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[verso-hebdo]
17-03-2016
La chronique
de Gérard-Georges Lemaire
Chronique d'un bibliomane mélancolique

J'aime les panoramas, sous la direction de Laurence Madeleine et Jean Roux, Mucem / Flammarion, 256 p., 39,90 euro.

Les panoramas ont été l'une des grandes affaires du XIXe siècle. A une époque l'on commence à faire voyager les grands tableaux qui ont connu un succès retentissant à Paris ou à Londres pour qu'ils puissent être admirer du public à l'étranger. Les premiers panoramas apparaissent à la toute fin du XVIIIe siècle. La rotonde panoramique fait sensation dans la capitale britannique en 1790. En réalité, il faut remonter jusqu'en 1670 pour que James Cook en jette les fondements avec ses relevés scientifiques de la Nouvelle Hollande. Puis, le Grand Tour, qui est d'abord une découverte du monde antique en Italie et des grandes créations de la Renaissance, incite à produire des visions panoramiques des paysages traversés. Il y eut en 1776 un précédent notoire avec l'idée d'un panorama circulaire et panoramique. Quoi qu'il en soit, Robert Barker, peintre, miniaturiste et portraitiste, s'intéresse à la question après avoir parcouru les montagnes autour d'Edimbourg, réalise en 1795 le « Combat naval de Spithead » et, plus tard, la « Bataille navale d'Aboukir » où la flotte française est vaincue par les Anglais. Le mot panorama a d'ailleurs été forgé par les Anglais à deux racines grecques. En 1801, Napoléon visite le nouveau : panorama du boulevard des Capucines dont le sujet est : « L'Evacuation de Toulon par les Anglais peint par Pierre Prévost. C'est David qui est chargé du rendu pictural de la première victoire de l'empereur. Prévost fera ensuite un panorama de Jérusalem. Cet engouement pour ce genre de spectacle ne cesse de croître et, à l'exposition universelle de Chicago en 1893, l'une des attraction les plus visitées et le panorama des alpes. A peu près à ce moment, les artistes Giovanni Segantini et Cuno Amiet développent le projet d'un panorama de l'Engadine. Sur ces entrefaites, la photographie ne cesse de décupler ses possibilités et on imagine des appareils photopanoramiques. Ce catalogue nous fait découvrir toutes les formes de panoramas car les sujets se diversifient et on peur contempler les grands événements de l'histoire aussi bien à La Haye qu'à Lucerne ou à Wroclaw en Pologne. Le panorama de Lourdes montre que la religion s'est à son tour appropriée ce moyen de communication aussi plaisant que didactique. Le siècle dernier voit l'apparition de formes plus modernes, comme le diorama, la stéréographie et aussi le cinéma à écran large et courbé, qui enveloppe en parties spectateurs (ce furent le Cinérama américain et le Kinopanorama qui connurent une grande vogue à Paris pendant les années 60). Enfin on peut faire des vues panoramiques cylindriques avec les appareils photographiques. Josef Sudek en a réalisé un certain nombre de panoramas urbains à Prague à partir de 1940 et a continué après la guerre. Ce catalogue est très complet et renferme une importante iconographie choisie avec beaucoup de discernement.




Ombres portées, E.-H. Gombrich, préface de Neil Mac Gregor et introduction de Nicholas Penny, « Art & artistes », Gallimard, 112 p., 20 euro.

