Depuis le 16 mai, lorsque l'on prend le grand escalator, sous la canopée du Forum des halles, pour remonter depuis le niveau -3, on est frappé par les douze vitrines du niveau -2, à notre droite, qui étaient opaques jusque-là. En effet, pas de magasins possibles : il s'agit d'un mur qui était désespérément inanimé. L'intervention d'un artiste-magicien, Miguel Chevalier, change tout : voici Pixels Wave Light 2017, qui fait appel à la lumière et au mouvement pour métamorphoser l'espace environnant. Miguel Chevalier est très connu à l'échelle internationale : ses jardins virtuels, ses environnements organiques et génératifs sont présents dans le monde entier. Par exemple, tout récemment à Hong Kong, il a présenté ses « Fractal Flowers », fleurs géantes génératives et interactives qui habillent des espaces multimedia immersifs. Sous le titre Digital Paradise, cela se passait à la galerie Puerta Roja, et les visiteurs étaient plongés dans un jardin entièrement composé de fleurs blanches sur fond rouge, des fleurs appartenant à de nouvelles espèces inventées par l'artiste à partir de formes géométriques simples : le cube, la sphère et le cône.
Mais revenons sous la canopée : grâce à 7000 leds contrôlées individuellement par un programme informatique conçu pour l'occasion, les passants du Forum assistent à différentes chorégraphies lumineuses et graphiques générées en temps réel. Ces univers variés oscillent selon les moments de la journée : mouvements de vagues, spirales, ondes, lignes géométriques, pulsations plus ou moins douces ou rapides. La manière souveraine dont Miguel Chevalier s'empare au XXIe siècle d'une architecture donnée (ce peut être un monument ancien aussi bien que la structure futuriste du Forum) nous renvoie à la notion de symmetria selon Vitruve : « Lorsque, dans un édifice convenablement proportionné, toutes les parties s'accordent avec la symétrie totale, on obtient l'eurythmie ». Cette définition fameuse néglige cependant l'aspect dynamique du rythme, l'harmonie au sens d'accord heureux, d'unité, ce qui est précisément au centre de la démarche de Chevalier.
Pixels Wave Light 2017 incarne aussi une nouvelle « poétique de la matière » en même temps qu'une « esthétique de la lumière ». Avec ses diverses composantes : leds, panneaux de polycarbonate et dacryl incrusté de loupes déformantes, Miguel Chevalier suscite des expériences visuelles étonnantes dans un immense kaléidoscope. Faut-il vraiment savoir que le dacryl est un polyméthacrylate de méthyle transparent, léger, excellent conducteur de lumière, qui est devenu une matière de référence pour l'artiste ? Il me semble que ce n'est sans doute pas nécessaire. L'important, c'est que Chevalier réussisse à offrir toutes les modalités de la couleur, même celles que la langue française ignore, qui se disent en allemand glüben, leuchten et glänzen. On est longtemps immobilisé par la fascination devant les chatoiements très précisément picturaux imaginés et réalisés par le célèbre spécialiste de l'art dit numérique et virtuel. Et l'on se dit que par les moyens technologiques les plus sophistiqués, il rejoint peut-être tout simplement les sensations que Cézanne avait découvertes avec sa seule palette et ses tubes : « Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude »...
www.miguel-chevalier.com
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