Désirs et volupté à l'époque victorienne, une sélection d'oeuvres par Véronique Gerard-Powell, à partir de la superbe collection Pérez Simon, exposée au Musée Jacquemart-André… La peinture de Sir Lawrence Alma-Tadema, Les Roses d'Héliogabale (1888), faisant référence à un épisode de l'histoire romaine où le tyran Héliogabale fit déverser sur ses courtisans, lors d'un banquet, d'énormes quantités de pétales pour les ensevelir et s'en amuser, indique ce que le spectateur éprouve un peu devant cette suite d'oeuvres tendres, capiteuses, délicates de Leighton, Burne-Jones, Moore, Waterhouse, Godward, Rossetti, Strudwick, etc. Une telle virtuosité (technique des drapés, rendu minutieux des différentes matières), tous ces entêtants parfums d'Orient, ces décors imposants et somptueux, ces références emphatiques à la Renaissance ou à l'Antique peuvent étouffer le visiteur. Il a peut-être ressenti la même impression, deux ans plus tôt, lors de la brillante exposition au Musée d'Orsay, Beauté, morale et volupté dans l'Angleterre d'Oscar Wilde. Sauf qu'alors il avait renoncé à comprendre où se nichait, au milieu de ces peintures, meubles, habits et même bijoux, au milieu de tout ce luxe, de cette pose et ces artifices, la volupté… Aujourd'hui, il s'interroge derechef : des roses de serre au précieux parfum, comment ne pas les rencontrer dans la collection Pérez-Simon ? Mais l'Éros, qui commande le désir et prépare à la volupté (titre de l'exposition), où diable se cache-t-il ? La relativité historique et culturelle de l'érotisme fournit la réponse : dans le contexte du puritanisme guindé et de la rigueur industrielle propres à l'époque victorienne, l'érotisme pouvait, devant une cuisse entrevue (Pyrrha après son bain de Godward, ou Crenaia de Leighton), des corps féminins sous la fine transparence d'un drapé (Le Quatuor de Moore), devant même un simple regard allusif (Le Philtre d'amour de Waterhouse), créer quelque émoi sous les redingotes corsetées !
Il convient donc de se replacer dans les codes culturels de l'époque, si étrangers qu'ils puissent nous paraître, et par exemple se rappeler que l'Olympia de Manet fut jugée obscène en son temps… Vue sous cet angle, l'exposition Désirs et volupté à l'époque victorienne tient les promesses de son titre. La mise en scène du corps et la dramaturgie du fantasme, propres à l'érotisme, sont perceptibles même dans cette chaste et capiteuse roseraie.
Au Musée de l'Érotisme, trois expositions très différentes d'inspiration.
Peinture, aquarelle, gravure, crayons de couleurs et même feutre ou stylo à bille : les deux dessinateurs Placid et Muzo, très prolifiques, jouent davantage avec l'imagerie sexuelle qu'ils n'expriment une fantasmatique personnelle. Les dessins criards, tordus, la rapidité du trait, les visages caricaturaux de Placid, et la variété délirante des situations imaginées évoquent certains courants de la B.D., visent au comique et à la fantaisie. Quant aux oeuvres de Muzo, d'une facture expressionniste (on pense parfois à Grosz ou Beckmann), elles associent l'érotisme à une autodérision mélancolique, à l'humour noir, aux cruelles menaces de castration.
Avec Namio Harukawa, nous retrouvons une tendance coutumière du dessin érotique : la précision minutieuse du rendu et la réitération obsessionnelle d'un scénario pervers. Le titre de son exposition, Garden of Domina, confirme ce qui sautait tout de suite aux yeux, à savoir une thématique masochiste. La femme, Vénus callipyge toute puissante, écrase de son sexe un homme/enfant malingre, immobilisé, contraint, ligoté, devenu homme-objet, « sextoy » négligeable. Et toujours le même type de femme, d'homme, de situation, de mise en scène, de (remarquable) dessin au crayon. Au vu du travail proposé et de son ampleur, on imagine que Namio Harukawa est lui-même enchaîné à sa table de dessin, concrétisant sa fantasmatique personnelle dans un extase permanente de sublimation.
Les photographies d'Herbert Ascherman Junior, ont la particularité de renouer avec la technique ancienne du tirage sur platine. Portraits bizarres, et mises en scène de la nudité à l'évidence inspirées par les figures du travesti, de l'androgyne, du transsexuel. Certains personnages, quelque peu inquiétants, rappellent ceux du photographe Joel-Peter Witkin.
Voilà. S'agit-il d'érotisme ou de pornographie ? D'art sophistiqué ou d'illustrations d'assouvissement ? De création hors-normes ou de genre mineur ?… Quand il s'agit d'érotisme, le « culturellement correct » se complait souvent à la catégorisation. Cet exercice intellectuel traçant la frontière des concepts garde sans doute quelque utilité pour définir les territoires institués des uns et des autres. Mais la créativité s'en agace bien vit, cette puissance nomade appréciant peu les douaniers.
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