Ernst Hans Josef Gombrich est né en 1909 à Vienne. Il fut l'élève de Schlosser et fit sa thèse sur Jules Romain. En 1936, il s'installa à Londrès pour travailler au Warburg Institute. Il ne quitta plus l'Angleterre et y mourut en 2001. Il a rarement quitté le territoire qu'il avait choisi, celui de la renaissance. Mais il s'est montré un grand pédagogue, la plupart de ses livres s'adressant plus au profane qu'aux spécialistes. Son Histoire de l'art (1950) en est la preuve, comme Art et illusion. Ce livre ne fait pas exception à cette règle : il a su y expliquer avec simplicité et clarté les éléments fondamentaux de cette révolution esthétique. Il en appelle d'ailleurs au sens de l'observation et au simple bon sens de son lecteur : il lui demander d'observer les mouvements de son ombre le soir sous l'éclairage urbain. Petit à petit il montre comment les ombres ont pu avoir une autre existence dans les mythes antiques, dans la religion chrétienne. Puis il rappelle la naissance du trompe-l'oeil avec l'invention de la skiagraphia chez les Grecs anciens : ce fut une transformation fondamentale, car avec le rendu des ombres pouvait se faire celui du volume. Sans vouloir élancer dans une histoire des ombres dans la peinture occidentale, il se contente d'observer ce qu'en disait Léonard de Vinci, qui préconisait de ne pas l'accentuer, mais au contraire de la rendre avec la plus grande légèreté possible (il ne cite par contre pas le passage où l'artiste voulait qu'elle soit rendue par la couleur bleue, ce qui aura une influence considérable sur les impressionnistes, à commencer par Renoir). Il donne ensuite deux exemples, celui du Caravage, celui des ténébristes à sa suite, et celui de Francesco Guardi en un siècle où les peintres recherchaient une plus grande homogénéité chromatique. Dans la seconde partie, il commente un certain nombre d'oeuvres d'Holbein à Tiepolo, de Rembrandt à Ruisdael, de Gérôme à William Holman Hunt. C'est un petit vadémécum à l'usage des amateurs d'art, qui permet de comprendre les principales manières de montrer les ombres dans un tableau. Curieusement, il ne parle par des boîtes obscures, qui ont servi aux artistes pour reproduire la réalité avec précision la réalité physique de leurs sujets, mais aussi de pouvoir localiser sans se tromper le jeu des ombres. Quoi qu'il en soit, ce texte écrit pour une exposition qui lui était dédiée en 1995 à la National Gallery de Londres n'est qu'une esquisse, mais de la plus haute utilité pour affronter cette question qui a été l'objet de nombreuses disputes et de diverses théories.




Mariani chez Capucci, sous la direction de Giuliano Serafini, Skira, 96 p., 26 euro.

Cette exposition est née de la rencontre entre le peintre lombard Umberto Mariani et le grand couturier Capucci, qui a créé sa fondation au sein de la villa Bardini à Florence. Cette entente entre l'artiste et le styliste repose le fait que l'un et l'autre utilisent le plissé comme fondement de leur langage. Mariani, dès ses débuts avec ses oeuvres figuratives, éprouve une grande fascination pour les plis des vêtements antiques, sans doute une fascination née à l'Accademia di Belle Arti de Brera à Milan. Mais c'est aussi un pensée sur le volume, l'espace, le jeu de la lumière, l'histoire, et ainsi de suite. Ce n'est pas pour lui une simple solution formelle. Quand il abandonne la figuration et se lance dans une aventure abstraite, le pli demeure le point de départ de sa réflexion picturale. Il a cherché le moyen technique de rendre la fluidité du drapé et il l'a finalement trouvé par l'usage du plomb, le métal le plus lourd ! Le paradoxe est frappant, mais l'effet est superbe. D'autre part, il a fait un usage assez important de la monochromie (des blancs, des noirs, des bleus, des rouges, puis de l'or fin. Il lui est arrivé de faire des ouvrages bicolores et aussi d'autres avec objets collés sur la surface de la toile. Et je mets de côté la série des autobiographiques, qui sont ses récits de voyage condensés dans l'apparition en lettres majuscules recouvertes de feuilles de plastique transparentes. Ce qui apparaît dans cette exposition d'oeuvres récentes, c'est qu'Umberto Mariani n'a cessé de faire évoluer sa recherche plastique. Les compositions avec les plis peuvent être divisées en deux parties symétriques, ou encore utiliser plusieurs formes géométriques simples. La forme des tableaux peut être traditionnelle (carrée ou rectangulaire), mais aussi former un triangle isocèle sur le mur, engendrer de léger décalage dans la symétrie. Les cadres jouent eux aussi un rôle dans l'intelligence de sa conception de la peinture. En outre, il réalise de grandes pièces où il allie le blanc et le marron, qui montre qu'il a toujours eu le désir de réaliser des ouvrages qui soient des scénographies jouant avec les perspectives plus ou moins truquées. Ce qui frappe le plus dans les salles d'exposition, ce sont les tableaux avec un plissé qui se déroule verticalement et de manière délibérément irrégulière (il y a un bleu et un jaune indien) et un grand tableau de 2015 où il allie le blanc et le noir par alternance de triangles renversés ou non ; celui du centre (noir) est plus haut que les autres et donc ne cesse de remettre en cause les codes de la peinture, mais pourtant vouloir provoqué une rupture tapageuse, mais comme logique conséquence de ses extrapolations toujours plus belles et inventives. Umberto Mariani s'affirme désormais l'un des plus grands peintres qui travaille dans l'optique d'un renouvèlement radical des modalités de l'art abstrait. Ces pages ne révèlent pas tout ce qu'il a pu envisager ces dernières années et il nous réserve pour l'avenir proche encore bien des surprises.




