Au fond, la relation de l’art avec la nature est de trois sortes au moins : il peut l’imiter, forme de connaissance, voire de maîtrise (observer, analyser et reproduire ce qui était à peine vu) ; il peut aussi, toujours dans l’imitation, la célébrer en la recomposant ou la théâtralisant selon un ordre qui serait comme l’empreinte du divin ; et il peut également intervenir dans la nature pour la changer (travail du paysagiste, ou du land artist, etc.), dans un rapport soit de confrontation, jusqu’à la « dénaturer » en imposant une logique extérieure, soit de connivence, en prolongeant, exaltant les formes naturelles. Mais, si la nature a souvent inspiré les artistes, ne nous y trompons pas, la « beauté naturelle » est liée aux évolutions de l’art, et l’éducation esthétique nous apprend à nous enchanter de la nature. Oscar Wilde va jusqu’à dire que « ce que nous voyons, et la façon dont nous le voyons, dépend des arts qui nous ont influencés... ». Position affirmant un primat absolu de la culture, qu’une attitude phénoménologique pourrait un peu réduire : admettons un rapport humain originel, immédiat, « antéprédicatif » de sympathie, curiosité ou fascination pour la nature : sensations brutes, muets émerveillements que l’artiste, en bon « conducteur d’intensités » (Lyotard) essaye de faire passer dans le système des couleurs, formes, lignes, matières, etc.
L’exposition « Gobelins par Nature - Éloge de la verdure », à la Manufacture des Gobelins, illustre le thème de la nature dans les travaux d’une vingtaine d’artistes, plaçant côte à côte des œuvres du XVIème siècle et d’autres contemporaines, et vient nourrir cette réflexion par des exemples multiples, que l’art de la tapisserie, par ses amples formats de tentures murales et sa matité rutilante, enrichit... On y voit que, dès le XVIème siècle, la nature constitue l’écrin, la scène privilégiée de mythologies (Charles Le Brun). Aussi que l’artiste amoureux des couleurs peut trouver dans l’éclat de forêts automnales ou de végétations variées de quoi répondre à sa passion chromatique (« 173 couleurs » d’Yves Oppenheim). Mais s’il adore le dessin et le jeu des lignes, alors la diversité des feuilles et la subtilité des nervures peuvent l’inspirer (travail exaltant de Yannick Ballif). Peut-être aime-t-il également les effets de la lumière, et il va s’enchanter, comme Paul-Armand Gette dans « L’embellie », de cette éblouissante rencontre nature/lumière. Et Jacques Monory, dans « Velvet Jungle », en restant fidèle à la palette bleue, nous montre un humain dans une attitude énigmatique par rapport à la nature. Si, comme chez Alechinsky, la nature n’est qu’une citation discrète, la couleur lavande apparemment un détail - mais qui donne le titre de l’ouvrage -, on voit que le mouvement du créateur suit les mêmes lignes de force ici que la « Nature naturante » (Spinoza) ou la Physis des Grecs, c’est-à-dire la puissance foisonnante... Car l’abondance, les excès dispendieux, les débordements composites de la nature offrent à certains artistes le miroir extérieur où ils retrouvent les forces, pulsions, énergies intérieures qui les traversent. Voici les « tentures des saisons » de Jean Lurçat, qui font dialoguer les codes affectifs des couleurs et les végétations saisonnières, et surtout cette explosion chromatique proposée par Samuel Burri, où l’on croit reconnaître un enthousiasme maniaque ou... une flore tropicale. Dans un grand récit mobilisateur, on pourrait aussi dire que le lien de l’art et de la nature est de réciproque défi !
Si l’on souhaite rester à la fois dans ce lien art et nature, également dans le textile, alors on peut voir la séduisante exposition sur les Tsutsugaki au Musée Guimet, qui nous a offert une remarquable saison japonaise (Rosanjin Kitaoji, Hiroshige) cette année. Les Tsutsugaki désignent une technique japonaise de teinture à l’indigo dans laquelle des réserves, obtenues par une colle, laissent place à de merveilleux dessins colorés, dont le thème fréquent est la nature. Ici, la nature est d’emblée jeu de symboles : le bambou représente la fidélité, le paulownia le printemps, les tortues la longévité, les canards mandarins l’amour éternel, etc. Ces symboles ont aussi des pouvoirs. Par des rythmes admirables de courbes, d’ondulations, le dessinateur, artisan et teinturier à la fois, crée de fascinantes scènes que l’on retrouvera sur des kimonos, des tentures, des bannières. La nature paraît s’être totalement pliée à un idéal de sérénité et d’harmonie, proprement humain. Sauf que cet idéal fut peut-être inspiré par ces tranquilles et somptueux paysages que nous réserve parfois la nature...
|