et métaphysique chez Descartes, Ferdinand Alquié, « la petite vermillon », La Table Ronde, 290 p., 10,20 euro.
René Descartes a été le sujet de prédilection de Ferdinand Alquié (1906-1985) qui, à l'époque de mes chères études, passait pour une vieille barbe, mais qui, en dépit de son âge avancé, était un extraordinaire commentateur des auteurs qu'il aimait et qu'il commentait pour ses élèves. Je me rends compte aujourd'hui à quel point nous étions sots (cela me rappelle la formule de Rimbaud : on n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans !). Ferdinand Alquié était un rationaliste (ce qui ne l'a pas empêché de s'intéresser au surréalisme !), et c'est dans une progression rationnelle qu'il a interrogé l'homme et l'oeuvre de l'auteur du Discours de la méthode, mais aussi des Passions de l'âme. Il a vu en lui d'abord un esprit scientifique, qui s'est penché sur les mathématiques, en quête de lois universelles, procédant par paliers, avec une sorte de logique inflexible. La métaphysique n'aurait été au fond que l'ultime degré de sa recherche, mais en rien son fondement. Il veut parvenir à la découverte de la « mathématique universelle », en commençant par des raisonnements très simples, par exemple la simplification de son langage. Il s'attache aussi à résoudre des problèmes de géométrie analytique. En somme, de question en question, il a construit une méthode pour embrasser tous les domaines de la science pure. Alquié nous fait comprendre que c'est un amoureux des vérités éternelles, mais pas du tout dans l'optique de Platon. Il sait le monde fini et se tient fermement à cette certitude, même s'il doit placer l'ensemble sur un fond d'infini, pour des raisons évidentes qui ont à voir avec la théologie de l'époque. Il baptise alors (curieusement) ses écrits savants Méditations. Si l'on suit Descartes pas à pas, on se rend compte qu'il ne commence à s'interroger sur des questions d'une autre nature que sur le tard : celles dont il traite dans ses Méditations métaphysiques et dans le Principe de la philosophie, donc dans la seconde partie de son existence (en tout cas, après le Discours de la méthode, qui introduit déjà des éléments à ce sujet). A en croire son remarquable lecteur, Descartes est devenu philosophe par le simple développement de sa pensée sur la mathématique et sur l'observation du monde tangible. Son aspiration à l'universalité a dû avoir recours à Dieu pour se sortir d'affaire, car ses principes ne pouvaient pas l'entraîner à des spéculations hasardeuses. Que vous soyez étudiant en philosophie ou non, ces deux livres sont indispensables pour la compréhension d'une pensée fondatrice dans notre sphère philosophique.
Correspondance, 1946-1959, Albert Camus / René Char, édition établie et présentée par Franck Planeille, Folio, 304 p., 7,70 euro.
C'est René Char qui a pris les devants et a écrit un premier message au jeune dramaturge et philosophe le 1er mars 1946. Le contact établi, il lui dit tout le bien qu'il pense de sa pièce, Caligula (ce qui paraît curieux, car rétrospectivement, elle paraît d'un ennui assez écrasant !). Leurs relations sont curieuses, car c'est Char qui n'a de cesse de remercier Camus pour les livres qu'il lui envoie. Camus fait des éloges peu circonstanciés à Char, en somme des flatterie, disant par exemple que Fureur et mystère est « le plus beau livre de poésie de cette malheureuse époque », - ni plus, ni moins. Ces lettres se présentent souvent comme un exercice rapide d'admiration mutuelle ! Mais elles ne nous apprennent que bien peu de choses sur la nature de leur « amitié » ni sur l'estime véritable qu'ils se portent sur le plan littéraire. En somme, avec eux, on entre, après la guerre, dans un autre monde, qui est celui des compliments et des flatteries réciproques. En fait, Char ne semble avoir d'opinion que sur l'affaire de l'Homme révolté, qui s'est conclue par la rupture violente avec Jean-Paul Sartre. Pour le reste, mon Dieu, prenons la chose comme un document historique et une recherche de complicité pour défendre chacun son oeuvre. Je n'arrive pas à voir exactement la convergence entre Camus et Char. Je les vois plutôt aux antipodes ! Peut-être il y a-t-il eu un rapprochement dans le domaine des idées, mais pour ce qui est de la littérature en soi et pour soi, on peut vraiment s'interroger ! Char était l'hermétisme incarné et Camus la limpidité faite homme ! Tout cela me laisse de marbre. Mais d'autres se passionneront pour ses missives qui sont le plus souvent des pages du guide Taride des déplacements des auteurs dans l'hexagone...
La Philosophie des sciences, Ferdinand Alquié, « la petite vermillon », La Table Ronde, 176 p., 7,10 euro.
Avec son énonciation limpide, la simplicité de son langage et sa rigueur, Ferdinand Alquié a réussi à rendre très compréhensible une question qui, a priori, ne l'est guère. La réflexion qu'on peut faire sur les sciences, qui ne l'oriente ni ne la reformule, est d'abord une prise de distance et même, éventuellement, une critique. Il commence par s'interroger sur la définition des diverses matières scientifiques et en fait l'histoire à grands traits, mais un art peu commun de la synthèse et de la concision. Il montre ensuite quelle est leur hiérarchie, puis définit ce qu'elles sont censées faire, surtout constituer une induction, c'est-à-dire une formulation de lois universelles, puis décrit ce que signifie la déduction. Ce qui l'amène à décrire ce qu'est la nature de l'esprit scientifique. Enfin, il en vient à analyser ce le rôle de la raison, et le rapport entre science et métaphysique. Bien sûr, l'ouvrage a un peu vieilli, les sciences ayant évolué, et la philosophie ayant elle aussi subit des transformations. Disons que son étude est tournée vers l'histoire des sciences et de la réflexion qu'elle a pu entrainer. Il n'empêche que ces pages demeurent un guide indispensable pour ceux qui ont envie de se lancer dans l'étude de l'épistémologie.
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