L'exposition rétrospective de Gérard Fromanger au Musée National d'Art Moderne (jusqu'au 16 mai) fait un tabac. Cela a commencé par un vernissage époustouflant, le 16 février, en présence du Président de la République, de la toute nouvelle ministre de la Culture Audrey Azoulay dont c'était la première sortie publique, de plusieurs anciens ministres et premier ministre (Lionel Jospin était là), mais aussi de certains des artistes historiques qui accompagnèrent les débuts fracassants de Fromanger à l'Atelier populaire des Beaux-Arts en mai 68 : Rougemont qui rapporta d'Amérique la technique de la sérigraphie permettant d'inonder la France de dizaines de milliers d'exemplaires d'affiches politiques, ou Eduardo Arroyo, alors jeune Espagnol anti-franquiste dont les fresques violemment politiques avaient été capables de déstabiliser André Malraux. Depuis ce vernissage, les articles de presse et les interventions de l'artiste dans les radios et les télévisions sont innombrables. La foule envahit chaque jour le quatrième étage du Centre Pompidou, une foule composée majoritairement de jeunes. Que viennent-ils donc chercher là ?
Si j'en juge d'après le témoignage de mes étudiants, ils veulent d'abord tout savoir de la carrière du « peintre charismatique » (comme l'a dit François Mitterrand). Chronologiquement, l'exposition commence avec un dessin de 1957 intitulé Irène. Un nu bien enlevé, à la manière de Giacometti. On se souvient que Fromanger a ressorti pour la première fois ses dessins de nus des années 57-62, ceux de ses vingt ans, à l'occasion d'une exposition, il y a seize ans, dans le petit musée dit Les Chemins du Montparnasse. Il avait invité une artiste de vingt ans, Hélène Tilman, qui montrait à côté de lui ses propres oeuvres, des photos d'elle nue dans les rues nocturnes de Paris ou Londres accompagnées de poèmes beaux et tragiques. Je signale ce fait parce qu'il témoigne de la générosité de Gérard Fromanger à l'égard des jeunes. Une générosité comparable à celle qu'ont eue pour lui Jacques Prévert, Michel Foucault, Gilles Deleuze ou Félix Guattari, les grands amis disparus sans qui Gérard ne serait pas devenu ce qu'il est aujourd'hui, et qui tous ont leur portrait dans l'exposition.
Mais les jeunes cherchent autre chose ici, à travers la formidable explosion de couleurs. Il y a d'abord le fameux rouge (le « rouge Fromanger » disait Prévert), le rouge coulant à l'intérieur des drapeaux, le rouge des figures du Boulevard des Italiens magnifiquement commenté par Foucault, mais aussi toutes les couleurs de l'arc en ciel (Fromanger a intitulé une de ses expositions, au musée Estrine de Saint-Rémy de Provence, « L'écharpe d'Iris »). Cette déflagration qui envahit toute l'exposition est énergie, vitalité, elle est - malgré la gravité de certaines oeuvres comme De toutes les couleurs, peinture d'histoire, 1991-1992 ou Peinture-Monde, Carbon black, 2015 - actes d'espoir et de confiance dans la vie. Exactement le contraire des sombres macérations peintes par Anselm Kiefer, visibles au sixième étage du Centre. En fait, Gérard Fromanger a inventé, depuis 1965 avec son célèbre Prince de Hombourg, l'antidote à un certain jansénisme qui est depuis des siècles la pathologie de la société française. Le jansénisme est essentiellement un pessimisme pesant sur le coeur humain, un soupçon permanent. Fromanger, figure exemplaire de la révolte de 68, avait autour de lui des jeunes qui, au fond, a observé le théologien Matthieu Rougé, voulaient « repousser cet esprit janséniste maléfique ». Leurs fils et petits-fils veulent plus ou moins confusément la même chose : l'exaltation de la générosité, de la vie et de la liberté qui émanent de toute la peinture de Gérard Fromanger. Ce dernier a parlé de la « contradiction entre la vie et l'art » qui existait avant 1968. Récemment, il pensait qu'aujourd'hui cette contradiction « passe pour une vieille lune ». Objection : elle est encore là, et c'est toujours sur lui que l'on compte pour résister. Surtout les jeunes.
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