Belles de jour, sous la direction de Blandine Chavanne, Palais Lumière Ville d'Evian / Snoeck, 164 p., 35 euro.

L'idée peut semble curieuse, mais elle se révèle finalement intéressante. Cette exposition présente un grand choix d'oeuvres représentant exclusivement un choix des figures féminines des collections du musée des Beaux-arts de Nantes. Il tombe sous le sens que l'image de la femme a évolué dans le temps, à cause des transformations de la société (à commencer par la mode, mais aussi dans la réalité et l'imaginaire sociale et esthétique) et à cause des transformations propres à l'art. Même au cours d'une période aussi brève, la vision qu'on a pu avoir de la femme a changé de manière vertigineuse. Les deux premiers numéros qui nous sont présentés sont très étranges car ce sont des tableaux d'auteurs peu connus. Le premier est l'oeuvre de Jean-Louis Hamon (1821_1875), qui présente une jeune mère étendue sur une méridienne avec son nouveau-né. Le décor est un intérieur bourgeois que le peintre a rendu en élimant le plus possible d'éléments anecdotique et en lui donnant ainsi une apparence classique. Le fond est noir et seul un grand livre ouvert introduit une unique distraction iconographique. Le second est une mythologie de Henry- Pierre Picou (1824-1895) intitulé La Bonne aventure. Le sujet aurait pu être élu par un peintre du XVIIe siècle, mais l'auteur a choisi de lui donner un cadre antique. C'est ce curieux mélange de références historiques qui fait de ce tableau une curiosité, d'autant plus que tous les personnages au premier plan sont féminins (on ne voit qu'un homme dans le fond à gauche, qui travaille à la sculpture d'une divinité avec un serpent enroulé autour de son bras). Suivent des portraits de Jules-Elie Delaunay et surtout la célèbre Charlotte Corday (1860) de Paul Baudry. Plus loin, nous découvrons un magnifique portrait de Lady Frances Balfour signé par Edward Burne-Jones qui est remarquable où ressortent la chevelure rousse du modèle sur un fonde rosé qui est très voisin de la couleur de sa robe. Autre ouvrage remarquable, L'Esclave blanche (1888) de Jean-Jules- Antoine Lecomte de Nouy une des rares peintures d'inspiration orientaliste de l'époque qui possède une once de poésie et de singularité. Le réalisme s'impose avec Roll (Retour du bal, 1886) et Bridgman (Le Tennis à Dinard, 1891) et encore plus, avec la bizarrerie qui était propre à cet artiste, avec la Maternité d'Eugène Carrière. Bien sûr, il n'est pas possible de reconstituer avec ces éléments une histoire de la femme dans la peinture surtout pendant les transformations profondes qui commencent avec Courbet, Manet et les impressionnistes. Mais quelques moments nous sont proposés comme Soir de septembre (1911) de Maurice Denis, le Portrait de la comtesse Anna de Noailles (1912) de Jacques-Emile Blanche, la Femme lisant aux seins nus de Félix Vallotton, La Baigneuse de Suzanne Valadon (1923), La Brodeuse de Paul Sérusier (1925-1927), sans parler des belles toiles d'Edgard Maxence, l'enfant du pays nantais, qui fut un symboliste des plus remarquables. Un bien curieux Van Dongen, une surprenante Liseuse aux cheveux blancs (circa 1922) de Maria Blanchard et la Judith (1931) de Marie Laurencin complètent ce panorama. Un Nu jaune (1908) de Sonia Delaunay de facture expressionniste assez frappante et la superbe composition de Tamara de Lempicka, Kizette en rose (1927) concluent ce voyage au sein d'une riche collection provinciale. Impossible de tirer une leçon de cette promenade dans le temps de la femme. Mais on peut d'ores et déjà se demander à partir de toutes ces visions de la femme que l'idéal cède souvent le pas aux lois de l'art. Le sujet est source d'inspiration, mais le vrai désir et dans la construction de sa représentation.




