On annonce, pour ce jeudi 28 janvier, l'ouverture d'une exposition de Philippe Friedberger à la galerie Etienne de Causans (25 rue de Seine, Paris). C'est une bonne nouvelle pour ceux qui n'ont pas renoncé à aimer une certaine peinture, abstraite en l'occurrence, qui défie la succession des modes anti-peinture. Je me souviens avoir visité l'atelier de Friedberger il y a quelques années. J'avais été frappé par deux grands diptyques, l'un à dominante bleue, l'autre à dominante rouge-orangé. Ces deux vastes compositions étaient, à l'évidence, abstraites, mais ce n'était pas assez dire : elles s'imposaient à moi, avant toute chose, comme des objets esthétiques. Elles ne s'adressaient pas à ma volonté pour l'avertir, ni à mon intelligence pour l'instruire : elles n'évoquaient rien du « réel », et si elles avaient un rapport au réel, ce n'était en aucun cas pour l'imiter. Là me semblait se situer la position de Philippe Friedberger par rapport au réel : s'il s'en inspirait, c'était pour le refaire. Ses peintures, que l'on va pouvoir revoir ou découvrir, ne sont pas au service du monde, mais au principe d'un monde qui leur est propre. Il faut savoir se retirer des contingences pour parvenir à cela, et je comprends pourquoi l'artiste dit volontiers qu'il est « un ermite ». C'est que, comme souvent, l'objet esthétique tend à échapper à l'histoire, il n'est généralement pas le témoin d'une époque historique donnée, mais bien la source de son propre monde et de sa propre histoire.
Les peintures de Friedberger sont essentiellement justiciables d'une vérité particulière : celle de leur contenu. Le monde selon ce peintre n'est pas « représenté », il est « exprimé » (mot souvent employé à tort et à travers en matière d'art). Disons tout de suite que si ce peintre était figuratif (cela lui est d'ailleurs arrivé, et encore aujourd'hui, il ne dédaigne pas d'insérer des portraits dans son oeuvre), il ne représenterait que pour s'exprimer. Exprimer quoi ? L'art ne peut être vrai, comme la science, en démontrant : il ne peut que montrer. Or la grande affaire, pour Friedberger, concerne l'espace et le temps. Le contenu de ses tableaux, c'est une réflexion sur la spatialité et l'écoulement temporel qui rejoint les véritables préoccupations des maîtres des temps passés. Les tableaux de Philippe Friedberger ne se contentent pas de chercher à extérioriser le mouvement : leur principe est à l'intérieur d'eux-mêmes. Ils seraient proches alors de la musique dont le mouvement n'est pas fuite hors de soi, mais déploiement d'une temporalité.
Est-il absurde de songer, devant le grand diptyque rouge-orangé (Sans titre, 2010) ou l'huile sur toile Mouvements de 2015, aux compositions giratoires de Rubens où tout est rassemblé, où tout converge pour la résolution des accords ? L'art, d'une manière générale, ne saurait être lui-même qu'en renonçant à imiter le caractère de réalité du réel. Dans l'art abstrait selon Friedberger, ce que le tableau suggère du réel ne se cristallise pas en représentations, mais l'espace s'ouvre à une dimension temporelle que l'on ne peut comprendre ou deviner que par analogie avec la musique. L'allégresse exprimée par telle fugue de Bach nous ouvre bien à un monde « réel ». Or il n'y a pas d'images pour peupler ce monde, ni de concepts pour le visiter alors qu'il est incontestablement « vrai ». Ainsi est vrai le contenu des tableaux de Philippe Friedberger, qui se résume pour moi en une allégresse mystérieusement devenue communicable.
www.philippefriedberger.com
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