Il y a cinq ans déjà, je me réjouissais d'une exposition posthume de Naccache à Saint-Jean-de-Luz en regrettant son absence prolongée à Paris, sa ville. Or voici qu'aujourd'hui, enfin, son oeuvre redevient visible dans la capitale sous le signe de « l'amour, la liberté » (un beau diptyque de son ultime période) à la galerie Gare de Marlon, 19 rue de la Verrerie, jusqu'au 19 mars. J'en profite pour répéter, à l'intention du lectorat fortement renouvelé et augmenté de cette lettre entretemps, ce que j'écrivais en 2011.
Edgard Naccache, mort en 2006, n'était pas seulement un excellent peintre, sensible et imaginatif, il était aussi, à l'évidence, selon le jugement précis et documenté de Gérald Gassiot-Talabot en personne, un membre historique de la Figuration narrative. Dans un important texte publié dans le livre Depuis 45 à Bruxelles en 1970, le théoricien de la Figuration narrative revenait sur le passé récent : l'exposition fondatrice de 1965 en particulier (La Figuration narrative dans l'art contemporain), où il avait invité Edgard Naccache. Il situait ce dernier parmi les peintres de « l'impulsion graphique », avec notamment Foldès et Voss, c'est-à-dire parmi les principaux précurseurs du mouvement pictural appelé au brillant avenir que l'on sait. Dans mon livre consacré à la Figuration narrative (Cercle d'Art, 2005), je n'avais pas manqué de placer côte à côte des reproductions des Petits pois de Foldès (1965) et de la Marelle des métamorphoses de Naccache, un chef d'oeuvre de la même année qui avait passionné Gassiot-Talabot. Ce dernier y avait vu une pratique exemplaire de la « figuration évolutive » et de la « narration par juxtaposition » : évolutif en effet, Naccache l'était par les pistes qu'il dessinait entre les différents moments du jeu de marelle. Inventeur de la juxtaposition temporelle, il l'était encore par le recours au collage de coupures de journaux qu'il emploierait durant toute sa carrière.
Or si l'on demande le nom de Naccache à la banque d'images de la Réunion des Musées Nationaux, on se heurte à la mention : « désolé, anonymus. Aucun document ne correspond... » C'est simple : les musées nationaux ont « oublié » d'acquérir des oeuvres du peintre. De même, si l'on consulte le catalogue de l'exposition organisée par le Centre Pompidou au Grand Palais en 2008 sous le titre Figuration narrative, on n'y trouve pas davantage Naccache, écarté par le commissaire comme il avait été négligé de son vivant par les institutions. Cette injustice, cette suffisance des officiels ignorants qui ont le pouvoir de faire disparaître de l'histoire non seulement des créateurs de talent, mais encore des acteurs importants présents au tout début d'un mouvement essentiel de l'art moderne, cette injustice me révolte. Edgard Naccache était à la fois un créateur de grand talent et le précurseur d'un mouvement historique. Il faut décidément lui rendre justice.
C'est pourquoi on doit saluer l'initiative de la galerie Gare de Marlon. Serait-ce le début d'une véritable reconnaissance ? Il faut être prudent avant de répondre : Naccache avait eu une belle rétrospective au château-musée de Cagnes-sur-Mer en 1990. Gérald Gassiot-Talabot en avait naturellement rédigé la préface, dont voici les dernières lignes : « Quarante ans de création, présentés en un magistral survol, proposent les clés d'une vie en peinture, sans rupture, sans cassure. Tout découle d'une intuition originelle très forte, qui a tenu, jusque dans ses dépassements et ses transgressions. » Cela n'avait malheureusement pas été suffisant pour changer le cours des choses, c'est-à-dire le maintien dans une ombre relative d'un talent éclatant. Quand on regarde rétrospectivement le courant de la Nouvelle figuration en France du milieu des années 60 à nos jours (dont la Figuration narrative forme le noyau dur), on rencontre d'autres cas de peintres qui ont disparu sans avoir atteint le niveau de notoriété et de reconnaissance que méritait leur oeuvre. Justement, en ce moment même et jusqu'au 13 mars, Robert Bonaccorsi rend hommage à plusieurs d'entre eux dans son exposition Pour/Suivre à la Villa Tamaris de La-Seyne-sur-Mer. Il s'agit en particulier de Christian Babou, Jacques Poli, Emanuel Proweller et Michel Tyszblat. Tous des amis d'Edgard, qui comme lui ne perdirent jamais l'envie de peindre malgré l'indifférence des officiels. Gardons précieusement leur mémoire et, si possible, défendons-là.
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