Décompression, Juli Zeh, traduit de l’allemand par Matthieu Dumont, Actes Sud, 288 p., 21,50 €.
Ce genre de littérature est curieux : il se situe à mi-chemin entre le roman de gare et l’étude psychologique la plus sophistiqué. Quand on lit Décompression, qui relate une partie carrée, qui se développe pas du tout comme le laisseraient présager les prémisses de l’ouvrage, on a le sentiment que l’auteur a tenu à rendre sa fiction la plus réaliste possible. Aucun détail ne nous est épargné. Et comme il s’agit de plongée sous-marine pour l’essentiel, nous nous voici contraints d’enfiler la combinaison, de mettre le masque sur le visage et d’ajuster avec précision tout cet appareillage. Et les relations entre les personnages sont du même acabit : tout est relaté avec détail, avec méticulosité, avec une ennuyeuse netteté. Evidemment tout est compliqué, sinon il n’y aurait pas tant de pages. Sven et son amie Antje se sont mis en couple (comme on a l’usage de le dire aujourd’hui) et ont décidé de quitter le monde moderne (agité, motivé par le gain et la réussite) de la ville pour aller vivre au bord de la mer, sur une île baptisée Lanzarote. Ils y vivent avec délectation en enseignant aux touristes les joies de la plongée sous-marine. Soit. C’est alors qu’arrive un couple d’inconnus disposés à s’inscrire à leur école. La femme est jeune, belle, attirante. Elle travaille pour une série télévisée qui justement fait l’apologie de la première plongeuse pendant les années quarante. Elle se nomme Jola. Elle vit avec un écrivain qui n’a pas connu le succès et qui ne vit pas trop bien son échec, Theo. C’est alors que notre jeune auteur tudesque imagine un jeu pervers, qui ressemble beaucoup, mais vraiment beaucoup et franchement trop aux Liaisons dangereuses. Et les choses se terminent de manière bizarre puisque Antje va s’éprendre de l’homme âgé et usé, qui paraît alors tel le phénix renaissant de ses cendres, puisque Jola a vampirisé, comme on devait s’y attendre, Sven. Tout cela est assez pénible à lire car, parvenu au tiers de l’ouvrage on a compris déjà tout ce qui allait suivre. Et on songe combien de fois encore on allait descendre dans les profondeurs, combien de bulles allient remonter à la surface et aux scènes érotiques à plusieurs dizaines de mètres sous la surface. Tout est construit à la hache, un peu comme une série de la télévision justement, avec un rien d’érotisme et une touche de psychanalyse, mais pas trop pour ne pas dérouter le lecteur. C’est un roman de plage, tout bien pensé, qu’on doit lire les palmes aux pieds.
Confiteor, Jaume Cabré, traduit du catalan par Edmond Raillard, actes Sud, 780 p., 26 €.
Voici longtemps que je n’avais pas eu entre les mains un roman ayant une ambition digne des plus grands écrivains du XIXe siècle. Confiteor a pour héros (ou plutôt, comme guide), Adrià Ardévòl, un héritier d’une bonne famille de Barcelone. Deux ambitions s’impose à lui : devenir polyglotte et même devenir un linguiste distingué et devenir un violoniste virtuose (ça, c’est la volonté de sa mère). Il nous entraîne dans on univers qui devient sans cesse plus complexe, car il s’étend à toute l’Europe, mais aussi à des époques différentes. Ainsi nous découvrons les secrets de sa famille (avec de nombreux cadavres dans le placard), des heures sombres de l’Inquisition à la dernière guerre mondiale (il est beaucoup question de Dachau et d’Auschwitz), les exactions des Dominicains étant d’ailleurs mis en parallèle avec celles du régime nazi. Résumer cette histoire serait absurde. Elle peut d’ailleurs se lire de plusieurs façons, en prenant par exemple le violon de grande valeur comme fil rouge. C’est une véritable construction labyrinthique qu’a su édifier Jaume Cabré qui révèle des dons remarquables de narrateur. Il est capable de faire une œuvre qui ait du souffle, ce que nous n’avons plus vu depuis des lustres avec un luxe baroque de détails, de révélations, de rebondissement. Ce n’est pas Guerre et paix ni Crime et châtiment, mais c’est tout de même un roman très original, singulier, toujours passionnant de bout en bout. On peut lui reprocher que de minces facilités et des concessions inutiles à une modernité de façade.
|