D'avril à décembre 2013, les vingt-trois Fonds Régionaux d'Art contemporain de France invitent 23 créateurs à montrer, chacun à sa façon, de l'art contemporain, à l'occasion de leur trentenaire. On ne peut pas dire que cela passionne les foules, et la presse a jusqu'ici couvert l'événement fort discrètement : ce n'est pas une raison pour ne pas s'informer. Je l'ai tenté d'autant plus volontiers que j'étais présent au départ, membre d'un comité d'achat d'un FRAC (on dit aussi « comité technique »), observateur très intéressé par la manière dont mes co-équipiers entendaient remplir la mission qui nous était alors assignée : « proposer au conseil d'administration des achats d'œuvres d'artistes vivants ». En ce temps là, le Conseil Général nommait la moitié des membres du comité, et le ministère de la culture l'autre moitié. La plupart des Conseils Généraux étaient à droite, et le ministère était celui de Jack Lang. L'opposition droite-gauche était subtilement perceptible : les uns préféraient un art sagement traditionnel, les autres penchaient plutôt pour ce que l'on appelait encore l'avant-garde. Mais, entre gens de bonne compagnie, nous votions souvent pour des choix qui n'étaient pas les nôtres, ce qui fait que les collections des Fracs sont aujourd'hui d'un remarquable éclectisme (plus de 26 000 œuvres acquises). Pas de doute : l'argent public dépensé par les Fracs a réellement relancé le marché et contribué à la survie ou à la prospérité de quelques centaines d'artistes et/ou de leurs galeries (4 200 artistes ont eu l'occasion de vendre à des Fracs : la plupart une seule fois, et certains à de multiples reprises).
Qu'en est-il en 2013 ? Chaque Frac dispose d'un budget annuel d'acquisition allant de 100 000 à 300 000 euros, mais il ne le dépense plus comme jadis : l'heure est à la « co-production ». Pour comprendre ce que cela veut dire, on peut penser à la baraque de chantier naguère installée par Thomas Hirschhorn dans la périphérie de Metz, accolée à une vraie baraque de chantier, « produite » par le Frac Lorraine sous la direction de Béatrice Josse. On peut aussi visiter l'un des locaux aménagés par les Fracs pour initier les bonnes gens à l'art contemporain. Pour ma part, je me suis rendu à Caen, où le Frac-Basse Normandie dirigé par Sylvie Froux présentait cet été La soupe américaine , une installation in situ et un film produits par le Frac, le Centre National des Arts Plastiques, et l'artiste catalan Jordi Colomer, né en 1962, qui est présent dans la collection du Frac et s'intéresse à l'architecture. Or Caen, rasé à 70 % en juin 1944, a certes eu des problèmes d'architecture, mais d'abord de logement d'urgence des populations sinistrées.
D'où la bonne idée initiale : inventer une fiction à partir des baraquements américains de type UK 100 qui furent achetés par la France pour abriter les sans-logis de Caen, Saint Lô ou Condé sur Noiraud… Jordi Colomer a choisi une dizaine d'œuvres de la collection du Frac (accrochées à l'étage) qu'il a introduites dans le film The American soup présenté au rez-de-chaussée, dans lequel alternent documents d'archive et « reportage » sur les habitants actuels de baraquements devenus pérennes par quelques adjonctions de matériaux lourds. Bonne idée, en vérité, mais qui aboutit à un film hermétique et donc profondément ennuyeux. On plaint le « public scolaire et jeune public », le « public de l'enseignement supérieur », sans parler des membres des associations et entreprises, autant de publics captifs auquel se réfère le Frac. Pourquoi donc un Raymond Hains au mur du modeste logement d'une dame organisant une réunion Tupperware ? Pourquoi M. Vesque, sur la table de la salle-à-manger de son non moins modeste logement, a-t-il une maquette d'église en résine acrylique tournant sur elle-même ? Parce que ce sont deux œuvres de la collection, la seconde ayant pour auteur Didier Marcel qui se livrerait à « un processus implacable de contrôle de l'espace » (dixit M. Eric Troncy). Ou encore pourquoi ce titre « soupe américaine » ? On croit comprendre que ce serait la soupe bizarrement apportée par un personnage volubile à l'assemblée des dames en réunion Tupperware. Ce bonhomme paraît vaguement habillé en aviateur. Le document distribué aux visiteurs (quand il y en a : j'étais seul pendant la demi-heure passée là) nous explique sérieusement qu'il s'agit d'une référence à Joseph Beuys, l'aviateur de légende… De qui se moque-t-on ? Les Fracs ont tant bien que mal acheté de l'art contemporain pendant trente ans : de grâce, qu'ils arrêtent d'essayer d'en produire maintenant !
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