Jeudi prochain, 24 octobre, grande effervescence à Paris : ce sera le jour de l'ouverture de la FIAC et de ses satellites qui ne sont pas tous sans intérêt, loin de là : saluons les efforts de SLICK ou du « salon d'art contemporain » de l'Espace Pierre Cardin pour contribuer à faire de Paris une place réellement internationale. Quant à Art Elysées, dans ses pavillons du long de l'avenue, il assumera avec dignité sa réputation imméritée de salon des refusés de la prestigieuse voisine du Grand Palais. C'est précisément ce jour que l'Institut Art et droit a choisi pour organiser, au Cercle Interallié, une « rencontre avec des artistes de la Figuration narrative » pour tenter de répondre à la question « La Figuration narrative est-elle entrée dans l'histoire ? » Heureusement que les foires d'art contemporain n'ont pas l'idée de répondre à la question, car leur réponse serait négative. On verra peut-être Erró à la Fiac, puisqu'il est devenu un des artistes les plus chers du monde (le cap du million de dollars a été franchi en vente publique pour des grands « Scapes »), peut-être aussi Adami et Klasen, mais ce sera à peu près tout. En tout cas, soyons assurés que la Figuration narrative ne sera nulle part présente en tant que telle.
Est-ce si grave ? Je me souviens qu'au milieu des années 80, le vibrionnant Achille Bonito-Oliva avait réussi à imposer dans le monde entier sa « Transavantgarde ». Il expliquait assez cyniquement que le problème, pour ses quatre poulains (Chia, Cucchi, Clemente, Paladino) n'était pas de « passer à l'histoire » mais de « passer à la géographie ». Autrement dit, occuper le terrain, être de toutes les biennales et foires, et gagner beaucoup d'argent. C'est ce qui advint. Aujourd'hui la Transavantgarde est oubliée et ses membres, dispersés, poursuivent individuellement leurs carrières respectives avec des fortunes diverses. On ne peut pas en dire autant de la Figuration narrative : c'est un label reconnu, y compris par de grandes institutions comme le Museo Nacional Centro Arte Reina Sofia de Madrid qui vient d'ouvrir (mai 2012) une section consacrée à ce groupe que l'on peut dire historique, mais dont les contours sont mal définis. Qui en est, qui n'en est pas ?
C'est avec cette question en tête que j'ouvre la thèse imposante d'une chercheuse à l'Université Provence Aix-Marseille I, Leïla Cadet, sous le titre intimidant : « La réappropriation de l'héritage artistique occidental par les artistes de la Figuration narrative : la citation comme instrument critique ». Dans les annexes figurent des entretiens avec six artistes de la Figuration narrative. Ils ont visiblement parlé librement, sans se douter peut-être que la doctorante publierait la totalité de ses enregistrements. Le résultat est hautement significatif. Jugez en : Adami déclare d'entrée de jeu ne pas se reconnaître comme partie prenante à la Figuration narrative. « La narration, précise-t-il, est une chose qui ne m'a jamais intéressé : c'est la raison pour laquelle je ne voulais pas participer à l'exposition du Grand Palais en 2008. Je l'ai dit, mais ensuite j'y ai été plus ou moins contraint ». Erró observe : « nous n'avons pas démarré tous ensemble, mais chacun pour soi. Nous nous voyons d'ailleurs rarement », et à propos de l'exposition du Grand Palais dédiée à la Figuration narrative : « il y a beaucoup d'artistes dans cette exposition qui n'ont rien à voir avec nous. »
Klasen confirme à sa manière à propos des expositions des années 60 et 70 : « Je me sentais en porte-à-faux avec certaines démarches mais Gassiot-Talabot avait brassé très large. » Enfin, Rancillac, co-fondateur du mouvement avec Télémaque et Gassiot-Talabot, en rajoute à propos de l'exposition de 2008 : « On confond tout. Regardez l'exposition du Grand Palais : ils sont même allés chercher les Malassis qui n'ont jamais fait partie de la Figuration narrative. » Le débat est ouvert, mais d'ores et déjà on peut dire que l'exposition du Grand Palais par laquelle le Musée National d'Art Moderne se proposait de faire entrer la Figuration narrative dans l'histoire fut ratée. Il n'y eut qu'une cinquantaine de milliers de visiteurs et des membres du mouvement parmi les plus incontestables la récusèrent avec mépris. La doctorante s'était décidément aventurée sur un terrain miné.
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