Pour Christian Renonciat, les jours qui viennent seront marqués par un double événement : d'une part l'exposition monographique annuelle d'Art Elysées (24-28 octobre) lui est consacrée, d'autre part, du 2 novembre au 19 janvier, il sera l'invité du Centre d'Art Contemporain de Saint-Pierre-de-Varengeville sous le titre Au fil du bois. À Art Elysées, il présente un ensemble de grands panneaux créés et composés pour cette occasion : ce sont les Étendues. Il y privilégie les « sujets » qu'il affectionne : le papier déplié, le panneau de carton, la bâche de plastique et la couverture de laine. De ces quatre « sujets », il compose des tableaux qu'il nomme souvent « motifs » : des formats presque carrés ou bien des « codex » (comme des livres ouverts). Ce sont toujours des panneaux de bois sculpté, mais aucune trace du travail ne vient alourdir la perception. Devant ces oeuvres fascinantes, sans équivalent chez aucun autre artiste à ma connaissance, on pourra deviner, à Art Elysées comme à Saint-Pierre-de-Varengeville, que ce qui presse l'artiste, c'est son propre génie : un besoin de donner consistance à un univers qui lui est propre. Ce qui le fait avancer lorsqu'il est au travail, ce peut être le sentiment que « ce n'est pas encore ça », mais nous comprendrons que ce « ça », il ne le connaît pas. Renonciat ne l'a découvert que lorsque l'oeuvre, achevée, l'a tenu quitte. Il avait beaucoup cherché, éprouvant dans son labeur un plaisir spécifique : « Peut-être notre tâche d'artiste est-elle aujourd'hui dans cette quête quasi archéologique des traces d'humanité en nous, quête non pas scientifique (quadrillage de l'espace pour redoubler la graduation du temps) mais poétique, peut-être, flâneuse et rêveuse, pour retrouver la chair, le plaisir, le rire. C'est un fil d'Ariane qu'il faut suivre... »
L'artiste n'est artiste qu'en suivant son fil d'Ariane. Il ne pense pas l'idée de l'oeuvre, il pense sur ce qu'il fait à mesure qu'il le fait. C'est toujours à du perçu qu'il a affaire, et l'en-soi de l'oeuvre n'est accessible pour lui qu'en s'identifiant avec ce perçu. Il ne connaît finalement ce qu'il a voulu, dans sa quête « archéologique », que lorsque, après l'avoir fait, il le perçoit comme achevé, lorsqu'il rejoint enfin la condition de spectateur, pour son plus grand plaisir. En créant son oeuvre, Renonciat la porte du même coup à une existence définitive ; elle n'attend plus que son regard, puis celui des spectateurs, pour être objet esthétique. Le sensible, ici pétrifié dans le bois, est la matière même de l'oeuvre. Ce sont les caractères de l'exécution-création qui ont marqué l'oeuvre. Le sensible est passé par l'homme, et ne s'est épanoui comme sensible que parce que l'homme a produit avec bonheur. « Matière des choses : le pli, le plein, la peau ; érotique de la peau. Rondeur, matière, maternité, chaleur, humidité sont les modes du corps ; plaisir de soi et répétition ; caresse. Dans le corps est une mémoire animale, foetale, d'avant le verbe, dont les éléments sont l'eau et la terre, la laine, le drap, la voix... »
Le corps est toujours de la partie en communiquant à l'oeuvre, par une sorte de connivence, la profondeur qui est en lui, cet interior d'où émane l'appel de l'oeuvre. Comme l'idée monte d'une profondeur spirituelle, les moyens de l'exécution ont jailli d'une profondeur vitale. L'aisance du coup de ciseau a communiqué au sensible une grâce sans laquelle il n'est pas d'objet esthétique. Cela est aussi vrai, par exemple, pour Papier déplié,9 plis, 2002, que pour Paquet couverture gansée - pin d'Oregon de la même année, oeuvres « calmes » et impeccablement finies. Essayons d'approcher le style de Renonciat à partir d'un grand Papier déplié de la série Pli selon pli faisant apparaître ses plis délimitant seize carrés avec une grande netteté. La perfection de la réalisation nous autorise, bien sûr, une exclamation : quel métier ! En art, le style est bien entendu métier, mais un métier qui permette à l'auteur de s'exprimer et d'être soi. Le style est le lieu où apparaît l'auteur. Cet auteur, en l'occurrence, aime le papier en tant que matière qu'il entend « écrire ». Et c'est bien lui-même qui prend la parole quand il cherche à traduire dans le bois celle du papier, ce papier « plié, déplié, froissé, déchiré, étendu » qui s'exprime lui aussi. Là se cache le secret du style incomparable de Christian Renonciat.
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