Conserver / Restaurer, Jean-Pierre Cometti, « nrf Essais », Gallimard, 320 p., 23 euro.

Le sous-titre de cette étude, « L'OEuvre d'art à l'époque de sa préservation technique » est un peu trompeur. Bien sûr, la première partie de ce livre est consacrée à comprendre tous les mécanismes (assez complexes) qui président à la conservation et à la restauration d'ouvrages de ces dernières décennies, et qui sont loin du tableau ou de la sculpture du temps jadis. Mais l'auteur n'a pris en considération que le tableau comme paradigme : il oublie les retables, qui sont le fruit de la collaborations de plusieurs corps de métier, les ouvrages sculptés ou recouverts de métal et historiés, comme certains autels médiévaux ou de la renaissance, même de la période baroque. En somme, sans entrer dans les détails de la question, la restauration de ce genre de productions sophistiquée requiert des moyens techniques complexes. Même la restauration d'un panneau sur bois ou d'un bronze requiert des techniques et aussi des technologies avancées - j'ai eu le privilège de suivre à Rome la restauration de la célèbre statue de Marc Aurelle. Vue de près, la surface du bronze présentait une multitude de problèmes, d'aucuns se révélant ardus, avec une stratifications d'attaques du temps, des intempéries, de la pollution, etc., tout cela à des époques différentes. Je ne crois pas qu'une sculpture avec des matériaux naturels de Jasper Johns ou une installation de Gillardi en mousse compensée soit plus difficile à gérer de ce point de vue. La conservation est peut-être un point plus délicat, car, avec le temps, les responsables des musées ont appris à protéger les pièces entreposées dans les réserves selon leurs qualités respectives. Le présent présente une telle diversité de situations, parfois hautement improbables, que le métier de conservateur devient de plus en plus spécialisé et représente un champ miné. Jean-Pierre Cometti a rappelé avec justesse la fameuse performance de Joseph Beuys réalisée à la Documenta de Cassel en 1972 - La Rose pour la démocratie. Il changeait la rose chaque jour ! Il a eu raison de souligner ce lièvre, mais est-ce vraiment un problème ? Non, parce que les performances sont par définition éphémères. Leur mise en scène peut-être éventuellement reconstituée. En général, nous les connaissons par le biais de la photographie ou du reportage filmé. Ensuite l'auteur s'interroge sur le terme « art contemporain qui, c'est vrai, soulève bien des questions. Dommage qu'il ne soit pas allé au bout de sa réflexion. Ensuite il revient sur sa problématique initiale pour parler des questions de la conservation des objets ethnographiques. Ce qu'il en dit est pertinent, mais manque l'essentiel : au-delà des méthodes (donc des opérations techniques) que sens donne-t-on à ces ouvrages ? On a l'impression, et cela jusqu'à la fin du livre, qu'il a ouvert pour nous un immense chantier et que les choses sont restées en suspens. Dommage car c'est un sujet des plus passionnants.




Jeunes loups, Colin Barrett, traduit de l'anglais (Irlande) par Bernard Cohen, Rivages, 21 euro.

