Louis XIV avait fait accrocher plusieurs tableaux de Valentin de Boulogne dans sa chambre à Versailles, car il était sensible au fait que l'artiste, tout comme Simon Vouet et Nicolas Poussin, ait affirmé la spécificité d'un art français à Rome, refusant ainsi de le considérer exclusivement comme un épigone du Caravage. Retenons aussi le réflexe de Jacques-Louis David, alors déjà maître du néo-classicisme, qui dès son arrivée au palais Mancini (1779) en qualité de pensionnaire du Roi, choisit de reprendre La Cène de Valentin. La copie de David est perdue, mais non pas son Philosophe de la même année (aujourd'hui au musée Baron Gérard de Bayeux) qui manifeste une forme de caravagisme « sobre, attentif aux nuances des expressions, au modelé des drapés, à l'analyse des chevelures et des barbes, qui est dans la ligne tracée par Valentin », écrit Jean-Pierre Cuzin. La magnifique exposition du Louvre (jusqu'au 22 mai) consacrée à Valentin de Boulogne a pour sous-titre « Réinventer Caravage ». Il est certain que Valentin, installé définitivement à Rome peut-être dès 1609, peu de temps après la mort de Caravage, a adopté la pittura dal naturale inventée par le maître, faisant du « d'après nature » le principe premier de son art », mais tout en restant lui-même, prenant de la distance en transformant, comme dit J.-P. Cuzin, « en peinture exigeante, élaborée, réfléchie, ce qui était traduction directe, brute, presque effrayante du réel ».
Tel est l'enjeu passionnant de l'exposition du Louvre : nous démontrer que l'on pouvait, au début du XVIIe siècle, suivre les traces de celui qui, aux dires de Nicolas Poussin, était venu au monde pour « tuer la peinture », tout en s'affirmant comme l'un des plus grands maîtres de la couleur qu'ait connus la France, selon la juste appréciation d'Annick Lemoine, commissaire scientifique. Il suffit pour s'en convaincre de regarder avec cette dernière l'un des chefs d'oeuvre de Valentin, le Concert au bas-relief du Louvre (1624-1625) qui joue sur l'association de la musique, de l'ivresse et de la mélancolie. La signification du tableau est flottante. Ce n'est nullement une scène de taverne plus ou moins burlesque : l'assemblée décrite par Valentin frappe par sa poésie. Il y a sept personnages : des musiciens populaires encadrés par un soldat, un serviteur et un enfant, réunis pour le temps d'un concert. Pas de décor mais un vestige antique. Le soldat du premier plan coupe son vin avec de l'eau, ce qui est conforme à l'allégorie traditionnelle de la tempérance, mais à l'arrière-plan, le serviteur assoiffé boit à même une fiasque, évocation non moins traditionnelle de l'excès. Au coeur du groupe, un enfant, la main sous la joue, prend la pose de la mélancolie. Ces allégories voilées s'articulent autour du vestige antique, élément structurant de la composition. L'enfant, symbole de l'innocence, se situe à la croisée des chemins entre le vice et la vertu.
La lecture du Concert au bas-relief peut se poursuivre longtemps, notamment à propos de la citation antique par laquelle le peintre introduit des éléments que pouvaient goûter les amateurs cultivés du cercle mondain autour du Cardinal Barberini, protecteur de Valentin, qui lui-même avait une vaste culture, quand bien même il se serait enivré chaque nuit dans les bas-fonds romains selon sa légende. Ce n'est qu'un exemple pris parmi cinquante autres d'une exposition très riche qui remet Valentin de Boulogne à son rang, le premier, parmi les peintres français qui travaillèrent à Rome au Grand Siècle. La foule se presse actuellement au Louvre pour voir les Vermeer de l'exposition voisine. Puisse-t-elle ne pas manquer cette occasion d'admirer aussi les tableaux remarquables d'un très grand peintre français de la même époque.
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