Parmi les vacanciers insouciants venus aux Rencontres Photographiques d’Arles avec d’impressionnants appareils « reflex » mais sans trop savoir où braquer leurs objectifs, certains, confrontés aux innombrables pistes ouvertes par ce grand rendez-vous de la photographie et au fort engagement éthique, politique, esthétique de certains artistes sélectionnés, enfin au poids de sens et responsabilité conféré par les commissaires d’exposition à cette pratique, ont dû à la fois sentir l’acte photographique moins évident et leur appareil de photo plus lourd. Certes, ils pouvaient simplement revenir au noir et blanc, puisque cette année la ligne éditoriale était là : Arles in black. Mais cette défausse n’aurait pas duré longtemps, car l’éblouissant génie d’un Sergio Larrain, par exemple, leur aurait vite montré que le problème n’est pas la molette qu’on tourne vers le noir et blanc, mais une démarche esthétique qu’on adopte jusqu’à l’engagement existentiel... Pour le photographe chilien - et même si sa sympathie le tourne vers les enfants abandonnés, les miséreux de Santiago, Valparaiso, du Pérou, de la Bolivie etc. - , le sujet n’est pas l’objet. Fils d’un architecte, grand admirateur de Cartier-Bresson, pour lui l’objet de la photographie est d’abord l’agencement. Mais la composition, déjà prise dans le carcan de l’académisme, pâtit d’une rhétorique limitée ! Alors, déconstruire audacieusement (par décentrage, hors-champ, oblitérations, décalages) cette composition obsolète permettra à la fois l’émergence d’une nouvelle architecture de l’image et d’un regard neuf sur le monde. Le même regard qu’apporte la pratique intensive de la méditation, jusqu’à ce fameux satori désignant l’éveil spirituel dans le bouddhisme zen. Or Sergio Larrain a fini par abandonner la photographie, pour se consacrer au yoga, à la méditation, et à dessiner aux crayons de couleurs des objets de satori… De la photographie à la conversion existentielle.
On peut féliciter François Hébel, directeur des Rencontres d’Arles, de nous avoir offert, avec la cinquantaine d’expositions proposées, une palette qui va du noir profond au blanc pur… Noir avec Alfredo Jaar, en sa bouleversante démarche à la fois conceptuelle, réflexive et critique. Laquelle, par des textes blancs sur fond noir, nous interpelle à propos des usages et mésusages de la photographie. Paroles sans film sur Kevin Carter, suicidé du photoreportage. Dans le système médiatico-économique, la photo ne montre pas certaines monstrueuses tragédies, en détournant l’attention vers d’autres faits. Le noir est ici un refus, un deuil assumés… Noir avec Jean-Louis Courtinat qui, tout en leur demandant de se présenter avec leurs mots, photographie les exclus, les parias, les dépossédés de notre monde capitaliste, S.D.F. bousillés si vite, si tôt… Noir avec Pieter Hugo (photographe d’Afrique du Sud) qui, par un procédé numérique faisant ressortir les pigments de la peau, et en basculant ces photos au noir et blanc, ironise sur les distinctions raciales… Noir avec l’humour de la même teinte de Gilbert Garcin, qui se met en scène de multiples façons pour nous raconter la finitude, la vieillesse, la désillusion… Noir avec Gordon Parks, premier photographe noir à avoir montré l’indignité, l’ostracisme, la misère qu’ont supporté ses frères aux Etats-Unis… Et puis il y avait les grisailles de l’Anglais John Davies qui, par de remarquables photographies de paysages, nous entretient sur des réalités sociologiques. Celles d’Antony Cairns avec ses photographies expérimentales solarisées, puis tirées sur des feuilles d’aluminium. Celles, mélancoliques, du Studio Fouad à Beyrouth et Van-Leo au Caire, portraits encore plus gris, parce que si pâles dans leur colorisation ! Grisaille de (non)sens de toutes ces photos, imprimées à partir de Flickr sur internet, en seulement 24 heures, par le Hollandais Erik Kessels. Nuances larges et fascinantes de gris…
On saute plein de propositions, presque toutes passionnantes, pour arriver au « blanc » (au sens de vacuité) de la méditation. Le Japonais Hiroshi Sugimoto nous a offert une céleste et envoûtante vision, comme pour clore ces rencontres photographiques, qui furent des collisions, des heurts, des remises en question.
Ne restait plus alors, pour se rafraîchir un peu, que l’étonnante exposition sur le Nuage au musée Reatu.
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