Colin Barrett, un jeune écrivain irlandais nous introduit dans le petit monde des jeunes gens d'une petite ville de province, qui ne semble n'a rien de particulier, sinon d'appartenir au bel aujourd'hui. Il nous parle du destin d'adolescents qui ressemblent à bon nombre de leurs semblables en Europe. Ils sont sur le point de franchir la ligne de démarcation qui les sépare de l'âge adulte, avec tout ce que cela implique. Au fond, l'auteur retrouve l'esprit des Young Angry Men des années soixante (John Osborne, Sillitoe), et le transpose à notre époque. Mais il le fait peut-être avec un sens plus aiguisé de l'art romanesque. Tout d'abord il jette pardessus les moulins le lourd héritage de Charles Dickens, car la l'une des grandes orientations de la littérature anglo-saxonne a été de relater et d'expliquer ce qui, pendant l'enfance, force le caractère de l'individu considéré par l'écrivain et détermine son destin. Le social et le psychologique sont les deux mamelles de cette littérature et Colin Barrett ne tombe pas dans ce piège. Ses personnages sont des gamins qui sont un peu des fauves lâchés dans la nature, mais aussi des êtres doués de sentiments et de passions, pas de pures « victimes du système ». Il y a dans leur existence des vides, des zones dangereuses, des chutes, mais aussi des moments émouvants. De plus, il possède un style vivant, rapide, captivant. Ce qui est curieux dans ce livre, c'est le mélange de ce qui appartient à l'héritage culturel vernaculaire de l'Irlande (le pub reste le centre de presque toutes les relations humaines) et ce que la modernité a pu apporter (ces changements ne sont pas indifférents). C'est un peu la même chose dans les histoires des personnages, qui pourraient avoir un pied à l'époque de Joyce et l'autre, dans celui que nous vivons. Mais en sachant composer ses scènes avec une grande concision, qui est remarquable, en campant des personnages crédibles, sans trop de qualités, mais qui ne laissent pas indifférents, mais sans entrer dans les détails de leur existence, en cherchant toujours de restituer ce rythme de vie qui est bien différent, Colin Barker est parvenu à écrire un roman qui a un ton neuf, tout en conservant une identité irlandaise bien marquée et souvent drôle. Voilà un écrivain que nous devrons suivre de près !




L'Art d'aimer, Folio, 112 p., 2 euro.

Cette petite anthologie fait suite à une autre publiée chez le même éditeur sur le baiser ! Ce qui la rend amusante, c'est que l'Art d'aimer de Virgile n'y figure pas ! Mais on y croise Choderlos de Laclos, de Maupassant, de Louis Calaferte, mais aussi des Mille et une Nuits, de Tristan et Yseut et de marcel Proust, de Stendhal et d'Albert Cohen. Il faut prendre cet opuscule pour ce qu'il est : il n'a aucune velléité d'exhaustivité et en destiné au pur plaisir de la lecture en voyage ou lors d'un weekend paisible ; mais il a tout de même le mérite de faire redécouvrir des textes qu'on n'aura pas nécessairement lu ou qu'on a lu, mais un peu oublié ! Et le sujet reste d'actualité, malgré les nombreuses mutations des moeurs !




Comment Blandin fut perdu, Jean-Philippe Jaworski, Folio, 144 p., 2 euro.

On peut d'abord s'étonner que ces deux récits aient été publiés dans une collection de science fiction ! Le premier, Montefellòne, relate l'histoire d'un siège qui, tourne, malgré toutes les apparences, au bénéfice des assiégés. Ce qui est très singulier dans cette histoire, c'est la volonté de l'auteur de rendre son langage aussi médiéval que ses soudards et chevaliers ! Mais cette obscure expédition guerrière, décrite avec soin et ce goût curieux mais louable de langage (récupéré ou réinventé), aussi agréable soit-elle à lire, ne nous dit pas grand chose. En revanche l'histoire du jeune enlumineur Blandin, qui est parti avec son aîné le peintre Albinello, car son amour excessif pour une belle moniale le fait chasser du monastère où il achevait son apprentissage. Cet amour le hante et sera un obstacle à son accomplissement de peintre. C'est un assez joli récit, là encore bien écrit, médiévalisant, qui n'a pas grand d'original, mais qui réussit toutefois à nous conquérir.




Infiniment proche et Le Désespoir n'existe pas, Zeno Bianu, préface d'Alain Borer, « Poésie », Gallimard, 336 p ., 8,60 euro.

La longue préface d'Alain Borer est originale, percutante, sagace, érudite, inspirée parfois, et même inattendue. Elle rend tangibles tous les tenants et les aboutissants de la poésie de Zeno Bianu - peut-être même trop. Je pense qu'il faut la lire après avoir lu les poèmes de ce dernier. Trop d'explications et de références risquent fort de le perdre dans le dédale de l'écrit. Ses digressions alambiquées et ses explications labyrinthiques sont passionnantes, mais doivent aider a posteriori construire les impressions qu'on a pu se faire après avoir lu cette partie de l'oeuvre de l'auteur pas assez bien connu du public. Celui-ci est pourtant capable de créer un microcosme avec les mots qui est d'une haute éloquence avec un minimum de mots et sans aucune emphase. Dans le premier livre de ce recueil, Infiniment proche, la forme surprend, c'est vrai : il a puisé dans l'insondable réservoir de la poésie extrême-orientale, en recherchant une forme encore plus brève que celui du haïku, puisqu'elle se limite à des strophes de deux vers. Ce dispositif minimaliste lui permet néanmoins de condenser une pensée qui est transmise par la fusion elliptique de plusieurs idées ; et la méthode se révèle belle et efficace : la condensation est telle qu'elle donne un poids à l'enchaînement des si courtes séquences. Bianu parvient à restituer la complexité de ses visions et de sa démarche intérieure en réduisant l'espace expressif de sa pensée - avec une réussite incontestable. Dans le Désespoir n'existe pas, il fait au contraire appel à de nombreuses modalités de l'art poétique. Il commence par exposer ce que la poésie peut et doit être, non pas dans un sens abstrait, mais telle qu'elle se joue pour lui, dans son intimité, dans un frémissement léger et un déchirement plus profond de son être. Chacune des parties de ce volume là est une façon de décrire et de circonscrire les contours de cette vie de la poésie, qui ne cesse pas un instant de se reformuler et de se métamorphoser. Des écrivains comme Antonin Artaud, des peintres comme Yves Klein ou Roberto Matta sont convoqués à ce banquet jouissif mais teinté d'une vague inquiétude. Mais Bianu associe toujours ses interrogations sur l'écriture dans le rapport qu'il aime établir entre la poésie, les formes picturales et les objets qui lui servent de support à sa méditation à voix haute.




6 Moments musicaux, Hoffmann, Janin, Balzac, Berlioz, Sand, dossier réalisé par Sylvain Ledda, Folio plus « classiques », 240 p., 7,10 euro.

Si les écrivains se sont montrés particulièrement prolixes à propos es arts plastiques, surtout au XIXe siècle, le siècle qui nous intéresse ici, ils n'ont pas été aussi inspirés par la musique. En plus de l'intérêt intrinsèque de ces nouvelles, qui sont toutes attachantes, ce recueil nous réserve une surprise : celle delà place qu'avait pu prendre alors la littérature d'Hoffmann. La nouvelle de Jules Janin s'y réfère et s'offre comme son complètement. Il faut dire que « le Chevalier Gluck » est une histoire assez frappante, qui touche à plusieurs registres de la question musicale en son temps. Janin introduit la figure fascinante du violoniste virtuose Paganini. La présence d'Hector Berlioz peut surprendre car bien peu savent que le grand compositeur aimait écrire et le faisait à merveille. L'histoire du « Harpiste ambulant » est curieuse et bien tournée et là encore le souvenir de Paganini s'impose sous la plume de l'auteur. Quant à George Sand, elle est fidèle à elle-même et, grâce à son don de conteur, elle fait état d'un pianiste auvergnat qui relate comment il en est venu à devenir musicien. Mais, bien sûr, c'est Honoré de Balzac qui subjugue plus sue les autres avec Gambara, qui est le récit d'un conflit datant de près d'un siècle opposant les partisans de la musique italienne et ceux de la musique française ; En fin de compte, cette mince anthologie se révèle pleine de surprise et de découvertes pour le lecteur car aucun de ces textes n'est exclusivement apologétique. Ce sont des histoires qui peuvent exalter le génie de tel compositeur ou de tel interprète, mais aussi montrer les aspects les plus curieux d'un esprit musical.




Histoire du petit mousse, Karen Blixen, traduit de l'anglais par Marthe Metziger, Folio, 112 p., 2 euro.

La baronne Karen Blixen (1885-1962) a deux visages en tant qu'écrivains. L'un est celui que nous connaissons le mieux, celui de la Femme africaine (1937), mais aussi celui des récits fantastiques, qu'elle a écrits jusqu'à la fin de sa vie, comme les Derniers contes (1957). Dans ces trois brèves nouvelles extraites des Contes d'hiver (1942), qui paraissent un prolongement, dans un autre registre, des Sept contes gothiques (1934). Dans ce recueil, on redécouvre « L'histoire du petit mousse », qui nous présente un adolescent qui en vient à tuer un homme, sans le vouloir, et qui échappe à la justice grâce à l'aide d'une femme qui lui permet d'embarquer sur un autre navire en partance. « Le Jeune homme à l'oeillet » , qui relate un mariage a priori heureux, qui se révèle rapidement une sorte de rêve où la mari ne parvient pas à considérer sa femme comme un être de ce monde. D'une certaine façon, c'est une manière de montrer le caractère souvent irréel et dangereux de 'amour, créateur d'illusions. De surcroît, l'obsession de la couleur bleue renforce ce sentiment d'inquiétante étrangeté ; enfin,, « Les Perles » est l'histoire d'une femme qui se joue entre l'imaginaire et la réalité. Karen Blixen a excellé dans ce genre, bien que souvent le fil de son intrigue se perd dans de bien déconcertantes circonvolutions.




Mon ennemi mortel, Willa Cather, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marc Chénetier, Rivages poche, 106 p., 6,60 euro.

Je ne sais rien de l'existence de Willa Cather. (1876-1947). Renseignements pris, j'ai découvert qu'elle aune oeuvre importante, partiellement traduite en français, et qu'elle avait reçu le prix Pulitzer. William Faulkner l'appréciait beaucoup et il n'était pas le seul parmi ses grands contemporains Mea culpa ! Ce petit roman est assez curieux. Il n'a rien ici de typiquement américain -, ou si peu, même si l'histoire se déroule entre une petite ville de l'Illinois et New York. La narratrice a écrit un roman qui est pas plus grosse qu'un grande nouvelle, et encore. Elle nous relate sans entrer dans des milliers de détails ou de descriptions le destin très singulier d'une jeune et belle femme qu'elle a connue à Parthia. Il s'agit de Myra Henshawe, qui a fait jaser la société bien pensante. Elle avait tout pour connaître un destin brillant. Mais quand notre conteuse la revoit bien des années plus tard, elle retrouve une femme âgée, réduite quasiment à la misère et infirme. Elle s'était imaginée devoir lutter contre un ennemi invisible, mais omniprésent. Ces spectres qui l'assaillent sans cesse n'ont pas de nom et on ignore s'ils sont d'origine humaine ou surnaturelle. Ce qui est sûr, c'est qu'elle s'est convaincue de voir combattre sans relâche contre ce qui l'obsède et a juré sa perte. Quand elle meurt, elle disparaît pour s'enrouler dans des couvertures sous un arbre, loin de tous, sur le débarcadère. Nul ne sut jamais la raison de son malheur. Sans nul doute, ce n'était qu'elle-même. Un petit livre avec une belle ambition : condenser en si peu de lignes l'histoire d'une femme promise à de grandes choses et réduite à l'infirmité.




Le Bibliophile, Julien Bougoussskavsky, Imago, 184 p., 18 euro

On peut vraiment parler ici de roman familial ! Le héros de cette histoire, Marcel, est un jeune homme de bonne famille et vit donc dans un univers aisé. Tous les membres de sa famille sont dépeints avec beaucoup de précision et les grands événements qui le marquent pendant sa jeunesse sont eux aussi décrits avec maints détails. La séparation de ses parents est sans doute celui qui a le plus d'importance à ses yeux. Sa grand-mère joue aussi un rôle fondateur dans la passion qui va l'envahir une fois adulte : elle possède une belle collection de tableaux modernes de premier plan et cela lui restera comme une incitation à ce vice qu'est de rechercher avec obstination des éditions originales. On regrettera un peu que l'auteur n'ait pas plus exploré les mécanismes secrets de ce vice qui est considéré par beaucoup comme une vertu. Que Maurice aille rechercher exclusivement les ouvrages avec un envoi autographe pourrait sans doute paraître d'une grande futilité, et sans cela est d'une préciosité obsessionnelle. Le livre proprement dit et l'auteur semblent passer au second plan, même si ce n'est pas vraiment le cas. En tout cas, si ce roman est bien écrit, il lui manque un peu d'originalité dans sa conception et semble trop une autobiographie. Mais il se lit sans déplaisir et avec le sentiment de se retrouver dans un passé récent, autant par le style que par le sujet, mais déjà suranné.
Gérard-Georges Lemaire
17-03-2016
 

Verso n°136

L'artiste du mois : Marko Velk

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Peintures 2007 - 2012
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"Rêves, ou c'est la mort qui vient"
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